En matière de retrait de la nationalité, un arrêt de chambre de la CEDH qui ne surprend pas mais qui, peu protecteur, peut décevoir
Ce n’est pas à l’unanimité que l’arrêt Ramadan contre Malte a été rendu le 21 juin 2016 par la quatrième Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme. Deux juges ont en effet émis des opinions dissidentes, dont l’une est fortement motivée. Dans l’attente d’une éventuelle saisine de la Grande Chambre, c’est au moins une nouvelle occasion de mesurer la délicate confrontation des droits de la nationalité des Etats membres à de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il est en tout cas difficile, sur ce terrain d’évaluer avec netteté l’acquis de la jurisprudence européenne tant, selon les lunettes chaussées, il peut apparaître relativement satisfaisant ou carrément insuffisant. Il est bien sûr à craindre que l’arrêt Ramadan contre Malte vienne plutôt renforcer la seconde thèse.
Les données de l’espèce étaient, il est vrai, assez complexes. Le demandeur, d’origine égyptienne, avait acquis la nationalité maltaise à la suite de son mariage. Ce n’est qu’au bout d’une durée assez longue, de treize ans environ, qu’elle lui fut retirée, quand il fut acquis pour les autorités maltaises qu’il s’était marié seulement pour pouvoir demeurer sur le territoire maltais et pouvoir acquérir la nationalité maltaise. Remarquons au passage qu’il ne semble pas s’être agi d’un mariage simulé mais plutôt de ce que l’on appellerait en France un mariage « gris »quand les motivations réelles du mariage sont strictement personnelles à l’un des conjoints et en tout cas très éloignées de l’esprit même du mariage.
Bien sûr ce n’est pas la nullité du mariage qui était ici directement critiquée mais plutôt la conséquence radicale qu’en tirèrent les autorités maltaises, de retrait de leur nationalité. Encore fallait-il, bien sûr, que la Cour acceptât de considérer que cette décision de retrait de la nationalité maltaise portait atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé tel qu’il est énoncé à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. C’est précisément ce qu’elle n’a pas fait.
Faut-il, avec les deux juges dissidents, regretter cette décision de rejet ? La réponse à cette question n’est pas évidente tant le droit européen des droits de l’homme est en l’occurrence relativement peu protecteur.
Ainsi la Cour rappelle-t-elle que la Convention européenne des droits de l’homme ne reconnaît pas un droit à la nationalité en tant que tel. Une décision étatique de retrait de la nationalité ne peut donc être contestée devant elle au seul motif qu’elle fait verser la personne concernée dans l’apatridie. La solution retenue n’étonne donc pas. Elle étonne d’autant moins que la Cour prend tout de même bien soin de préciser que si la privation de la nationalité n’est pas en tant que telle constitutive d’une atteinte au respect du droit à la vie privée et familiale, il peut en être autrement selon les circonstances de l’espèce. Or c’est précisément dans l’appréciation particulière de la situation du demandeur que le bât peut blesser.
En effet, certaines des considérations que la Cour énonce à l’appui de sa décision laissent un peu perplexe. Ce sont celles qui portent aussi bien sur le fait que le sieur Ramadan ait pu continuer à résider et à travailler à Malte que sur ce qu’il n’aurait pas convaincu la Cour de la réalité de son apatridie.
On veut bien admettre que la privation de nationalité puisse ne pas porter une atteinte sérieuse au droit à la vie privée et familiale si elle ne s’accompagne pas de la remise en cause du droit à un séjour régulier sur le territoire concerné. Cependant, outre qu’une telle situation est en elle-même paradoxale car on ne voit plus alors quel est réellement l’intérêt de la déchéance de nationalité pour les autorités de l’Etat qui la prononcent, cette situation ne se réalise effectivement que si la prolongation du droit au séjour repose sur un solide fondement juridique. Or il n’en est évidement rien si, comme dans l’affaire Ramadan, elle paraît surtout tenir à une tolérance par hypothèse précaire des autorités publiques. Et si bien sûr il est vrai que tant que cette tolérance n’est pas remise en cause, la personne intéressée peut continuer à pratiquer sa vie personnelle et familiale, c’est tout de même sous la menace constante d’un changement brutal de sa situation et sans que la perspective d’entamer une procédure d’accès à un titre de résidence ou d’emploi lui garantisse un quelconque succès. Il est vrai, objectera-t-on peut-être, que le sieur Ramadan ayant des enfants de nationalité maltaise était vraisemblablement peu exposé au risque d’expulsion. Observons alors simplement que cette considération n’a pourtant pas été particulièrement versée à son crédit par les rédacteurs de l’arrêt et que d’ailleurs elle n’a même pas empêché que son mariage soit considéré comme simulé alors qu’un enfant, de surcroît de nationalité maltaise, en était issu.
Pas davantage l’observation que la déchéance ainsi prononcée n’a pas entraîné nécessairement l’apatridie du sieur Ramadan n’emporte-t-elle complètement la conviction. Si l’on comprend bien, celui-ci n’a en tout cas pas fait la preuve de son apatridie actuelle. Certes on retrouve bien ici l’idée, très présente du reste dans le droit français de la nationalité lui-même, que la preuve en matière de nationalité incombe d’abord à celui dont la nationalité est en cause et l’on sait que cette position est appuyée sur la considération que, après tout, c’est l’intéressé lui-même qui est le mieux placé pour savoir ce qu’il en est de sa propre nationalité. Pour autant, dans l’espèce en cause, et tout au moins sur le terrain des législations concernées, spécialement de la législation égyptienne, il apparaît assez vraisemblable que le sieur Ramadan avait perdu sa nationalité d’origine en acquérant la nationalité maltaise ou du moins qu’il devrait l’avoir perdu. Ce n’est pas certain mais c’est possible sinon probable. Dès lors toute la question est de savoir si, au regard des droits fondamentaux de la personne, le doute doit en définitive et en toute hypothèse peser sur la personne elle-même. On comprendra qu’on puisse en douter.
En définitive, dans une espèce particulièrement complexe où, pour des raisons presque opposées ni la situation familiale d’un côté ni le comportement personnel de l’intéressé de l’autre ne plaidaient clairement en faveur de la prise en compte d’une atteinte au droit à la vie privée et familiale, il ne fallait sans doute pas s’attendre à une inflexion significative de la jurisprudence. L’arrêt ne surprend donc pas, même s’il peut décevoir un peu. Peut-être la Grande Chambre, si elle est saisie, montrera-t-elle plus d’audace.