Brèves du prétoire et d'ailleurs ...

Le juge européen au secours de la libre circulation du travailleur allemand

cjue, 1ère chambre, 13 juillet 2016, Pöpperl contre Land de Rhénanie-du-Nord, Aff. C-187/15.

La présente décision apporte des éléments importants quant à l’interprétation de l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. C’est par une réponse à une double question préjudicielle que le juge européen a approfondi sa jurisprudence relative à la liberté de circulation des travailleurs européens. Les interrogations venaient du tribunal administratif de Düsseldorf : était-il conforme à l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qu’un ancien fonctionnaire allemand [1], parti travailler en Autriche, perde ses droits au régime de pension de vieillesse des fonctionnaires [2] ? Surtout, en cas de contradiction du droit allemand avec le principe de libre circulation des travailleurs, comment se conformer au droit européen ?

Pour répondre à la première question, le juge ad quem va développer un raisonnement en trois temps. Conformément aux conclusions de l’avocat général, il écarte – de manière implicite – l’éventualité d’une discrimination puisque la réglementation du Land de Rhénanie-du-Nord visant à affilier rétroactivement le fonctionnaire démissionnaire au régime général d’assurance vieillesse s’applique aussi à ceux qui restent en Allemagne mais partent dans le secteur privé. En revanche, toujours en suivant les recommandations de l’avocat général, le juge retient une restriction à la libre circulation des travailleurs puisque la différence de traitement entre les deux régimes d’assurance vieillesse est susceptible de dissuader le fonctionnaire national d’exercer un emploi dans un autre Etat membre. Enfin, et c’est le troisième temps, le juge ne prend pas la peine de statuer sur la qualité d’intérêt général ou non de l’objectif visé [3] par la réglementation en cause. On sait qu’un objectif d’intérêt général peut être à même de justifier une restriction à la libre circulation des travailleurs, mais encore faut-il que celui-ci soit recherché d’une manière adéquate et proportionnelle. Et, dans notre affaire, la condition d’adéquation n’est pas remplie – par l’absence de cohérence et de systématicité du dispositif – dès lors qu’un fonctionnaire quittant la fonction publique du Land de Rhénanie-du-Nord pour celle d’un autre Land, ou pour celle de l’Etat fédéral, peut conserver ses droits au régime d’assurance vieillesse des fonctionnaires.

Dans sa réponse à la deuxième question, la juridiction européenne formule une réponse simple : si la technique de l’interprétation conforme ne suffit pas à protéger les droits que l’Union européenne confère aux particuliers, le juge allemand doit laisser la réglementation inappliquée. Conformément à une jurisprudence ancienne [4], ce dernier doit, dans l’attente d’une potentielle réforme structurelle, s’accorder sur les droits du groupe le plus favorisé. En l’espèce, le groupe le plus favorisé étant représenté par les fonctionnaires qui changent d’employeur public sans se retrouver rétroactivement affiliés au régime – moins favorable – de pension vieillesse général.

Notes de bas de page

  • Nous précisons ici que la situation du demandeur ne relève pas de l’exception du §4 de l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Voir, dans ce sens, l’ordonnance du 10 mars 2005, Marhold, C-178/04.
  • Le demandeur s’était vu reversé rétroactivement dans le régime général d’assurance vieillesse, au demeurant moins favorable sur le plan financier.
  • L’objectif avancé par le Land était celui du bon fonctionnement de l’administration publique, notamment par la fidélité de ses fonctionnaires.
  • Voir, par exemple, CJUE, 26 janvier 1999, F.C. Terhoeve contre Inspecteur van de Belastingdienst Particulieren/Ondernemingen buitenland, C-18/95 : « lorsque le droit national prévoit un traitement différencié entre plusieurs groupes de personnes, en violation du droit communautaire, les membres du groupe défavorisé doivent être traités de la même façon et se voir appliquer le même régime que les autres intéressés, régime qui (…) reste le seul système de référence valable ».