Investissements collectifs et élimination des doubles impositions : tensions persistantes entre Souveraineté fiscale et Libertés fondamentales
Si en substance, l’affaire C-48/15 ne constitue guère un cas majeur dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, il présente toutefois l’intérêt de nous permettre de mesurer les tensions persistantes entre la souveraineté fiscale des Etats et les libertés fondamentales de l’UE.
L’examen de ces tensions apparait d’autant plus nécessaire lorsqu’on se place dans le contexte d’une économie de marché fragile. Et, n’en déplaise à certain, dans ce contexte, la protection des investissements privés apparait encore plus primordiale et, ce en raison des financements et capacités productives qu’offrent ces investissements au développement des économies. Dès lors, et à défaut de compétence fiscale qui permettrait de pleinement orienter les investissements privés, l’UE a dû s’employer afin de limiter les situations de frottements entre les compétences nationales défavorables à l’investissement européen [1].
En l’espèce, la demande de décision préjudicielle formée par la Cour d’appel de Bruxelles concerne un litige opposant un organisme de placement collectif (OPC) de droit luxembourgeois, NN (L) International, et l’administration fiscale belge.
Le fond du litige concernait donc une taxe annuelle frappant les OPC sur la base de la valeur de leur actif net placé en Belgique. Or en 2003, le critère de rattachement personnel, fondé sur la résidence a été modifié au profit d’un critère de rattachement réel afin de soumettre en plus des OPC de droit belge les OPC étrangères commercialisant leurs parts en Belgique. Au-delà, une sanction spécifique ne frappant que ces dernières OPC a été introduite en cas de défaut de paiement de la taxe. Les juridictions belges peuvent leur interdire le placement futur de parts en Belgique.
La société d’investissement luxembourgeoise soutenait donc que ladite taxe violait la directive 69/335 [2], la directive 85/611 [3] ainsi que la libre prestation des services et la libre circulation des capitaux.
S’agissant de la directive 69/335, il était soutenu qu’elle s’opposait à la perception d’une taxe sur les OPC étrangers telle que celle en cause. En l’espèce, il n’y avait aucune difficulté particulière pour la CJUE.
L’objectif de la directive 69/355 est de libéraliser l’investissement en réduisant les impôts indirects sur les opérations de rassemblement de capitaux [4] notamment par l’élimination des cas de double imposition. La directive conditionne d’une part les droits d’apports en société tout en supprimant les droits similaires [5]. D’autre part, seul l’Etat membre sur le territoire duquel se trouve le siège de direction effective peut percevoir des droits d’apport. Or la taxe annuelle belge étant due sur le total des « montants nets placés en Belgique », elle ne rentre manifestement pas dans le cadre matériel de la directive. En effet, elle ne relève en aucun cas des opérations soumises au droit d’apport conformément à l’art. 4 de la directive, opérations « caractérisées par un transfert de capitaux ou de biens à une société de capitaux dans l’Etat membre de taxation… » [6].
S’agissant de la directive 85/611, la CJUE précise que si l’objet principal est bien de faciliter la commercialisation des parts d’OPC à valeur mobilière (OPCVM), la directive laisse intact la souveraineté fiscale des Etats en n’envisageant qu’une coordination limitée sur l’agrément, le contrôle, etc [7]. Donc même raisonnement que pour la directive 69/355 [8]. En outre la cour rappelle pour asseoir son argumentation que certes l’élimination de la double imposition est un objectif du traité CE [9], cependant il ne confère aucun droit subjectif invocable par le particulier [10].
S’agissant des libertés fondamentales, la Cour précise justement que la taxe annuelle est principalement liée à la libre circulation des capitaux [11]. Elle note ensuite que ladite taxe n’est en rien discriminatoire en ce qu’elle touche de manière identique les OPC de droit belges et de droit étrangers. Le fait que les OPC étrangères soient déjà soumises à une taxe similaire dans leur Etat d’origine ne constitue en rien un élément en l’absence d’harmonisation fiscale [12].
Seule la sanction, prévue pour les seules OPC étrangères, et au demeurant disproportionnée, est contraire aux liberté fondamentales en ce qu’elle établit une discrimination principalement fondée sur le lieu d’établissement. [13]
Cette décision rappelle en définitif l’une des limites fondamentales à laquelle doit faire face l’UE. En effet, dans une situation économique fragile, cette dernière désire mener une véritable politique en matière d’investissements étrangers. Si l’élimination de la double imposition constitue un moyen intéressant, une telle politique ne peut se faire sans l’un des instruments privilégiés en la matière, à savoir l’instrument fiscal. En outre, il est impératif d’agir dans la perspectif d’un niveau unique européen en matière de contrôle et de traitement des investissements.
Notes de bas de page
- A. Maitrot de la Motte, « Investissement et fiscalité dans le droit de l’Union européenne », RAE – 2014/4, p. 689
- Directive du Conseil n° 69/335/CEE du 17 juillet 1969 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, JOCE n° L 249, 3 octobre 1969, p. 25 ; remplacé par la Directive du Conseil n° 2008/7/CE du 12 février 2008 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, JOUE n° L 46, 21 février 2008, p. 11
- Directive 85/611/CEE du Conseil du 20 décembre 1985 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), JOCE n° L 375 du 31/12/1985 p. 0003 – 0018, remplacé par la Directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), JOUE L 302, 17.11.2009, p. 32–96
- Cons. 2, 5 et 6 not. De la directive 69/335
- Droits sur les opérations d’immatriculation d’une société ou tout autre formalité nécessaire l’exercice d’une activité, de créations ou de mise en circulation d’actions, etc.
- Point 25 de la décision
- En l’espèce il faut ne pas oublier que le faible niveau d’intégration en matière de contrôle des investissements est un réel problème pour la sécurité des investissements dans l’espace européen d’autant plus que le contrôle des concentrations est un contrôle européen, or nous savons que ces deux contrôles peuvent se recouper et créer des situations boiteuses, cf. L. Idot, « Contrôle des concentrations et contrôle des investissements étrangers. Réflexions de juriste », RAE, 2014/4, p. 707
- Points 30 à 32 de la décision.
- Art. 293 TCE
- Point 38 de la décision
- Points 39 à 41 de la décision
- Points 45 à 47 de la décision
- Points 52 à 62 de la décision