Conseil de l'Europe et Convention européenne des droits de l'homme

Affaire Volodina c. Russie - L’absence de définition légale des violences conjugales et de prise en charge des victimes condamnées

Cour européenne des Droits de l’Homme, 3ème section, 9 juillet 2019, Volodina c. Russie, affaire n°41261/17

L’affaire portée par Valeriya Volodina devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, révèle, qu’en plus des multiples violences conjugales dont sont victimes les femmes, celles-ci ne sont pas (ou peu) prises en charge par les autorités russes. En effet, plus de 41%[1] de femmes russes ont été victimes de violences physiques au moins une fois dans leur vie par leur compagnon. De plus, la Russie ne prévoit aucune définition légale de la violence conjugale, ni de mesure de protection et de prise en charge des victimes. C’est pourquoi, la Russie a été condamnée, le 9 juillet 2019, par la juridiction de Strasbourg.

Retour sur les faits de l’affaire Volodina c. Russie : moins d’un an après son installation à Ulyanovsk, en 2014, avec son compagnon, Valeryia Volodina déménage à la suite de multiples violences – physiques et verbales - et menaces de mort reçues par ce dernier. La longue lutte contre les violences va perdurer pendant plusieurs années, jusqu’en 2018 où cette dernière décide de changer son nom, craignant pour sa sécurité et sa vie. Pendant toutes ces années, Madame Volodina tente de déménager à Moscou. Mais son ex-compagnon la retrouve, l’enleve jusqu’à Ulyanosk, lui volant plusieurs de ses effets personnels dont son téléphone portable. Pendant cette période, elle reçoit des coups multiples, dont certains dans le ventre, alors qu’elle était enceinte, provoquant une fausse couche. Le système de frein de sa voiture fut saboté par son ex-compagnon et un système de géo-localisation fut retrouvé dans le sac de Valeriya Volodina. À maintes reprises, elle tente d’alerter les autorités judiciaires russes. La seule enquête ouverte par les autorités concernait la publication des photos de celle-ci sur les réseaux sociaux sans son consentement.

Estimant que l’État russe avait manqué à ses obligations découlant de l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme interdisant la torture et les traitements inhumains et dégradants et au titre de l’article 14 combiné avec l’article 3, interdisant la discrimination à l’égard des femmes, l’affaire est introduite devant la Cour européenne des droits de l’Homme.

La juridiction strasbourgeoise accueille les demandes de Valeryia Volodina et condamne l’État russe. En effet, pour la juridiction de Strasbourg, les droits protégés par la Convention européenne des Droits de l’Homme, impliquent une lutte contre les violences conjugales, nécessitant la création d’un cadre légal et de mesures de protection des victimes (I) de la part des États. De plus, l’absence de prise en compte de l’ampleur des violences conjugales, touchant majoritairement les femmes, par les autorités peut s’analyser comme une discrimination (II) à l’égard des femmes.

I La nécessité de définition légale des violences conjugales et de mesures de prise en charge des victimes

La requérante, Valeriya Volodina, estime que la Russie a manqué à ses obligations découlant de l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme interdisant la torture et les traitements inhumains ou dégradants. La Cour va accueillir sa requête en considérant que les faits subis par la requérante pouvaient s’analyser comme des traitements inhumains ou dégradants (A), catégorisation pouvant soulever quelques interrogations, puis admet que l’État russe a manqué à ses obligations positives découlant de l’article 3, notamment par l’absence de cadre légal définissant les violences conjugales et l’insuffisance de moyens de prise en charge des victimes de violences (B).

A La gravité des violences conjugales en question

    Afin de pouvoir invoquer l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, interdisant la torture et les traitements inhumains ou dégradants, il est nécessaire de démontrer leur existence et surtout la particulière gravité de ces derniers. L’examen auquel va se livrer la cour strasbourgeoise soulève une interrogation essentielle : les violences conjugales, dont est victime la requérante, s’analysent-elles comme torture ou traitement inhumains ou dégradants ?

    L’examen de la Cour européenne des Droits de l’Homme commence donc, par le rappel opportun, de la kyrielle de formes[2] que peuvent revêtir les violences conjugales - violences physiques, verbales, sexuelles, économiques, psychologiques - et que celles-ci touchent majoritairement les femmes[3]. Les juges soulignent également qu’aucun État n’est épargné par l’existence des violences domestiques. Nécessitant par conséquent, une implication active et constante de ces derniers afin de protéger au mieux les victimes, le plus souvent donc, les femmes.

