L’appréciation variable du droit de séjour des membres de la famille d’un citoyen de l’Union
CJUE, 1ère chbr., 30 juin 2016, Secretary of State for the Home Department contre NA, Aff. C-115/15.
En vertu de l’article 2 de la directive relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres [1] (ci-après « la directive séjour »), la notion de « membre de la famille » renvoie au conjoint et aux enfants. Dans le présent arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « la Cour de justice ») est amenée à se prononcer sur l’octroi du droit de séjour au conjoint et aux enfants d’un citoyen de l’Union ayant séjourné et travaillé dans un État membre.
KA est un ressortissant allemand ayant séjourné et travaillé au Royaume-Uni. Il s’est marié à NA, ressortissante pakistanaise, avec laquelle il a deux enfants. Lorsque NA demande le divorce parce qu’elle est victime d’actes de violence domestique pendant le mariage, KA a quitté le Royaume-Uni. A l’issue de la procédure de divorce, NA obtient la garde exclusive des enfants nés et scolarisés au Royaume-Uni.
NA a formulé une demande de droit de séjour permanent sur le territoire du Royaume-Uni. Face au rejet de cette demande par le ministre de l’Intérieur, elle a introduit un recours devant la chambre de l’immigration et de l’asile du tribunal supérieur du Royaume-Uni. Devant cette juridiction, elle invoque, notamment, deux dispositions du droit dérivé de l’Union.
La première disposition est l’article 13 paragraphe 2 sous c de la directive séjour. Elle prévoit que le divorce n’entraîne pas la perte du droit de séjour du conjoint d’un citoyen de l’Union qui n’a pas la nationalité d’un État membre, lorsqu’il est victime de violence domestique, pendant le mariage. NA considère que les conditions sont réunies car elle est le conjoint d’un ressortissant allemand, elle a la nationalité pakistanaise et elle est victime de violence domestique, de la part de son mari, pendant le mariage. Elle estime donc que le divorce n’entraîne pas la perte du droit de séjour et donc qu’elle doit continuer à bénéficier de ce droit sur le territoire du Royaume-Uni. Or, pour la chambre de l’immigration et de l’asile du tribunal supérieur du Royaume-Uni, NA ne peut pas fonder sa demande sur la disposition car, à la date du prononcé du divorce, KA a quitté le Royaume-Uni. Ainsi, elle conditionne le bénéfice de la disposition au séjour de KA, sur le territoire du Royaume-Uni, jusqu’à la fin de la procédure de divorce. NA a donc interjeté appel de cette décision devant la division civile de la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles.
La seconde disposition est l’article 12 du règlement relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté [2]. Elle porte sur l’accès à l’éducation des enfants d’un ressortissant d’un État membre, employé dans un autre État membre. Pour la chambre de l’immigration et de l’asile du tribunal supérieur du Royaume-Uni, NA peut fonder sa demande sur la disposition car les enfants de NA sont aussi les enfants de KA qui est un ressortissant allemand ayant travaillé au Royaume-Uni. Or, pour le ministre de l’Intérieur, les conditions ne sont pas remplies car, au moment où KA a quitté le Royaume-Uni, ses enfants n’y étaient pas encore scolarisés. Le ministre de l’Intérieur a donc interjeté appel de cette décision devant la division civile de la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles.
Saisie par NA et par le ministre de l’Intérieur, la division civile de la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles a décidé de surseoir à statuer et de poser, à la Cour de justice, une série de questions préjudicielles dont deux ont pour objet l’interprétation d’actes de droit dérivé de l’Union.
Selon une première question préjudicielle, il s’agit de savoir si un ressortissant d’un État tiers, divorcé d’un citoyen de l’Union dont il a subi des actes de violence domestique pendant le mariage, bénéficie du maintien de son droit de séjour dans l’État membre d’accueil lorsque le divorce est postérieur au départ du conjoint citoyen de l’Union de l’État membre en question. Transposée aux faits de l’espèce, la question est de savoir si NA bénéficie du maintien au droit de séjour au Royaume-Uni alors que le divorce est postérieur au départ de KA de cet État.
Selon une deuxième question préjudicielle, il s’agit de savoir si les enfants et le parent ressortissant d’un État tiers qui en a la garde exclusive bénéficient d’un droit de séjour dans l’État membre d’accueil dans l’hypothèse où l’autre parent est citoyen de l’Union et a travaillé dans l’État membre en question, mais a cessé d’y résider avant que l’enfant n’y entame sa scolarité. Transposée aux faits de l’espèce, la question est de savoir si les enfants de NA et KA et NA bénéficient d’un droit de séjour au Royaume-Uni dans l’hypothèse où KA, qui a travaillé au Royaume-Uni, a quitté cet État avant le début de la scolarité de ses enfants.
La Cour de justice va reconnaître le droit de séjour sur le territoire du Royaume-Uni à NA et ses enfants, mais elle établit une distinction. Alors que le droit de séjour est autonome pour les enfants (I), il est conditionné pour NA (II).
I – Un droit de séjour des enfants scolarisés dans l’État membre autonome
De nationalité allemande, les enfants de NA et KA sont nés et vivent au Royaume-Uni depuis leur naissance. A la naissance du premier enfant, KA n’a pas encore quitté le domicile conjugal et le Royaume-Uni, mais la situation est différente à la naissance du second enfant. Lorsque les enfants sont scolarisés, KA ne séjourne plus au Royaume-Uni.
