Une règlementation nationale rejetant la prise en compte des périodes d'apprentissage et de travail des fonctionnaires avant leurs 18 ans pour la cotisation du régime de retraite ne remet pas en cause le principe d'égalité de traitement
Le principe de l'égalité de traitement a, en droit de l'Union européenne, connu une émergence certaine. D'abord consacré de manière ponctuelle, il a fallu attendre le traité de Lisbonne pour une consécration plus générale. Il n'en demeure pas moins que ce principe avait, dès avant, été érigé en principe général du droit [1] et même en un droit fondamental de la personne humaine [2]. Par ailleurs, ses différentes manifestations [3] avaient pu faire l'objet de réglementations, dont la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail [4].
Le principe d'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail a d'ailleurs nourri le contentieux communautaire et unioniste, notamment récemment par plusieurs affaires. L'arrêt commenté en est une illustration. En l'espèce, il s'agissait de la prise en compte des périodes de travail comptant pour les cotisations de retraite. Plus précisément, un autrichien avait commencé à travailler pour la Poste autrichienne sous contrat d'apprentissage alors qu'il avait moins de 18 ans. Au cours de cette période de travail, il avait cotisé pour la retraite. Par la suite, il a été engagé, par la Poste, en qualité d'agent contractuel, tout en poursuivant ses études en parallèle. Enfin, il a été engagé par l'Etat fédéral dans une relation de service de droit public. Concernant les cotisations de retraite, la Poste autrichienne a considéré que la période de cinq ans et quinze jours entre le moment des 18 ans du travailleur et son recrutement comme fonctionnaire devait être prise en compte pour le calcul des droits à pension au titre des périodes antérieures à l'entrée en service. À ce titre, l'organisme assureur a versé à l'Etat fédéral un montant dit « de transfert » pour les périodes assimilées. Le travailleur s'est également vu rembourser ses cotisations pour la période d'apprentissage et de travail au cours de laquelle il avait moins de 18 ans. Admis au bénéfice de la retraite à compter du 1er septembre 2004, le service du personnel a calculé ses droits uniquement pour la période de travail à partir de ses 18 ans.
Le travailleur décide alors de saisir la Cour constitutionnelle d'Autriche qui se déclare incompétente et renvoie l'affaire à la cour administrative d'Autriche. Cette dernière considère que le refus de prise en compte de la période d'apprentissage et de travail avant les 18 ans du requérant constitue une différence de traitement fondée sur l'âge, mais elle se demande si elle est justifiée. À ce titre, elle pose une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.
La question à laquelle la Cour de Luxembourg devait répondre était celle de savoir si, en vertu des articles 2, § 1, 2 § 2 sous a) et 6 § 1 de la directive 2000/78/CE précitée devaient-être « interprétés en ce sens qu'ils font obstacle à une réglementation nationale qui exclut la prise en compte des périodes d'apprentissage et de travail accomplies par un fonctionnaire avant l'âge de 18 ans aux fins de l'octroi du droit à pension et du calcul du montant de sa pension de retraite, alors que ces périodes sont prises en compte lorsqu'elles sont accomplies après qu'il a atteint cet âge » [5].
Cette question de l'interprétation de ces articles concernant les périodes prises en compte pour le calcul des droits à pension de retraite des fonctionnaires n'est pas nouvelle. La Cour de justice de l'Union européenne y a été plusieurs fois confrontée, dont récemment, en juin 2009 à propos de l'exclusion de périodes d'apprentissage avant 18 ans [6] et en janvier 2015 à propos des périodes de scolarité des fonctionnaires avant leur 18 ans [7]. Ces affaires ont d'ailleurs servi de fondement pour le présent arrêt.
En réalité, la question que se pose la juridiction unioniste est de savoir si la réglementation nationale constitue une discrimination fondée sur l'âge et si, dans l'affirmative, elle est justifiée. Or, pour répondre à cette question, la Cour de Luxembourg a ajouté l'interprétation de l'article 6 § 2 de ladite directive, pourtant absent des questions préjudicielles [8]. C'est par son biais en effet que la justification a pu être identifiée. La Cour de justice de l'Union européenne a recherché si le régime de retraite des fonctionnaires était un régime professionnel de sécurité sociale pour lequel la fixation d'âge d'admission ou d'admissibilité est possible à condition que ça ne se traduise pas par des discriminations fondées sur le sexe.