La juridiction strasbourgeoise appuie son argumentation en rappelant que de nombreux instruments juridiques internationaux[4] soulignent cet impératif de lutte contre les violences domestiques et le caractère vulnérable[5] de ses victimes. Le critère de vulnérabilité est d’ailleurs fréquemment utilisé par les juges de Strasbourg pour les affaires de violences conjugales, afin confirmer la nécessaire prise en compte de ces violences touchant particulièrement les femmes. Avec ces considérations préliminaires, les juges réitèrent[6] donc l’importance de la lutte contre les violences domestiques et la nécessité de la prise en charge et de la protection des victimes par les États.

À la suite de ce rappel général, mais non sans importance, la Cour poursuit son analyse, par l’examen des violences subies par Valeriya Volodina et leur degré de gravité. C’est sur ce point que l’examen de cette décision mérite une certaine attention. Les violences subies par la requérante sont facilement démontrables, puisque les - nombreux - rapports de police ainsi que des rapports médicaux attestent de ces dernières. Les juges insistent également sur la peur, l’anxiété, le sentiment d’insécurité et d’impuissance que peuvent générer ces violences.

Face à de tels faits, les juges activent donc la protection de l’article 3, en qualifiant ces faits de traitements inhumains. Cependant, plusieurs juges[7] de la Cour européenne des Droits de l’Homme ont, dans des opinions séparées, pointé du doigt cette classification. Selon eux, les faits subis par Madame Volodina pourraient s’analyser en termes de « torture ». La répétition de diverses violences, leur gravité, la coercition et l’intimidation, le sentiment de crainte pour sa vie, mais également l’intentionnalité de la victime de « punir » et de « se venger de la victime »[8], atteignent pour eux, le degré suffisant pour la qualification de torture. En effet, il existe une claire distinction[9] de degré entre des traitements inhumains et dégradants et des faits de torture. Cette catégorisation pourrait, en plus du message symbolique envers la lutte contre les violences faites aux femmes et plus généralement l’égalité entre les sexes, augmenter[10] le niveau de protection des femmes victimes de violences conjugales. Le contraire pourrait notamment amener à une réduction de l’indemnisation de la victime.

B. L’obligation de définition légale des violences conjugales et de mesures de prise en charge pour les victimes

    Suite de la catégorisation des faits subis par la requérante, les juges de Strasbourg vont dès lors déterminer si l’État russe a respecté les obligations positives découlant de l’article 3, à savoir : l’obligation d’établir un cadre légal adéquat contre les violences domestiques, de prendre toutes les mesures pour prévenir des risques de violences conjugales et enfin, l’obligation d’enquête à la suite d’allégations de violences conjugales. Les juges vont vérifier l’ensemble de ces obligations et conclure pour les trois, au manquement de la Russie emportant ainsi une violation de l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme par l’État russe.

L’un des premiers constats à effectuer, est l’utilisation fréquente des instruments de soft law de Droit international comme les travaux du Comité des Nations-Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (ci-après CEDAW) et du Rapporteur spécial des Nations-Unies (sur les violences faites aux femmes et sur la torture et les traitements inhumains) au sein des développements émis par les juges. La juridiction de Strasbourg avait déjà l’habitude de le faire pour des affaires similaires traitant de violences conjugales, mais dans cette affaire, les juges y accordent un poids particulier. L’usage de cette référence par la juridiction montre une fois de plus l’importance pour la Cour européenne des Droits de l’Homme de l’égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des inégalités de genre, ce que souligne le juge Pinto De Albuquerque[11] dans son opinion séparée.

Concernant l’existence d’un cadre législatif permettant de lutter contre les violences domestiques, la Cour commence par rappeler la nécessité pour les États de mettre en place des normes juridiques adéquates afin de protéger les victimes. Les juges font, de nouveau, référence à l’arrêt Opuz c. Turquie, fondateur en matière de violences faites aux femmes.

Les juges montrent qu’il y a différentes façons d’assurer un tel cadre juridique : soit en créant une infraction spécifique (elle s’appuie sur l’exemple de la Moldavie), soit par la création de circonstances aggravantes (elle cite l’exemple de la Lituanie, de la Roumanie et de la Croatie - la France utilise également cette technique -), traduisant ainsi son respect pour le choix des États membres dans la façon d’encadrer juridiquement les violences conjugales.

