Droit institutionnel de l'Union

Refus d'un droit de réponse des parties aux conclusions de l'avocat général devant la CJUE

CJUE, 1ère chbre, 4 mai 2016, Commission européenne contre République d'Autriche, aff. C-346/14.

Les parties à une affaire devant la Cour de justice de l'Union européenne ne peuvent pas présenter d'observations écrites en réponse aux conclusions de l'avocat général. C'est notamment ce qu'a réaffirmé la Cour dans un arrêt du 4 mai 2016 [1].

Le 18 juillet 2014, la Commission européenne a introduit un recours en manquement à l'encontre de la République d'Autriche [2], estimant que cette dernière avait manqué à ses obligations découlant des traités, et plus précisément des articles 4 paragraphe 3 du Traité sur l'Union européenne (principe de coopération loyale) et 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne [3] combinés. Selon la Commission, l'Autriche aurait commis une infraction à la directive-cadre sur l'eau [4] en autorisant la construction d'une centrale hydroélectrique sur la rivière Schwarze Sulm [5]. D'une part, la centrale entraînerait une détérioration de la qualité de l'eau ; d'autre part, cette détérioration ne serait pas justifiée par un objectif d'intérêt général majeur tel que le requiert ladite directive [6].

Au terme de ses conclusions, l'avocat général Madame Juliane Kokott a rejeté le recours de la Commission pour motivation insuffisante [7]. Prenant acte de la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle il n'est pas possible pour les parties de présenter de nouvelles observations suite aux conclusions de l'avocat général [8], la Commission a alors demandé l'ouverture de la procédure orale aux fins de présentation d'une nouvelle preuve telle que le prévoient les articles 83 et 128 paragraphe 2 du règlement de procédure de la Cour. En effet, aux termes desdits articles, la Cour peut prononcer l'ouverture ou la réouverture de la phase orale si elle estime qu'elle est « insuffisamment éclairée », ou lorsqu'une des parties soumet un fait nouveau « de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour », ou encore « lorsque l'affaire doit être tranchée sur la base d'un argument qui n'a pas été débattu entre les parties ou les intéressés ». En outre, les parties ont la possibilité de produire de nouvelles preuves après la clôture de la phase écrite et dès lors qu'elles « motivent le retard apporté à la présentation de ces éléments ».

La Cour jugea toutefois que « s'estimant suffisamment éclairée pour statuer et l'affaire ne nécessitant pas d'être tranchée sur la base d'arguments ou de nouvelles preuves qui n'auraient pas été débattus entre les parties, il n'y [avait] pas lieu de faire droit aux demandes de la Commission » [9].

Elle rappela également – alors même que la Commission n'avait pas à proprement dit, introduit de demande en ce sens – que « le statut de la Cour de justice de l'Union européenne et le règlement de procédure ne prévoient pas la possibilité pour les parties de déposer des observations et réponse aux conclusions présentées par l'avocat général » [10]. Or c'est précisément ce point qui éveille notre intérêt, au regard tant de la jurisprudence de la Cour de justice, que de celle de la Cour européenne des Droits de l'Homme.

Dans l'affaire Kress contre France [11], la Cour de Strasbourg, qui s'était d'ailleurs référée à l'ordonnance Emesa Sugar précitée de la Cour de Luxembourg, devait en effet se prononcer sur la comptabilité avec l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales [12], de l'impossibilité pour les parties à une instance devant le Conseil d’État français, de répondre aux conclusions du commissaire au gouvernement, dont le rôle est substantiellement similaire à celui de l'avocat général. Elle avait finalement conclu en l'absence de violation du principe du contradictoire dès lors que les parties bénéficiaient en réalité d'un tel droit de réponse [13].