Ainsi, la Cour de justice de Luxembourg considére que les différentes dispositions de la directive, y compris l'article 6 § 2, ne s'opposent pas à la réglementation nationale dans la mesure où celle-ci vise à garantir la fixation uniforme, au sein d'un régime de retraite des fonctionnaires, d'un âge d'adhésion à ce régime ainsi que d'un âge d'admissibilité aux prestations de retraite qui sont servies dans le cadre dudit régime.
La Cour de justice de l'Union européenne répond de manière classique : identifier une différence de traitement en fonction de l'âge en vertu des articles 2 § 1 et 2 § 2 sous a) (I) justifiée en vertu de l'article 6 § 2 (II) de la directive 2000/78/CE.
1. Une différence de traitement en fonction de l'âge en vertu des articles 2 § 1 et 2 § 2 sous a) de la directive 2000/78/CE
Pour identifier cette différence de traitement qu'elle a qualifiée de « différence de traitement directement fondée sur le critère de l'âge » (B), la Cour de Luxembourg a rappelé le principe même de l'égalité de traitement (A).
A. Rappel du principe de l'égalité de traitement
Outre son aspect pédagogique, le rappel du principe de l'égalité de traitement n'est pas incongru. Il a le mérite de mettre en perspective les différentes dispositions de la directive précitée et de savoir la conception de l'égalité de traitement en droit de l'Union européenne. Ainsi, l'égalité de traitement suppose un principe de non-discrimination aussi bien directe qu'indirecte fondée sur différents motifs, dont l'âge, sachant qu'il y a discrimination directe dès lors qu'une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable. C'est sur celle-ci que le juge de l'Union européenne s'est fondé (B), ne rappelant pas l'acception de la discrimination indirecte.
B. Identification d'une « différence de traitement directement fondée sur le critère de l'âge »
L'idenfication de la différence de traitement ne fait aucun doute pour la Cour de Luxembourg. Un seul point de son arrêt suffit pour le démontrer [9]. Cependant, la motivation est particulière à l'instar des autres arrêts similaires [10]. D'une part, elle n'utilise pas l'expression « discrimination directe », mais celle de « différence de traitement ». Or, une différence de traitement peut ne pas être une discrimination selon l'article 6 de la directive (V. infra). Pourtant, elle accolle par la suite l'adjectif « direct » à la différence de traitement, d'autant plus que l'appréciation de la situation comparable, qui en est la signification, apparaît.
D'autre part, la Cour de justice de l'Union européenne est quelque peu ambiguë pour identifier la différence de traitement. En effet, elle commence par préciser que la réglementation nationale « réserve un traitement moins favorable aux personnes dont l'expérience professionnelle a été, ne serait-ce qu'en partie, acquise avant l'âge de 18 ans par rapport à celles qui ont obtenu, après avoir atteint cet âge, une expérience de même nature et d'une durée comparable ». Il est évident ici que, eu égard à la définition de la discrimination directe, la situation de l'espèce ne peut manifester qu'une telle discrimination en fonction de l'âge. La Cour de Luxembourg le soutient catégoriquement en précisant qu' « (u)ne réglementation de cette nature instaure une différence de traitement entre les personnes en fonction de l'âge auquel elles ont acquis leur expérience professionnelle » [11].
Puis elle semble être moins catégorique en faisant référence à la possibilité d'une différence de traitement : « (c)e critère peut aller jusqu'à conduire à une différence de traitement entre deux personnes qui ont suivi les mêmes études et ont acquis la même expérience professionnelle, et ce exclusivement en fonction de l'âge respectif de ces personnes » [12]. Certes, elle ajoute la référence aux études similaires, ce qui accroît d'autant plus l'appréciation d'une discrimination directe à l'égard d'une situation comparable, mais la redondance est de mise. D'autant plus qu'elle conclut, sans rien ajouter, qu' « (u)ne telle disposition instaure donc une différence de traitement directement fondée sur le critère de l'âge au sens de l'article 2 § 1 et de l'article 2 § 2 sous a) ». Le syllogisme est, partant, singulier.
Il n'empêche, qu'à ce stade du raisonnement, la Cour de justice de l'Union européenne a identifié une différence de traitement directement fondée en fonction de l'âge. Elle se demande ensuite si celle-ci est justifiée (II).