Or la Russie n’a aucun de ces instruments juridiques. En effet, il n’existe aucune norme juridique permettant de protéger et de lutter contre les violences domestiques (faites aux femmes). Plus encore, il n’existe aucune définition des violences domestiques dans la législation russe. La seule exception correspond à la période allant de juillet 2016 à janvier 2017, où les violences domestiques étaient alors considérées comme une circonstance aggravante. Mais le 25 janvier 2017[12], la Russie est revenue à la situation précédant juillet 2016 ; les violences domestiques n’ont depuis, plus de cadre légal. La Cour remarque également que la charge de la preuve et l’initiative des poursuites reposent entièrement sur la victime. Elle s’appuie sur les travaux du Comité CEDAW pour montrer que ces derniers éléments pouvaient empêcher l’accès à la justice des femmes victimes de violences conjugales. La juridiction conclut donc, à l’absence de cadre législatif adéquat de la part de la Russie, pour lutter contre les violences domestiques.

Les manquements de la Russie ne s’arrêtent pas là. En effet, la deuxième obligation positive découlant de l’article 3, est la mise en place de mesures protectrices afin de prévenir des les risques de telles violences. Dans son raisonnement, la Cour prend en compte la particularité des violences domestiques et la nécessité d’agir rapidement en cas de menace ou de risque de violences. Elle ajoute que dans une « large majorité des États membres du Conseil de l’Europe »[13], il existe des mécanismes permettant de prévenir de telles violences - comme les ordonnances de protection permettant l’éloignement de l’auteur de violences - renforçant ainsi le caractère exceptionnel de l’absence de prise en charge de la Russie des violences conjugales.

En l’espèce, la requérante a plusieurs fois alerté les autorités russes des violences répétées. Malgré ces avertissements, les institutions n’ont aucunement recherché à enquêter auprès de l’auteur et en ont déduit qu’il s’agissait d’une « affaire privée entre la requérante et ce dernier »[14]. Même après l’ouverture d’une enquête en 2018, alors qu’elle avait demandé aux autorités des mesures de protection, le rapport d’enquête ne fait aucune mention des différentes violences, et pire, les occulte : car elles ne constituent « pas de réelles menaces pour sa personne ou ses biens »[15]. La Cour strasbourgeoise insiste longuement sur cette absence de prise en charge, pour en conclure que la Russie n’avait manifestement pris aucune mesure pour prévenir ces violences.

Pour terminer, la dernière obligation positive qu’implique l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme à la charge de ses États membres est l’obligation d’enquête à la suite d’allégations de violences conjugales. Ici encore la Russie est condamnée. La Cour apporte une importance particulière à la conduite des autorités russes dans la prise en charge de la situation de la requérante. Elle note notamment la réticence particulière des autorités de police de prendre en charge et d’enquêter sur les allégations de violences. Par exemple, aucun examen médico-légal n’a été mis en place, alors que Valeryia Volodina présentait des blessures manifestement visibles. Ce n’est que deux mois après, que le procureur a ordonné un examen, ce qui s’est relevé inutile étant donné le laps de temps écoulé depuis la plainte de la requérante. Les juges reconnaissent même la mise en place de « tactiques »[16] employées par les autorités de police pour expédier l’affaire ou la banalisation des faits de violences rapportés par la requérante.

Ainsi, la Cour européenne des Droits de l’Homme, grâce à l’utilisation des travaux du CEDAW, la comparaison des législations de ses États membres et surtout l’analyse complète du système légal et judiciaire russe concernant les violences domestiques, condamne la Russie pour manquement à ses obligations au titre de l’article 3. Partant, elle « donne quelques éclaircissements sur la manière dont un Etat doit s'armer juridiquement pour combattre les violences domestiques »[17]. Un État doit donc, en plus de définir et sanctionner les violences domestiques, mettre en place des mesures de prises en charge et de poursuites afin de protéger les victimes de telles violences. L’absence d’un tel cadre législatif est susceptible de s’analyser comme une discrimination (II) à l’égard des femmes.

