Brèves du prétoire et d'ailleurs ...

Précisions sur le régime d'attribution et de renouvellement des concessions sur le domaine public italien : le respect des règles de la concurrence s'impose !

CJUE, 5ème chbre, 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl e.a c. Consorzio dei comuni della Sponda Bresciana del Lago di Garda e del Lago di Idro e.a, Aff. Jointes C-458/14 et C-67/15.

Dans la première affaire, un consortium de communes italiennes avait contracté avec une société désireuse d’occuper le domaine public du lac de Garde. Pour ce faire, il avait attribué, par deux décisions des 16 juin et 17 août 2006, à l’entreprise Promoimpresa, une concession pour l’exploitation d’une zone domaniale afin d’y installer des kiosques, vérandas, et pontons. Cet accord devait prendre fin de plein droit au 31 décembre 2010.

Le droit italien prévoyait un droit de préférence en faveur du concessionnaire sortant dans le cadre de la procédure d’attribution des concessions du domaine public maritime. Cela a été contesté par la Commission européenne, et modifié par le législateur italien. Toutefois, ce dernier optera pour une solution tout aussi critiquable : le renouvellement automatique des concessions tous les 6 ans. Là encore, la Commission va remettre en cause ce choix, ce qui conduira le législateur italien à mettre fin à cette procédure.

Alors qu’en 2010, l’entreprise Promoimpresa va demander le renouvellement de sa concession, cette requête va être rejetée par le consortium un an plus tard. Pour motiver ce refus, il va invoquer deux arguments : tout d’abord, que la nouvelle concession ne pouvait être obtenue sur la base d’une simple demande de renouvellement, mais qu’il fallait mettre en place une véritable procédure publique d’appel d’offres, et d’autre part, que la concession venue à expiration excluait toute forme de renouvellement automatique.

Contestant alors cette solution devant le Tribunal administratif de Lombardie, celui-ci va qualifier le rapport existant entre l’entreprise et le consortium de concession, au sens des critères dégagés par l’Union (le droit d’utiliser un bien public domanial moyennant le versement d’une redevance périodique à l’administration, avec un risque d’exploitation qui reste à la charge de l’entreprise). Il va estimer que cette prorogation automatique des concessions crée une restriction injustifiée à la liberté d’établissement, car cela rend impossible à tout autre concurrent l’accès aux concessions arrivant à expiration.

Ainsi, le problème en l’espèce, c’est qu’avec les différentes interventions législatives successives, le bénéficiaire des concessions a vu celles-ci prorogées d’au moins onze mois, ce qui lui assure alors un droit exclusif pour l’exploitation du bien, et cela malgré l’expiration de la durée de la concession. Les opérateurs économiques susceptibles d’être intéressés par ce type de contrat ne peuvent alors y avoir accès.

Devant cette difficulté, le juge italien a décidé de surseoir à statuer et de poser la question suivante à la Cour : est-ce que le principe de la liberté d’établissement, de la non-discrimination et de la protection de la concurrence fait obstacle à une règlementation nationale qui, par l’effet d’interventions législatives successives, prévoit une prorogation répétée de la date d’échéance de concessions de biens du domaine public ?

Dans la seconde affaire, M. Melis et d’autres personnes privées géraient des activités touristico-récréatives sur une plage, en vertu de concessions de biens du domaine public maritime attribuées en 2004, pour une période de six ans, et prorogées pour une durée d’un an.

Voyant leurs titres arriver à expiration, ils ont demandé une nouvelle prorogation auprès de la commune gestionnaire, mais qui est restée sans réponse. Considérant alors qu’il s’agissait d’un accord tacite, ils en ont déduit qu’ils pouvaient poursuivre leurs activités régulièrement au cours de l’année 2012.

Le 11 mai de la même année, la commune va réorganiser l’utilisation de son espace littoral, en attribuant sept nouvelles concessions à des particuliers, dont certaines situées dans des zones faisant l’objet de concessions attribuées à M. Mélis et autres.

Ces derniers vont saisir en 2012 le TA régional de Sardaigne d’une demande d’annulation de ces décisions prises par la commune. Ils vont contester la manière dont cette dernière a procédé à l’attribution des concessions.