2. Une différence de traitement justifiée en vertu de l'article 6 § 2 de la directive 2000/78/CE
En vertu de l'article 6 de la directive 2000/78/CE, une différence de traitement ne constitue pas une discrimination si elle est justifiée. Partant, il ne s'agit pas tant d'une remise en cause du principe de l'égalité de traitement. Or, dans sa motivation, la Cour de Luxembourg est ambiguë. Cette ambiguïté réside, d'une part, dans l'absence de référence à l'article 6 § 1 de ladite directive (A) et dans la formulation négative de l'égalité de traitement sur laquelle elle va se fonder au regard de l'article 6 § 2 (B).
A. L'absence de référence à l'article 6 § 1
A contrario des arrêts Hütter et Felder précités, le présent arrêt ne fait guère mention de l'article 6 § 1 de ladite directive, alors même que celui-ci était invoqué dans la question préjudicielle de la juridiction nationale de renvoi. Or, il est important pour la justification de la différence de traitement. Il précise en effet que de telles différences « fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires » [13]. Il précise même la manifestation de ces différences. De plus, le gouvernement autrichien a cherché à justifier la différence de traitement par son biais, en complément de l'article 6 § 2.
Or, comme le précise l'avocat général dans ses conclusions, toutes les parties ont été invitées par la Cour de justice de l'Union européenne à prendre position lors de l’audience sur l’interprétation et l’applicabilité, en l’espèce, de cette dernière disposition [14]. Aussi, toujours selon l'avocat général, il n'y avait guère besoin de s'intéresser à l'article 6 § 1 car l'objectif visé par la réglementation nationale en l'espèce est le même que celui mis en exergue dans l'article 6 § 2, à savoir la fixation, pour les régimes professionnels de sécurité sociale, d’âges d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite ou d’invalidité [15]. Or, l'objectif poursuivi est d'uniformiser la date de début de cotisations pour la retraite des fonctionnaires. À ce titre, la différence de traitement est justifiée et ne peut être considérée comme une discrimination directe par la Cour de Luxembourg (B).
B. Absence de discrimination directe
Excluant l'article 6 § 1 de la directive 2000/78/CE, ne restait alors plus à la Cour de justice de l'Union européenne d'apprécier la justification en identifiant si la réglementation nationale s'inscrivait dans le cadre d'un régime professionnel de sécurité sociale et si elle relevait de la fixation d'âges d'adhésion ou d'admissibilité aux prestations de retraite ou d'invalidité.
Or, avant de répondre à ces deux interrogations qu'elle formule en son point 26, elle affirme d'abord que ledit article 6 § 2 permet aux Etats membres de prévoir une exception au principe de non-discrimination fondée sur l'âge, et non une remise en cause, et que, partant, une interprétation restrictive est exigée [16]. Elle précise ensuite que ledit article ne s'applique que pour les régimes professionnels de sécurité sociale qui couvrent les risques de vieillesse et d'invalidité [17] et seulement les éléments les caractérisant qui y sont expressément mentionnés [18].
D'une part, le régime en cause relève-t-il d'un régime professionnel de sécurité sociale ? Répondre à cette question suppose de définir un tel régime. Or, la directive 2000/78/CE ne livre pas de définition. Il en va différemment de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail [19], celle-ci la définissant de manière négative. En effet, il s'agit des « régimes non régis par la directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale [20], qui ont pour objet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise ou d’un groupement d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur professionnel ou interprofessionnel, des prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s’y substituer, que l’affiliation à ces régimes soit obligatoire ou facultative » [21].
À l'appui des conclusions de l'avocat général, dont elle fait explicitement référence [22], la Cour de Luxembourg considère que la réglementation en cause en l'espèce rentre bien dans le cadre d'un régime professionnel de sécurité sociale. En effet, le régime de retraite des fonctionnaires fédéraux « constitue un régime qui fournit aux travailleurs d'un secteur professionnel donné des prestations destinées à se substituer aux prestations d'un régime légal de sécurité sociale au sens de l'article 2 § 1 sous f) de la directive 2006/54 » [23]. Les fonctionnaires fédéraux sont exclus du régime de l'assurance retraite en raison de cette qualité de fonctionnaire. De fait, « leur relation de travail leur confère un droit à des prestations de retraite équivalentes à celles que prévoit » le régime général de l'assurance retraite.
