Relations extérieures de l'Union

Les institutions sont soumises à une obligation de « due diligence » dans leur appréciation des faits justifiant l’imposition d’un droit antidumping

CJUE, Gde Chbre, 19 juillet 2012, Xinan Chemical, Aff. C‑337/09 P.

La politique antidumping de l’Union à destination des produits chinois fait l’objet, depuis ces dix dernières années, d’une contestation accrue[1]. L’arrêt Xinan Chemical, rendu sur pourvoi, constitue une illustration des velléités protectionnistes du Conseil et de la Commission. Dans cette affaire, en adoptant le règlement n° 1683/2004, le Conseil a rejeté la demande de l’exportateur chinois de bénéficier du statut d’entreprise opérant dans les conditions d’une économie de marché (SEM), et a imposé à la société Xinan Chemical un droit antidumping de 29,9 % sur ses exportations de glyphosate en provenance de Chine[2].

Selon Xinan Chemical, les conditions fixées par ce règlement auraient dû lui permettre de bénéficier de ce statut et d’éviter d’être frappé par un droit antidumping. En première instance, les deux arguments principaux avancés par la société ont été validés par le Tribunal. D’une part, selon ce dernier, s’il est vrai que l’actionnaire prépondérant demeure l’État[3], celui-ci n’est pas majoritaire et, en tout état de cause, cet unique élément ne suffit pas pour considérer qu’il existe une « intervention significative de l’État » au sens du règlement de base. D’autre part, le constat selon lequel que la Chambre de commerce chinoise représentant les importateurs et les exportateurs de métaux, de minéraux et de produits chimiques (la CCCMC), octroie des visas à l’exportation, n’est pas suffisant pour attester que l’État a « exercé un contrôle significatif sur les prix du produit concerné et que ce mécanisme constituait une “intervention significative de l’État” »[4] au sens du règlement. Dès lors, le Conseil a commis une erreur manifeste d’interprétation en s’appuyant sur cet unique élément de fait pour viser directement et individuellement la requérante dans le règlement n° 1683/2004[5].

Suite à cette annulation, le Conseil a décidé de saisir la Cour. Entre temps, il a toutefois adopté un règlement d’exécution clôturant la procédure antidumping et abrogeant les effets des mesures antidumping à compter de son entrée en vigueur[6]. La société Xinan Chemical s’est d’ailleurs appuyée sur ce changement d’attitude de la part du Conseil et de la Commission pour soulever une exception d’irrecevabilité devant la Cour. Elle estimait que le Conseil ne disposait plus d’intérêt à agir dans la mesure où l’adoption du règlement d’exécution, par son effet abrogatif, aurait fait disparaître les conséquences de l’arrêt attaqué. En d’autres termes, elle invoquait la jurisprudenceRendo selon laquelle « l’existence d’un intérêt à agir du requérant suppose que le pourvoi soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté »[7]. Cet argument ne pouvait être accueilli en ce sens où il confondait délibérément les effets ex tunc de l’annulation, par le Tribunal, du règlement n° 1683/2004 et les effets ex nunc de son abrogation, par le Conseil, en application du règlement d’exécution n° 1187/2010.

Sur le fond, la Cour a entériné les justifications du Tribunal. D’une part, le fait de considérer que le contrôle étatique de la société équivalait automatiquement à une« intervention significative de l’État » au sens du règlement du 24 septembre 2004, ne saurait « dispenser le Conseil et la Commission de l’obligation de tenir compte des éléments de preuve, apportés par le producteur concerné, relatifs au contexte factuel, juridique et économique concret dans lequel celui-ci opère »[8]. Le critère tenant à l’intervention significative de l’État suppose en effet une « ingérence effective »[9] de l’État dans les activités commerciales de la société concernée. En l’absence de tout élément de preuve apporté par le Conseil et la Commission, la Cour ne pouvait qu’entériner l’annulation prononcée par le Tribunal. L’exigence d’une appréciation in concretodu rôle de l’État-actionnaire doit être saluée. Juger que la seule participation d’une personne publique, majoritaire ou non, au capital d’une société, serait incompatible avec les règles de l’économie de marché aurait été intellectuellement étonnant. S’il est vrai que dans une économie obéissant aux lois du marché on se doit d’être attentif aux comportements des pouvoirs publics, leur participation au capital de sociétés privées n’a jamais été considérée comme l’antichambre de l’économie planifiée, pour ne pas dire socialiste…

D’autre part, le demandeur estimait que le Tribunal avait « dépassé les limites du contrôle juridictionnel en constatant une erreur manifeste commise par les institutions lors de leur appréciation du mécanisme de visa des contrats à l’exportation géré par la CCCMC »[10]. Les arguments avancés n’ont pas suffit à emporter la conviction de la Cour. Le large pouvoir d’appréciation laissé aux institutions de l’Union en matière antidumping, « en raison de la complexité des situation économiques, politiques et juridiques »[11] n’est pas remis en cause. Il n’exonère cependant pas ces mêmes institutions de leur obligation de « tenir dûment compte des éléments de preuve pertinents apportés par le producteur »[12]. Cette obligation de diligence s’impose d’autant plus aux institutions qu’elle constitue un corollaire du principe de bonne administration[13]. A cet égard, on doit relever une certaine tendance du juge de l’Union à soumettre les relations extérieures au principe de bonne administration. L’arrêt Sophie In’t Veld[14], dans un contexte, il est vrai, différent, s’inscrit également dans ce mouvement. Par ce biais, le juge réintroduit le principe démocratique au sein des relations extérieures à travers le prisme de la démocratie administrative, elle-même corollaire du principe de bonne administration.

Cette décision révèle clairement la volonté du juge de l’Union de soumettre les institutions à une obligation générale de « due diligence » dans le domaine de l’antidumping. Cette obligation risque de s’avérer contraignante lorsque l’on sait combien la Chine navigue entre les catégories juridiques résultant des règles commerciales internationales. Tour à tour pays en développement selon le système des préférences généralisées, pays n’ayant pas une économie de marché dans le cadre du droit antidumping mais dont les sociétés peuvent, sous certaines conditions, être assimilées à celles opérant dans une économie de marché, l’Union européenne va devoir établir une stratégie claire à l’égard de ce pays et plus largement, à l’égard des pays que l’on appelle émergents.

Notes de bas de page