II. L’absence de prise en charge juridique des violences conjugales, une discrimination à l’égard des femmes

    Afin de montrer l’existence d’un effet discriminatoire envers les femmes du droit russe concernant les violences conjugales,     la Cour européenne des Droits de l’Homme va mettre en lumière que les femmes sont touchées de manière disproportionnée par les violences conjugales (A). Ensuite, les juges montrent que les autorités russes n’ont pris aucune mesure (B) afin de remédier à cette situation, créant ainsi une discrimination à l’égard des femmes.

A. L’atteinte disproportionnée des femmes victimes de violences conjugales

    Afin de montrer l’éventuelle discrimination envers les femmes, il faut démontrer que les femmes sont touchées de façon disproportionnée par les violences conjugales par rapport aux hommes. La Cour européenne des Droits de l’Homme va s’appuyer majoritairement, pour son examen, sur les statistiques fournies devant son prétoire par la requérante ou différentes institutions - l’État russe n’ayant communiqué aucune donnée.

La Cour européenne des Droits de l’Homme débute donc son analyse en reprenant, une fois de plus, les travaux et les recommandations émis par le CEDAW. Depuis 25 ans, le comité du CEDAW reconnaît la nécessité de collecter des statistiques sur l’ampleur, les causes et les effets des violences sexistes. Dans un rapport datant de 1992, l’organe avait mis en avant le manque de statistiques concernant les violences faites aux femmes en Russie. Plus de deux décennies plus tard, le CEDAW continue d’alerter sur le nombre élevé de violences sexistes et sexuelles qui touche les femmes russes, et toujours, une insuffisance de statistiques sur cette thématique.

La juridiction strasbourgeoise poursuit son analyse en reprenant cette fois-ci un rapport de l’association internationale non-gouvernementale Human Rights Watch qui met en lumière le lien[18] entre l’absence de statistiques sur les violences faites aux femmes et l’absence de définition légale des violences domestiques au sein de la législation russe.

Les juges prennent également en compte les rapports transmis par la requérante concernant les violences conjugales faites aux femmes ; la Cour en profite d’ailleurs pour pointer du doigt l’Etat russe qui n’a soumis aucune donnée, contrairement à la requérante. Les rapports montrent que dans la période allant de 2015 à 2017, les femmes représentent entre 67% et 74% des victimes des infractions commises au sein des ménages. Cependant, en reprenant les indications du Rapporteur spécial des Nations-Unies, le nombre de femmes victimes de violences conjugales est peut-être sous-estimé car de nombreux faits ne sont pas rapportés et enregistrés[19] par les autorités russes.

Enfin, les juges admettent également que les femmes (ne jouissent pas d’un égal accès à la justice, sauf pour la courte période allant de juillet 2016 à janvier 2017, notamment car la charge des poursuites repose sur elles. D’autant plus que, selon les statistiques de la Cour suprême Russe, les poursuites sont souvent arrêtées, et si elles ne le sont pas, allant alors jusqu’au procès, il y a de nombreux acquittements. Les victimes de violences conjugales sont donc de facto dans une situation désavantageuse concernant leur accès à la justice. Il existe donc une différence de traitement entre les femmes et les hommes concernant la prise en charge des violences conjugales.

Ainsi, devant la « force » de ces statistiques, pour reprendre les mots des juges strasbourgeois[20], les violences conjugales touchent de façon disproportionnées les femmes.

B. Les carences du droit russe dans la protection des violences conjugales faites aux femmes

    Une fois le constat fait par les juges de la Cour Européenne des Droits de l’Homme de l’ampleur des violences conjugales qui touchent les femmes en Russie, ceux-ci vont vérifier si les autorités russes ont mis en place des mesures permettant de remédier à cette situation de facto touchant les femmes. En effet, dans cette affaire, l’effet discriminatoire ne résulterait pas d’une législation particulière, mais des carences du droit russe dans la mise en place d’un cadre légal protégeant les femmes de ces violences conjugales.

La Cour commence son contrôle de conventionalité, en notant que l’article 19 de la Constitution russe met en place l’égalité des droits et libertés pour les femmes et les hommes. La juridiction strasbourgeoise montre ensuite, que les autorités russes étaient au courant de l’ampleur des violences domestiques faites aux femmes, notamment en s’appuyant sur les différents rapports du CEDAW. De plus, le rapporteur des Nations-Unies sur les violences faites aux femmes met en évidence que l’absence de législation destinée à combattre les violences domestiques contribue à l’impunité de ces crimes. Elle insiste également sur le fait que la législation russe ne définit même pas cette catégorie de violences, contrairement à d’autres États membres[21], qui ont adopté une telle législation (même si elles ne fonctionnent pas toujours en pratique).

