Von Hannover 2 (le retour) : Le droit au respect de la vie privée de la Princesse Caroline au royaume de la liberté de la presse
Ces dernières années, les membres de la famille princière monégasque alimentent, outre la presse à scandale, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme sur la question récurrente et délicate de la conciliation du droit au respect de la vie privée avec la liberté d'information.
En effet, la Princesse Caroline de Hanovre, après avoir obtenu la condamnation de l'Allemagne par la Cour européenne des droits de l'Homme avec le célèbre arrêt Von Hannover du 24 juin 2004, en raison de la publication de photographies attentatoires à son droit au respect de la vie privée, agit de nouveau devant la même juridiction au soutien de l'article 8 de la Convention, pour des faits en apparence similaires. On aurait pu penser que suite à une telle condamnation, la vie privée de la Princesse serait plus protégée en Allemagne et moins sujette à la traque des paparazzis. Mais, une telle condamnation ne semble pas avoir réduit les ardeurs de la presse allemande puisqu'elle a été de nouveau l'objet de photographies non autorisées ayant pour objet d'illustrer des articles relatifs à sa vie privée pendant la maladie de son père, le Monarque de Monaco. Toutefois, dans cette seconde affaire, la Cour européenne des droits de l'Homme estime que le droit au respect à la vie privée de la Princesse a été garanti dans la mesure où un juste équilibre a été assuré entre d'un part le droit d'expression et d'autre part le droit pour les personnes publiques de bénéficier d'une légitime[1] protection de leur vie privée. La Cour considère, en effet, que le droit au respect de la vie privée de la Princesse Caroline de Hanovre n'a pas été violé alors même qu'elle relève que les photographies furent prises à son insu et que les articles relatent certains éléments de sa vie privée.
Dès lors, on peut se demander si l'Allemagne évite une nouvelle condamnation parce qu'elle a su tirer les conséquences de la précédente et s'est conformée aux exigences jurisprudentielles de la Cour européenne ou si cette dernière a modifié ses considérations et présente une plus grande indulgence vis à vis de la publication de photographies non autorisées.
Le fait que l'Allemagne ne fasse pas l'objet d'une condamnation dans cette dernière affaire ne signifie pas que la Cour européenne opère un changement de solution juridique. En effet, tout au long de son arrêt du 7 février 2012, la Cour européenne se réfère à l’arrêt Von Hannover 1. De plus, elle félicite les autorités allemandes d'avoir modifié leur position sur la question du droit au respect de la vie privée des personnes publiques et d'avoir intégré dans leur système juridique, les principes dégagés par sa jurisprudence de 2004. Enfin, elle reprend, dans l'argumentation de sa décision, les principes dégagés en 2004 à savoir l'exigence d'une information d’intérêt général et la prise en considération des circonstances dans lesquelles les photographies ont été effectuées. Par conséquent, la Cour européenne n'opère pas de revirement de jurisprudence et se contente de maintenir les principes dégagés par sa jurisprudence antérieure. Elle estime donc que le droit au respect de la vie privée de la Princesse a été correctement garanti au regard des critères posés par la jurisprudence Von Hannover 1. Ainsi, la Cour considère, d'un part, que les photographies publiées viennent illustrer un article présentant pour "partie au moins" un intérêt général puisqu'il porte sur la santé du Prince gouvernant de Monaco. D'autre part, elle note que les photographies ne sont pas en elles-mêmes dégradantes ou offensantes, dès lors ne justifient pas une interdiction. Partant, un équilibre a été assuré entre le droit d'expression contenu à l'article 10 et le droit au respect de la vie privée consacré par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme.
