Politiques internes

Âge maximal d’exercice de la profession de pilote et principe de non-discrimination en raison de l’âge

CJUE, 13 septembre 2011 Reinhard Prigge et autres c. Deutsche Lufthansa AG, aff. C-447/09.

Dans un arrêt de grande chambre, rendu sur renvoi préjudiciel en interprétation, du 13 septembre 2011  la Cour de justice a livré une interprétation du principe de non-discrimination en raison de l’âge dont la portée dépasse la seule question des pilotes de ligne intéressés en l’espèce. Rappelons que le principe de non-discrimination en raison de l’âge tel que reconnu dans de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JOCE L 303 du 2 décembre 2000, pp. 16 – 22) est un principe général du droit de l’Union (CJCE, 2 novembre 2005, Werner Mangold contre Rüdiger Helm, aff. C-144/04, Rec. 2005 p. I-9981, pt. 75) qui a été « concrétisé » par la directive 2000/78 (CJUE, 19 janvier 2010, Seda Kücükdeveci contre Swedex GmbH & Co. KG., aff. C‑555/07) et se trouve désormais reconnu à l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux.

Les faits à l’origine de la procédure contentieuse nationale mettent aux prises des pilotes de la compagnie allemande Deutsche Lufthansa et cette dernière, en raison de la rupture automatique de leur contrat de travail pour le seul motif qu’ils avaient atteint la limite d’âge de soixante ans. Une telle décision trouvait son fondement dans les dispositions de la convention collective régissant les relations de travail du personnel de bord de la compagnie allemande.

Au terme d’une interprétation rigoureuse de la directive 2000/78, la Cour constate non seulement que les conventions collectives doivent respecter le droit de l’Union au même titre que les dispositions de nature législative ou réglementaire mais, plus fondamentalement, que le principe de non-discrimination en raison de l’âge qu’elle comporte s’oppose aux dispositions prévoyant la cessation automatique de la relation de travail pour les pilotes atteignant l’âge de 60 ans. Une telle solution, évidemment transposable à l’ensemble des personnels dont l’activité professionnelle est soumise à une limite d’âge emportant cessation automatique de la relation contractuelle de travail, doit néanmoins être précisée pour en apprécier l’exacte portée.

Il ressort clairement du raisonnement de la Cour que la cessation automatique de la relation contractuelle en cause constitue une différence de traitement directement fondée sur l’âge (pt. 45) qui, pour ne pas être qualifiée de discriminatoire et être par conséquent interdite, doit remplir les conditions des justifications permises par la directive. À cet égard, par son analyse successive des différents motifs de justification établis dans cette dernière, la Cour de justice confirme implicitement que des différences de traitement en raison de l’âge peuvent être justifiées non seulement sur le fondement de l’article 6 de la directive, qui les vise expressément, mais également en mobilisant l’article 4 relatif aux exigences professionnelles ou l’article 2 qui définit le concept même de la discrimination. Une telle solution offre évidemment des possibilités de justification plus étendues que le seul recours à l’article 6 en matière de différence de traitement en raison de l’âge et la potentielle réduction corrélative de la protection offerte par la directive, mais permet assurément de garantir le juste équilibre entre l’impératif de lutte contre les discriminations de ce type et la sauvegarde d’intérêts concurrents. À cet égard, rappelons que l’article 6, §1 prévoit que « les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ». Si était adoptée une lecture restrictive impliquant que les différences de traitement en raison de l’âge ne pourraient être justifiées que sur le fondement de ce seul article, les exigences de sécurité ou de santé publique ne pourraient être invoquées, sauf à adopter une lecture extrêmement extensive de l’article 6, à l’image de la Cour de Cassation en France (v. par ex., Cass., Soc., 11 mai 2010, n°08-45307, Bulletin 2010, V, n° 105 ). La Cour de justice ne s’engage heureusement pas dans cette voie (pts. 79 à 82) et livre une lecture précise de chaque motif de justification, témoignant du traitement juridique rigoureux de l’encadrement, parfois difficilement saisissable, du principe de non-discrimination.

En l’espèce toutefois, la présence de règles internationales qui prescrivent la limite d’âge d’exercice de la profession de pilote à soixante-cinq ans, moyennant des restrictions quant aux modalités d’exercice de leur activité professionnelle, implique que toute justification est écartée. En effet, au regard de la justification de l’article 2, §5 de la directive qui prévoit que celle-ci « ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d'autrui », la Cour constate que les règles internationales excluent que la cessation de l’activité de pilote après 60 ans soit nécessaire pour garantir la sécurité. Elle constate, dès lors, que la disposition contestée ne peut être qualifiée de « nécessaire » au sens de la directive (pt. 63). De manière analogue, la justification de la limite d’âge en tant qu’ « exigence professionnelle essentielle et déterminante » conformément à l’article 4, §1 de la directive est écartée. Une telle justification devant être proportionnée à un objectif légitime, la sécurité du trafic aérien en l’espèce, la comparaison avec les règles internationales révèle pour la Cour l’absence de proportionnalité de la mesure établie dans la convention collective (pt. 75), des mesures moins contraignantes que l’interdiction pure et simple d’exercer étant envisagées par ailleurs. En dernier lieu, la Cour écarte rapidement la justification prévue à l’article 6, §1 de la directive 2000/78, dans la mesure où la disposition concernée ne peut raisonnablement être interprétée comme incluant la sécurité parmi les motifs légitimes spécifiques prévus en matière de discrimination en raison de l’âge (pt. 82). 

En conclusion, la présente décision ravira assurément les pilotes de ligne désireux d’exercer jusqu’à l’âge de 65 ans, comme la règlementation internationale le prévoit. L’interprétation donnée par la Cour permet, plus généralement, de préciser les conditions d’appréciation des justifications établies dans la directive 2000/78 et démontre une nouvelle fois que des règles internationales qui ne lient pas l’Union peuvent avoir des effets, indirects par le biais du contrôle de nécessité et de proportionnalité, sur l’interprétation du droit dérivé confirmant la solution adoptée en son temps dans l’arrêt Intertanko (CJCE, 3 juin 2008, The Queen, on the application of International Association of Independent Tanker Owners (Intertanko) and Others v Secretary of State for Transport, Aff. C-308/06, Rec. 2008 p. I-04057, pt. 52).

Auteurs


Vincent Correia

jade@u-bordeaux4.fr