La Cour reprend également les observations du défenseur russe des Droits humains, montrant que de nombreux projets de lois concernant les violences conjugales ont vu le jour mais qu’aucun d’entre eux n’avait été voté. Les juges de Strasbourg notent, de manière pédagogique, que pour la période allant de 2016 à 2017 des « progrès[22] législatifs » ont été mis en place afin de protéger les victimes de violences domestiques, notamment en créant une nouvelle circonstance aggravante pour les agressions sur les « personnes proches », incluant les membres de la famille. De surcroît, la création de cette dernière a permis de reclasser cette infraction, comme une infraction plus grave, dont les poursuites pouvaient être d’origine publique ou privée. Cela garantissait donc une plus grande protection des victimes à deux égards. D’une part, parce que ce type d’infraction était considéré comme plus grave, et d’autre part, parce que la charge des poursuites ne revenait plus uniquement aux personnes victimes de violences.

Pourtant, quelques mois après cette avancée, début 2017, la loi fut abrogée, créant de nouveau une absence de définition légale des violences domestiques. Par ailleurs, les nouvelles procédures permettant aux victimes de se prémunir contre ce type de violence sont encore plus contraignantes. Dans un récent rapport, que la Cour reprend, le CEDAW montre que les évolutions législatives russes « vont dans la mauvaises direction »[23].

Ainsi, la Cour conclut aux carences du droit russe dans la lutte contre les violences faites aux femmes, pouvant ainsi être sanctionnées au titre de l’article 14 combiné avec l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme interdisant la discrimination à l’égard des femmes. Les juges montrent, qu’au-delà de l’absence de protection mise en place pour Valeryia Volodina, il s’agit d’une véritable réticence des autorités russes de prendre au sérieux la lutte contre les violences domestiques et son effet discriminatoire envers les femmes

Conclusion - Cette décision rendue par la Cour européenne des Droits de l’Homme est ainsi primordiale pour les droits des femmes. Non seulement parce que les juges de Strasbourg réitèrent l’importance du combat contre les violences - conjugales - faites aux femmes grâce à son interprétation de la Convention européenne des Droits de l’Homme, aux références nombreuses aux instruments de soft law et des divers rapports des institutions travaillant sur les thématiques des droits des femmes. Mais surtout parce que la juridiction de Strasbourg admet l’obligation pour les États de prévoir un cadre juridique et des moyens de protection permettant de lutter efficacement contre les violences conjugales faites aux femmes. En attendant, depuis juillet dernier, une partie de la population russe s’est également saisie de la question et réclame l’établissement d’une loi contre les violences conjugales. Reste à savoir si les autorités russes entendront cette revendication.