Mais ça n'est pas tant la solution rendue, que le raisonnement de la Cour européenne des Droits de l'Homme qu'il faut ici retenir. En effet, et à l'inverse de ce qu'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, le statut de l'ancien commissaire au gouvernement, assurant toutes les garanties d'indépendance et d'impartialité, n'empêchait nullement qu'il influença le délibéré en proposant une solution à l'affaire [14]. C'est en ce sens et uniquement en ce sens que les parties devaient pouvoir bénéficier d'un droit de réponse. Ce droit serait donc induit non pas par le statut de l'avocat général, mais du simple fait de son rôle dans la procédure. Nous aurions ainsi pu croire que la Cour de Luxembourg se serait finalement « calquée » sur le raisonnement de la Cour de Strasbourg, mais elle semble poursuivre sur la voie de sa jurisprudence constante selon laquelle « eu égard au lien tant organique que fonctionnel entre l'avocat général et la Cour […], la jurisprudence […] de la Cour européenne des Droits de l'Homme ne paraît pas transposable aux conclusions des avocats généraux à la Cour » [15].

Il convient enfin de relever que si dans l'arrêt d'espèce, la Cour rappelle ce principe alors même qu'aucune demande ne lui est faite en ce sens, c'est très vraisemblablement parce que dans l'affaire Emesa Sugar elle a finalement présenté la possibilité de réouverture de la phase orale de la procédure comme un moyen incident offert aux parties afin de pallier l'absence de droit de réponse aux conclusions de l'avocat général [16]. Or, force est de constater que d'une part, les deux droits processuels n'ont pas le même objet, et que d'autre part, l'ex-article 61, nouvellement article 83 du règlement de procédure de la Cour, ne pose qu'une possibilité de réouverture de la phase orale offerte à ladite Cour. En l'espèce, la Cour a d'ailleurs rejeté cette demande.

Notes de bas de page

  • CJUE, 1ère chbre, 4 mai 2016, Commission européenne contre République d'Autriche, aff. C-346/14
  • cf. article 258 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (recours en manquement)
  • Article 288 alinéa 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : « la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ».
  • Directive n°2000/60/CE du 23 octobre 2000 du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau
  • Décision du 24 mai 2007 du gouverneur de Styrie (Land autrichien) portant autorisation de construction d'une centrale hydroélectrique sur la Schwarze Sulm
  • Article 4 paragraphes 1 et 7 de la directive n°2000/60/CE
  • Conclusions de l'avocat général Madame Juliane Kokott, 3 septembre 2015, Commission européenne contre République d'Autriche, aff. C-346/14
  • CJCE, ordonnance, 4 février 2000, Emesa Sugar (Free zone) NV et Aruba, aff. C-17/98, point 2 ; CJUE, 3ème chbre, 6 septembre 2012, Döhler Neuenkirchen GmbH contre Hauptzollamt Oldenburg, aff. C-262/10, point 29
  • CJUE, aff. C-346/14, point 26
  • CJUE, aff. C-346/14, point 23 ; CJUE, aff. C-262/10, point 29 ; CJCE, aff. C-17/98, point 2
  • CEDH, 7 juin 2001, Kress contre France, requête n°39594/98
  • Article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».
  • CEDH, requête n°39594/98, point 76
  • CEDH, requête n°39594/98, point 74 : « toutefois, la notion de procès équitable implique aussi en principe le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation soumise au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d'influencer sa décision, et de la discuter ».
  • CJCE, aff. C-17/98, point 16
  • CJCE, aff. C-17/98, point 18 : « Certes, les contraintes inhérentes à l'organisation judiciaire communautaire ne sauraient justifier la méconnaissance du droit fondamental à une procédure contradictoire. Tel n'est cependant pas le cas dans la mesure où c'est au regard de la finalité même du contradictoire, qui est d'éviter que la Cour puisse être influencée par des arguments qui n'auraient pas pu être discutés par les parties, que la Cour peut d'office ou sur proposition de l'avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l'article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu'elle est insuffisamment éclairée ou que l'affaire doit être tranchée sur la base d'un argument qui n'a pas été débattu entre les parties ».

Auteurs


Hélène Duclos

jade@u-bordeaux4.fr