Ne souhaitant se prononcer directement, le juge italien va cette fois poser à la Cour deux questions : tout d’abord, est-ce que les principes de la liberté d’établissement, de la non-discrimination et de la protection de la concurrence font obstacle à une règlementation nationale qui, par l’effet d’interventions législatives successives, prévoit une prorogation répétée de la date d’échéance de concessions de biens du domaine public ? Ensuite, est-ce que la directive 2006/123 fait obstacle à la disposition italienne prévoyant la prorogation automatique des concessions sur le domaine maritime ?

Après, avoir décidé de joindre les deux affaires et accepté la recevabilité des questions préjudicielles, la Cour va commencer par répondre à la seconde question de la seconde affaire.

Elle s’emploie tout d’abord à rappeler la définition du régime d’autorisation: selon elle, il s’agit « de toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice ».

Ici, nous sommes alors face à des concessions (c'est-à-dire avec une prestation exercée et un risque de gestion assumé par les concessionnaires), que l’on peut qualifier d’autorisations. A ce titre, elles sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application de la directive 2006/123 (ce qui est laissé à la libre-appréciation du juge national). Ce texte vise l’hypothèse spécifique dans laquelle le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables. Dans ce cas, une procédure de sélection doit alors être mise en œuvre entre tous les candidats potentiels, répondant à toutes les garanties d’impartialité, de transparence, de non-discrimination et de publicité adéquate.

Or, le juge va constater que la législation italienne qui prévoit une prorogation de la date d’échéance des autorisations équivaut ni plus ni moins à un renouvellement automatique, ce qui est interdit par la directive 2006/123. En effet, cela ne permet pas l’organisation d’une procédure de sélection.

Pour le gouvernement italien, cela se justifiait afin de préserver la confiance légitime des titulaires de ces autorisations ; l’idée étant d’apporter plus de garanties pour permettre aux bénéficiaires d’amortir les investissements effectués.

La Cour va rejeter cet argument. Si la directive 2006/123 permet de s’appuyer sur des considérations liées à des raisons impérieuses d’intérêt général, cela ne peut se faire que s’il existe une procédure de sélection des candidats potentiels. En l’espèce, comme il n’existe rien de cela, qu’aucune procédure de sélection en amont n’est effective, la directive ne peut alors justifier une prorogation automatique des autorisations.

Finalement, pour répondre à cette question, le juge va considérer que la directive 2006/123 s’oppose à une mesure nationale qui prévoit la prorogation automatique des autorisations en cours et destinées à l’exercice d’activités touristico-récréatives en l’absence de toute procédure de sélection entre les candidats potentiels.

Ensuite, le juge va répondre à la question de la première affaire et à la première question de la seconde affaire (qui sont les mêmes).

Il va commencer par rappeler que les concessions de l’espèce concernent la possibilité de s’établir sur une zone domaniale en vue d’une exploitation économique, ce qui relève de l’article 49 TFUE. A ce titre, lorsque les autorités publiques sont amenées à accorder une concession, elles doivent respecter les règles fondamentales du Traité.

Cela aura un impact notamment si la concession en cause présente un intérêt transfrontalier. Son attribution, en l’absence de toute transparence, à une entreprise située dans l’Etat serait constitutive d’une différence de traitement au détriment des entreprises susceptibles d’être intéressées par celle-ci et situées dans un autre Etat membre. Cela est en principe prohibé par l’article 49 TFUE.

Cette appréciation par la Cour de l’intérêt transfrontalier certain va se faire différemment en fonction des affaires. Dans la première, la concession en cause présente un tel intérêt, notamment en raison de sa valeur économique et de la situation géographique du bien.

Ce n’est pas le cas dans la seconde affaire ; la juridiction de renvoi n’ayant pas apporté suffisamment d’éléments permettant à la Cour de juger en toute connaissance de cause. Le juge conclut alors à l’irrecevabilité de la question préjudicielle.

Pour revenir sur la première affaire, le juge européen va considérer que la législation en cause introduit un report qui retarde l’attribution des concessions par une procédure transparente d’appel d’offres, et cela doit être considéré comme une différence de traitement au détriment des entreprises situées dans un autre Etat membre et susceptible d’être intéressées par ces concessions.

Il en conclut donc, et pour répondre à la question préjudicielle posée, que l’article 49 TFUE s’oppose à une législation nationale permettant une prorogation automatique des concessions sur le domaine public, dans la mesure où elles présentent un intérêt transfrontalier certain.