Notes de bas de page

  • Françoise Daucé et Amandine Regamey, « Les violences contre les femmes en Russie : des difficultés du chiffrage à la singularité de la prise en charge », Cultures & Conflits, 85-86 | Printemps-Été 2012, le 25 juin 2013. Disponible sur le site suivant : http://journals.openedition.org/conflits/18388. Les auteures citent un rapport de l’Organisation des Nations-Unies sur l’égalité des genres.
  • § 71 « the issue of domestic violence, wich can take various forms - ranging from physical assault to sexual, economic, emotional or verbal abuse ».
  • §71 « although women make up an overwhelming majority of victims ». Les juges de Strasbourg avaient depuis la jurisprudence Opuz c. Turquie reconnue que les femmes étaient les victimes les plus touchées par les violences domestiques.
  • Par exemple, la Convention d’Istanbul, Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte de la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, entrée en vigueur le 1er août 2014. La Russie n’a pas adhéré à cet instrument juridique.
  • Marion Blondel, « La personne vulnérable en droit international », Université de Bordeaux, 2015. L’auteure montre que le genre féminin est une source de vulnérabilité en Droit international, mais traduit également une vision patriarcale du genre féminin. Il est donc nécéssaire de faire attention à son utilisation.
  • Les juges avaient déjà montré l’importance de cette lutte dans de nombreuses affaires comme l’affaire Opuz c. Turquie, Bevacqua c. Bulgarie et Hajduvoá c. Slovaquie.
  • Trois juges ont formulé des opinions séparées, le juge Pinto de Albuquerque, le juge Dedov et le juge Serghides, dans lesquelles ils mentionnent la mauvaise catégorisation des faits subis par la requérante. Selon eux, les faits subis pourraient s’analyser comme des faits de torture. Opinion séparée du juge Serghides §5 : « an erroneous assessment of the facts and a misclassification of the kind of violation suffered by the applicant ». Opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque §7 : « In my view, the applicant’s ordeal as described in this judgment meets all the criteria for being identified as torture ».
  • Opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque §9 « In the present case, the applicant faces revengeful action from S., who deliberately seeks to punish her for leaving him ».
  • Corina Heri, « Volodina, Article 3, and Russia’s systemic problem regarding domestic violence », le 30 juillet 2019. Disponible sur le site suivant : https://strasbourgobservers.com/2019/07/30/volodina-article-3-and-russias-systemic-problem-regarding-domestic-violence/. « The Court has been clear that torture carries a special stigma, and that severity of suffering is a deciding factor ».
  • Opinion séparée du juge Serghides §3 « In my humble view, it would undermine the level of protection of the right under Article 3 and the victim, as well as his or her human dignity, if the Court were to wrongly classify a violation as “inhuman treatment” instead of “torture”. Such a wrong classification, not being in line with the real intensity of the violation, would be against the text, and the object and purpose of Article 3 ». Le juge montre qu’une mauvaise classification des faits pourraient diminuer la protection offerte par l’article 3 de La Convention européenne des Droits de l’Homme. En l’occurence, il avait proposé un montant de dédommagement plus haut que celui retenu.
  • Opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque, l’un des développement de son opinion est intitulée « Appropriate weight accorded to soft-law instruments », comme les travaux du CEDAW ou du Rapporteur spécial des Nations-Unies.
  • Isabelle Mandraud, « La Russie dépénalise les violences domestiques pour éviter la “destruction de la famille” », Le Monde, 26 janvier 2017. Disponible sur le lien suivant : https://www.lemonde.fr/europe/article/2017/01/26/contre-les-valeurs-occidentales-la-russie-depenalise-les-violences-domestiques_5069197_3214.html
  • § 88 « In a large majority of Council of Europe member States, victims of domestic violence may apply for immediate measures of protection. Such measures are variously known as “restraining orders”, “protection orders” or “safety orders” ».
  • § 90 « Despite the gravity of the acts, the authorities merely obtained explanations from him and concluded that it was a private matter between him and the applicant ».
  • § 8 « no real threats to her person or property ».
  • §97 « The police officers employed a variety of tactics that enabled them to dispose of each inquiry in the shortest possible time. The first such tactic consisted of talking the perpetrator into making amends and repairing the damage caused. Once he had replaced the broken window of her car and returned the identity papers and personal effects to the applicant, the police declared that no offence had been committed, as if nothing had ever happened (see paragraphs 11 and 35 above). Alternatively, the police officers sought to trivialise the events that the applicant reported to them. Thus, an attempt on the applicant’s life by means of cutting the brake hose in her car was treated as a minor property-damage case and the police closed the matter, citing the applicant’s failure to submit a valuation of the damage ».
  • Roseline Letteron « La CEDH et les violences à l'égard des femmes, en Russie », 14 juillet 2019. Disponible sur le lien suivant : http://libertescheries.blogspot.com/2019/07/la-cedh-et-les-violences-legard-des.html
  • §118 « The absence of comprehensive nationwide statistics in Russia has been linked to the lack of any definition of domestic-violence offences in Russian legislation ».
  • §122 « domestic violence remained seriously under-reported, under-recorded and largely ignored by the authorities ».
  • §124 « On the strength of evidence ».
  •  § 128 « The absence of any form of legislation defining the phenomenon of domestic violence and dealing with it on a systemic level distinguishes the present case from the cases against other Member States in which such legislation had already been adopted but had malfunctioned for various reasons ».
  • §128 « The positive development of Russian law offered a prospect of greater protection to victims of domestic violence ».
  • §131 « it expressed the view that the amendments decriminalising assault on close persons “go in the wrong direction” and “lead to impunity for perpetrators” of domestic violence ».