La réponse est d'autant plus évidente en y ajoutant, d'une part, un élément que la Cour de justice de l'Union européenne a retenu dans les arrêts précités et repris par l'avocat général dans ses conclusions sur l'arrêt commenté [24] : l'article 157 § 2 du T.F.U.E.. Selon cet article, la directive ne peut concerner que les régimes dont les avantages sont assimilés à des rémunérations. Le régime de retraite des fonctionnaires est considéré comme tel. En l'espèce, le juge de l'Union européenne n'a fait mention aux rémunérations que pour justifier l'application à l'espèce de la directive 2000/78/CE dans la mesure où la réglementation nationale en cause a pour objet d'affecter les conditions de rémunération des fonctionnaires [25]. D'autre part, l'avocat général s'est appuyé sur l'article 7 § 2 de la directive 2006/54/CE précitée qui codifie la jurisprudence en assimilant à des régimes professionnels de sécurité sociale les régimes de pension destinés à une catégorie de travailleurs, comme les fonctionnaires, si les prestations payables en vertu du régime sont versées en raison de la relation de travail avec l'employeur public, peu importe que le régime fasse partie d'un régime légal général [26].
D'autre part, le régime en cause fixe-t-il un âge à partir duquel les affiliés commencent à verser des cotisations au régime de retraite des fonctionnaires et acquièrent le droit de percevoir une pension de retraite complète ? À l'appui des conclusions de l'avocat général [27], qu'il cite une nouvelle fois, le juge de l'Union européenne considère que la réglementation nationale constitue, pour les Etats membres en vertu de l'article 6 § 2 précité, une expression de leur liberté de fixer un âge limite d'adhésion ou d'admissibilité ; sachant que le libellé de cet article « est tel qu'il permet aux Etats membres non seulement de fixer des âges différents pour des travailleurs ou des groupes ou des catégories de travailleurs, mais également de fixer, au sein d'un régime professionnel de sécurité sociale, un âge d'adhésion ou d'admissibilité aux prestations de retraite » [28].
À ce titre, la différence de traitement est bien justifiée à l'égard de l'article 6. Partant, la réglementation nationale ne saurait être remise en cause.
Notes de bas de page
- C.J.C.E., 19 octobre 1977, Ruckdeschel e.a. c./Hauptzollamt Hamburg–St.Annen, aff. 117/76 et 16/77.
- C.J.C.E., 30 avril 1996, P / S et Cornwall County Council, aff. C-13/94.
- Egalité selon la nationalité, égalité entre hommes et femmes, égalité selon l'âge, égalité selon la religion, égalité selon l'orientation sexuelle.
- J.O., 2000, L 303, p. 16.
- Il s'agit ici de la question reformulée par la Cour de justice elle-même dans son arrêt préjudiciel au pt. 17.
- C.J.U.E., 18 juin 2009, Hütter, aff. C-88/08.
- C.J.U.E., 21 janvier 2015, Felder, aff. C-529/13, qui confirme le rejet de la prise en compte de cette période.
- L'avocat général a, à cet égard, précisé que l'absence de cette référence dans l'arrêt commenté était certainement dû à son absence dans l'arrêt Felder précité. V. la justification de la Cour de justice de l'Union européenne en son point 22.
- V. pt. 21.
- V. C.J.C.E., 18 juin 2009, Hütter précité, pt. 38, et C.J.U.E., 21 janvier 2015, Felder précité, pt. 27.
- Nous soulignons.
- Nous soulignons.
- Nous soulignons.
- V. Concl. BOT Yves, pt. 34.
- Ibidem, pt. 35.
- Ibidem, pt. 24. Pour une consécration, V. C.J.U.E., 12 janvier 2010, Petersen, aff. C-341/08, pt. 60, à propos de l'âge maximal d'exercice de la profession de dentiste conventionné . Et C.J.U.E., 26 septembre 2013, HK Danmark, aff. C-476/11, pt. 46, à propos de la progressivité du montant des cotisations en fonction de l'âge.
- C.J.U.E., 26 septembre 2013, Dansk Jurist c./ Endenrings, aff. C-546/11, pt. 43, à propos du refus de versement d'un traitement de mise en disponibilité aux fonctionnaires qui ont atteint l'âge de 65 ans et sont éligibles au bénéfice d'une pension de retraite.
- C.J.U.E., 26 septembre 2013, HK Danmark précité, pt. 52.
- J.O., 2006, L 204, p. 23.
- J.O., 1979, L 6, p. 24.
- Article 2 § 1 sous f de la directive 2006/54/CE.
- V. Concl. BOT Yves, pt. 27.
- V. pt. 28.
- V. pt. 20.
- V. pt. 18. Mention retenue par C.J.U.E., 21 janvier 2015, Felder précité, pt. 24.
- V. Concl. BOT Yves, pt. 46.
- Ibidem, pt. 37.
- V. pt. 30.