En vertu de l’article 12 du règlement relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, « [L]es enfants d’un ressortissant d’un État membre qui est ou a été employé sur le territoire d’un autre État membre sont admis aux cours d’enseignement général, d’apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État, si ces enfants résident sur son territoire ». Dans les faits, KA est un ressortissant allemand, il a été employé au Royaume-Uni et ses enfants résident au Royaume-Uni depuis leur naissance.
L’article 12 du règlement relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté envisage tant la situation où le parent est un travailleur sur le territoire d’un État membre que celle où il ne l’est plus. De façon logique, dans son arrêt Teixeira [3], la Cour de justice a retenu que le droit d’accès à l’enseignement des enfants ne dépend pas de la circonstance que le parent conserve sa qualité de travailleur dans l’État membre.
L’article 12 du règlement relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté n’exige pas la continuité de la résidence sur le territoire de l’État membre. Les enfants de KA peuvent donc être scolarisés au Royaume-Uni sans qu’il soit nécessaire que KA réside encore au Royaume-Uni. C’est d’ailleurs ce que retient la Cour de justice (pt. 54).
Indépendante du fait que KA réside ou ne réside plus au Royaume-Uni, la possibilité que les enfants de KA soient scolarisés au Royaume-Uni induit, « par voie de conséquence », comme le dit la Cour de justice (pt. 63), le bénéfice du droit de séjour. Le bénéfice du droit de séjour octroyé aux enfants de KA est alors la conséquence de l’effet utile du droit d’accès à l’enseignement reconnu à ces derniers. Ainsi, le droit de séjour des enfants s’émancipe du droit de séjour du père et devient un droit autonome (pt. 64).
II – Un droit de séjour du conjoint divorcé dans l’État membre conditionné
De nationalité d’un État tiers puisque ressortissante pakistanaise, NA a divorcé de KA parce qu’il lui faisait subir des actes de violence domestique pendant leur mariage. Au moment où elle engage la procédure de divorce, ses enfants ne sont pas encore scolarisés au Royaume-Uni et KA a déjà quitté le Royaume-Uni.
En vertu de l’article 13 paragraphe 2 sous c de la directive séjour, « le divorce, […] n’entraîne pas la perte du droit de séjour des membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un État membre : […] lorsque des situations particulièrement difficiles l’exigent, par exemple le fait d’avoir été victime de violence domestique lorsque le mariage […] subsistait encore ». Le contenu de cette disposition apparaît comme une dérogation protectrice des droits des membres de la famille. En effet, le principe est que le conjoint d’un citoyen de l’Union, ressortissant d’un État tiers, qui n’est pas victime de violence domestique pendant le mariage perd le droit au séjour.
Si le libellé de l’article 13 paragraphe 2 sous c de la directive séjour est clair, la Cour de justice en fait une interprétation limitative. Alors que la disposition n’ajoute pas la condition que le citoyen de l’Union doit séjourner dans l’État membre d’accueil jusqu’à la date du début de la procédure de divorce, la Cour de justice exige que cette condition soit remplie (pt. 50). Pour ce faire, elle réitère l’apport de l’arrêt Singh [4] selon lequel lorsque le citoyen de l’Union quitte l’État membre d’accueil avant la date du début de la procédure de divorce, le droit de séjour dérivé du conjoint ressortissant d’un État tiers ne peut pas être maintenu. Une telle position se comprend dans la mesure où « le départ du conjoint citoyen de l’Union a déjà entraîné la perte du droit de séjour du conjoint ressortissant d’un État tiers demeurant dans l’État membre d’accueil. Or, une demande de divorce ultérieure ne peut avoir pour effet de faire renaître ce droit […] » (pt. 35). Ainsi, pour que NA bénéficie du maintien au droit de séjour sur le territoire du Royaume-Uni, il faut que KA ait séjourné au Royaume-Uni jusqu’à la date du début de la procédure de divorce. Or, cela n’est pas le cas dans les faits car lorsque NA demande le divorce, KA a déjà quitté le domicile conjugal et le Royaume-Uni. La Cour conclut que NA ne peut pas bénéficier du maintien de son droit de séjour (pt. 51).
Si la Cour de justice refuse la reconnaissance du droit de séjour de NA sur le fondement de l’article 13 paragraphe 2 sous c de la directive séjour, elle l’accepte sur le fondement de l’article 12 du règlement relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté. En effet, pour que les enfants de NA puissent jouir de leur droit d’accès à l’enseignement tiré de l’article 12 du règlement relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, il faut qu’un droit de séjour leur soit reconnu, comme vu précédemment, mais aussi qu’un droit de séjour soit reconnu au parent qui assure leur garde exclusive. Le bénéfice du droit de séjour octroyé à NA est la conséquence de l’effet utile du droit d’accès à l’enseignement reconnu aux enfants. Ainsi, le droit de séjour de NA est un droit correspondant (pt. 64) puisqu’il est lié au droit de séjour des enfants.
Notes de bas de page
- Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.
- Règlement (CEE) nº 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, JO 1968, L 257, p. 2.
- CJUE, GC, 23 février 2010, Teixeira, aff. C-480/08.
- CJUE, GC, 16 juillet 2015, Singh, Aff. C-218/14.