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Directive « retour » et réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures

CJUE, grde chbre, 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales c. Abdelaziz Arib e. a., Aff. C-444/17, ECLI:EU:C:2019:220

La directive « retour » est-elle applicable dans la situation où un Etat membre a réintroduit de manière temporaire les contrôles à ses frontières intérieures ? Telle était, en substance, la question posée à la Cour de justice par la Cour de cassation française.

Le litige concernait M. Arib, ressortissant marocain, qui a fait l’objet d’un contrôle à la frontière franco-espagnole. Suspecté d’être entré irrégulièrement sur le territoire français, celui-ci a été placé en garde à vue puis en rétention administrative dans le cadre d’une OQTF. Le juge des libertés et de la détention a, toutefois, prononcé la nullité de la garde à vue. Selon lui, M. Arib venait de franchir une frontière intérieure entre la France et l’Espagne, entrainant l’application de la directive « retour » qui ne permettait pas une telle possibilité. A l’inverse, le préfet estimait que celle-ci n’était pas applicable en raison de la réinstauration temporaire des frontières intérieures qui, rappelons-le, désignent les frontières communes aux Etats membres de l’espace Schengen, à la différence des frontières extérieures[1].

Cette affaire s’inscrit dans un contentieux riche relatif à la validité des gardes à vue des étrangers en situation irrégulière au regard du droit de l’Union européenne[2]. Dans un arrêt, rendu en grande chambre, le juge rappelle que l’hypothèse d’exclusion de l’application de la directive ne vaut qu’en cas de franchissement de frontières extérieures (I.), et précise logiquement que la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures ne modifie pas un tel constat (II.).

I. Le franchissement d’une frontière extérieure, condition à la nonapplication de la directive « retour »

L’enjeu de l’affaire était de savoir si le ressortissant entrait ou non dans le champ d’application de la directive « retour ». L’objet de celle-ci est de fixer des règles définissant une politique de retour efficace des étrangers en situation irrégulière, une telle politique étant considérée comme « un élément indispensable d’une politique migratoire bien gérée »[3]. De cette question découlait la légalité de la garde à vue et de la rétention de celui-ci. La Cour de justice a, en effet, encadré les possibilités d’emprisonner un ressortissant d’un Etat tiers entrant dans le champ d’application de la directive[4].

L’article 2 précise que ce texte est applicable à tout ressortissant de pays tiers « en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre ». Assez logiquement, la Cour de justice estime que le requérant est dans une telle situation.

Toutefois, conformément au paragraphe 2 a) de cet article, les Etats membres peuvent décider de ne pas appliquer cette directive aux ressortissants de pays tiers arrêtés lors d’un franchissement irrégulier « de la frontière extérieure d’un État membre et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner » dans cet Etat.

M. Arib pouvait-il relever d’une telle exception ? La Cour de justice estime, conformément à l’arrêt Affum[5], qu’une telle exception se rapporte « exclusivement au franchissement d’une frontière extérieure (…) et ne concern[e] donc pas le franchissement d’une frontière commune à des Etats membres faisant partie de l’espace Schengen »[6]. Ainsi, la Cour de justice rappelle que l’exception prévue à l’application de la directive ne vaut qu’en cas de franchissement de frontière extérieure, ce qui n’est pas le cas de M. Arib qui a été arrêté à la frontière franco-espagnole.

Si une telle conclusion n’est pas surprenante, le principal intérêt de l’arrêt porte sur la question de savoir si la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures modifie ou non une telle conclusion. Pour la Cour, cette circonstance ne permet pas d’écarter l’application de la directive.

II. L’absence d’effet de la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures sur les motifs de non-application de la directive

Depuis 2015, la France a réinstauré temporairement les contrôles à ses frontières intérieures, en vertu de l’article 25 du code frontières Schengen (CFS)[7]. A cet égard, le préfet estimait qu’une telle réintroduction des contrôles permettait d’écarter l’application de la directive. La Cour va logiquement réfuter cet argument.

Tout d’abord, le juge note que le libellé de l’article 2 est « dépourvu de toute ambigüité »[8]. Alors que la disposition parle explicitement de « frontière extérieure », on imagine mal comment il aurait pu en être autrement.

Ensuite, s’agissant de la finalité de la disposition, l’exception à l’application de la directive « retour » vise à appliquer des procédures simplifiées « afin de pouvoir éloigner plus rapidement les ressortissants de pays tiers interceptés » lors du franchissement d’une frontière extérieure. Or, la Cour de justice estime que la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures n’a pas pour effet que le ressortissant « puisse être éloigné plus rapidement ou aisément du territoire de l’espace Schengen »[9]. Ainsi, si la solution apparait favorable à l’étranger, celle-ci est en réalité motivée par la protection de l’effectivité de la politique de retour des étrangers en situation irrégulière. Cette ambiguïté n’est pas nouvelle mais, au contraire, systématique de la jurisprudence en la matière[10].

Le contexte dans lequel s’inscrit la disposition litigieuse confirme cette analyse. Le juge rappelle ainsi que le CFS différencie explicitement les frontières intérieures et les frontières extérieures. De plus, si l’article 32 du CFS dispose que « lorsque le contrôle aux frontières intérieures est réintroduit, les dispositions pertinentes du titre II s’appliquent mutatis mutandis », il « n’entend nullement déroger aux normes et aux procédures communes établies par la directive 2008/115 »[11]. En précisant les relations entre le CFS et la directive « retour », le juge vient limiter les effets de la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures qui « devrait rester exceptionnelle »[12] et, comme toute dérogation à la libre circulation des personnes, être interprétée de manière restrictive.

Ainsi, comme le souligne l’avocat général Szpunar, « il n’y a pas de différence entre une interception à proximité de la frontière franco-espagnole et une interception sur l’avenue des Champs-Élysées »[13], la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures ne saurait remettre en cause une telle idée.

    

Notes de bas de page

  • Directive n°2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
  • Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), article 2.
  • Voir not. CJUE, grde chbre, 6 décembre 2011, Achughbabian c. Préfet du Val-de-Marne, Aff. C-329/11, ECLI:EU:C:2011:807 ; CJUE, grde chbre, 7 juin 2016, Sélina Affum c. Préfet du Pas-de-Calais, Aff. C-47/15, ECLI:EU:C:2016:408.
  • Directive n°2008/115/CE, préc., considérant 4.
  • Voir CJUE, 6 décembre 2011, Achughbabian c. Préfet du Val-de-Marne, préc. et CJUE, 7 juin 2016, Sélina Affum c. Préfet du Pas-de-Calais, préc.
  • CJUE, 7 juin 2016, Sélina Affum c. Préfet du Pas-de-Calais, préc.
  • Point 45 de l’arrêt commenté.
  • Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen).
  • Point 51 de l’arrêt commenté.
  • Point 54 de l’arrêt commenté.
  • Voir par ex. BERTRAND (Brunessen), « La Cour de justice et la directive retour : la stratégie du Roseau », RAE-LEA, 2011/4, p. 845 ; CAIOLA (Antonio), « Migrants irréguliers et limites aux sanctions pénales nationales », RAE-LEA, 2016/2, spéc. p. 306.
  • Point 64 de l’arrêt commenté.
  • Règlement (UE) 2016/399, préc., considérant 21.
  • Concl. de l’avocat général M. Szpunar, 17 octobre 2018, Aff. C-444/17, ECLI:EU:C:2018:83, point 4.