Dans l’arrêt Von Hannover du 24 juin 2004, la Cour européenne des droits de l'Homme avait condamné l'Allemagne pour ne pas avoir assuré cet équilibre entre les deux droits fondamentaux dans la mesure où son système juridique n'offrait aucune protection aux personnes publiques se trouvant dans les lieux publics en vertu de sa jurisprudence des "personnalités absolues de l'histoire contemporaine[2]". La jurisprudence Von Hannover pose le principe que l'image, même de personnes publiques se trouvant dans des lieux publics, relève du droit au respect de la vie privée et justifie à ce titre une "espérance légitime[3]" de protection. La liberté d'expression et d'information peut cependant justifier la publication d'images dès lors qu'elles servent à illustrer un article qui présente un intérêt général. À l'inverse, les photographies et articles, qui portent "exclusivement[4]" sur des éléments de la vie privée et qui ne présentent aucune information d'intérêt général, doivent être interdites. Dans le second arrêt Von Hannover, la Cour européenne des droits de l'Homme maintient l'exigence pour les articles et les photographies de contribuer "au moins pour partie" à un débat "d'intérêt général" afin que leur publication soit licite. Ainsi, dans cette dernière affaire, les photographies présentaient, au dire des organes de presse et des autorités judiciaires allemandes, un caractère d’intérêt général entendu de manière large dans la mesure où elles servent à illustrer un article relatif à la santé du "Prince gouvernant de Monaco et la façon dont les enfants du Prince conciliaient les obligations de solidarité familiale avec les besoins légitimes de leur vie privée dont faisait partie les vacances".
On peut se demander si en réalité, les médias et les autorités étatiques allemandes très attachés à la presse à sensation, ne jouent pas sur l’aspect "exclusivement" privée, ce qui leur offre ainsi la possibilité de publier une photographie qui relève de l'intimité des personnes, telle que des vacances en famille, à partir du moment où l'article l'accompagnant parvient à relier les faits à un "événement de l'histoire contemporaine[5]". N'est-il pas ainsi tentant pour la presse de satisfaire la curiosité du lecteur en publiant des photographies purement privées sous le prétexte fallacieux de traiter d'une question d’intérêt général ?
La requérante n'a d'ailleurs pas manqué de soulever ce problème. Toutefois, les autorités allemandes dans le cadre de cette affaire, semblent avoir été vigilantes sur ce point et n'ont pas hésité à interdire la publication de certaines photographies, qui sous le camouflage d’intérêt général, se révélaient avoir pour seul objet de satisfaire la curiosité des lecteurs. Ce comportement des autorités allemandes, ajouté à leur prise en considération de la jurisprudence Von Hannover 1 dans leur système juridique, ne peut être interprété, par la Cour européenne des droits de l'Homme, que comme une preuve de vigilance et d'un contrôle sérieux des juridictions internes dans la mise en balance du droit à l'expression avec celui du droit au respect de la vie privée. De plus, la Cour européenne des droits de l'Homme, dans cet arrêt s'annonce vigilante sur la question du détournement de sa jurisprudence. Elle précise, en effet, qu'elle se réserve le droit de condamner des articles de presse, qui sous le prétexte de l’intérêt général, auraient pour seul objet de divulguer la vie privée des personnes publiques.
Pour finir, on peut dire que si cette décision ne fait qu'appliquer les principes de la jurisprudence antérieure avec une souplesse dans l'appréciation et l'exigence de degré de l’intérêt général, elle ne semble, cependant, pas s'inscrire dans l'esprit de l’arrêt Von Hannover 1 qui avait pour objet de circonscrire les actions de la presse people. On peut donc s'étonner que la Cour européenne reconnaisse, au présent article, un intérêt général. La Cour européenne ne semble donc pas vouloir censurer systématiquement la presse people contrairement à ce que craignaient ou souhaitaient certains auteurs suite à l’arrêt Von Hannover 1.
Toutefois, cette différence de solution, s'explique également et principalement, par le contrôle limité auquel est astreint cette juridiction. En effet, sa mission n'a pas pour objet d'opérer un contrôle in abstracto de la législation et pratique allemande, ni même, de savoir si, comme le prétend la requérante, la modification de la jurisprudence allemande n'est qu'un leurre. L'objet de son contrôle se limite à savoir si la conciliation des deux droits fondamentaux a été respectée pour le cas d'espèce. Enfin, la Cour rappelle également que les États disposent d'une marge d'appréciation en la matière.
Notes de bas de page
- CEDH, 3ème section, 24 juin 2004, Von Hannover 1 c. Allemagne, n° 59320/00.
- CEDH, 3° section, 24 juin 2004, Von Hannover 1 c. Allemagne, précité.
- CEDH, 3° section, 24 juin 2004, Von Hannover 1 c. Allemagne, précité.
- Renucci (Jean-François), "La liberté d'expression n'est pas sans limites", recueil dalloz, n° 35, 07/10/2004, p. 2538.
- CEDH, Grande chambre, 7 février 2012, Von Hannover 2 c. Allemagne, n° 40660/08 et 60641/08, §118.