Espace de liberté de sécurité et de justice

L’effet du non-respect des délais d’exécution du mandat d’arrêt européen : une réponse logique … et rapide !

CJUE, Grande Chambre, 16 juillet 2015, Minister for Justice and Equality c. Francis Lanigan, AFF. C-237/15 PPU.

Parmi les arrêts rendus avant l’interruption estivale par la grande chambre de la Cour de Justice de l’Union européenne, l’arrêt Francis Lanigan est à remarquer, pour les questions posées à la Cour de justice, et pour les réponses que celle-ci a pu apporter ; complétant par son interprétation de la législation un vide juridique de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen concernant les conséquences du non-respect des délais d’exécution du mandat.

En l’espèce, une juridiction britannique avait émis le 17 décembre 2012 un mandat d’arrêt européen à l’encontre de M. Francis Lanigan. Celui-ci a été interpellé en Irlande en janvier 2013 et n’a pas consenti à sa remise aux autorités du Royaume-Uni. L’examen de sa situation a débuté en juin 2014. M. Lanigan estimant que sa remise serait susceptible de mettre en danger sa vie en tant que militant pour l’indépendance de l’Irlande du Nord, la High Court a demandé des informations complémentaires aux autorités britanniques pour vérifier ses dires. Ces informations ont été reçues au début du mois de décembre 2014. Lors d’une audience du 15 décembre 2014, outre une demande de remise en liberté sous caution, M. Lanigan a soutenu que la demande de remise aux autorités britanniques devait être rejetée en raison du dépassement des délais prévus dans la décision-cadre instaurant le mandat d’arrêt européen[1]. Pour traiter cette demande, la High Court d’Irlande a décidé le 19 mai 2015 d’opérer un renvoi préjudiciel en interprétation à la Cour de justice. La juridiction entend voir préciser les conséquences du non-respect des délais prévus pour le traitement de la demande de remise du mandat d’arrêt européen, et souhaite également savoir si ce non-respect ouvre droit à remise en liberté de la personne maintenue en détention dans l’attente de la décision.

Il est intéressant d’observer la réponse faite par la Cour de Justice de l’Union européenne à la double question posée. Avant de s’intéresser au fond, il convient de s’attarder rapidement sur la procédure suivie par la Cour de justice. En effet celle-ci a eu recours au mécanisme de la procédure préjudicielle d’urgence, forme de traitement particulièrement rapide du renvoi préjudiciel, qui a permis en l’espèce à l’affaire d’être traitée en 55 jours. La procédure préjudicielle d’urgence se distingue de la procédure accélérée, autre procédure permettant le traitement du renvoi préjudiciel à bref délai, par son caractère particulièrement dérogatoire et par une spécialisation des matières. En effet celle-ci ne peut concerner que les renvois préjudiciels soulevant « une ou plusieurs questions concernant les domaines visés au titre V de la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne »[2], soit l’ « Espace de liberté, de sécurité et de justice »[3]. La présente affaire, concernant le mandat d’arrêt européen, concernait bien cette matière particulière. L’urgence était particulièrement caractérisée dans cette affaire dans la mesure où l’Etat d’exécution a en principe un délai maximum de 90 jours pour traiter la demande de remise, sachant qu’en l’espèce M. Francis Lanigan était emprisonné depuis le 16 janvier 2013 (soit un an et quatre mois au moment de la décision de renvoi préjudiciel). C’est eu égard à cette privation de liberté que la quatrième chambre de la Cour a fait droit à la demande de la juridiction de renvoi et a choisi de renvoyer l’affaire devant la Grande chambre pour son traitement au fond[4].

A la question posée, la Grande chambre de la Cour répond en fournissant une interprétation attendue, distinguant sa réponse en s’intéressant successivement aux deux intéressés en présence, l’Etat d’exécution et la personne détenue. La Cour de justice confirme en effet le maintien des obligations de l’Etat d’exécution à l’endroit du mandat d’arrêt européen même en cas de non-respect des délais de traitement prévus (I) ; et opère une conciliation entre l’impératif d’effectivité du mandat d’arrêt européen et les droits de la personne recherchée (II).

I. Le maintien logique de l’obligation de l’Etat d’exécution en cas de dépassement des délais

Avant d’envisager la méthode utilisée par la Grande chambre pour traiter de la question des obligations de l’Etat en cas de dépassement des délais d’exécutions prévu, il convient de s’attarder tout d’abord sur la distinction opérée par la Cour en séparant dans sa réponse d’une part l’adoption de la décision d’exécution du mandat d’arrêt européen et d’autre part le maintien de la personne recherchée en détention. La Cour procède à la manière de son avocat général, M. CRUZ VILLALON, qui expliquait dans ses conclusions que pour traiter cette question il fallait faire : « « comme si » la liberté individuelle de la personne recherchée n’était pas en cause. C’est ainsi surtout le volet des devoirs mutuels pesant sur les Etats membres qui sera au premier plan … »[5]. Néanmoins à la suite de M. l’avocat général on peut se demander si la séparation si nette de la question du dépassement du délai d’exécution en deux volets est très pertinente et ne serait pas artificielle : « il est, en fait, difficile de répondre isolément à la première question, c’est-à-dire sans tenir compte de la circonstance que la personne recherchée peut se trouver, en conséquence de la demande de remise, privée de liberté »[6]. Cette question ne semble pas poser de difficulté à la Cour puisqu’elle annonce la distinction semble-t-il sans état d’âme[7] mais cela est, au fond, bien logique. En effet la Cour de justice par son arrêt cherche avant tout à fournir une réponse utile et opérationnelle à la juridiction de renvoi et, au-delà, à tous les juges nationaux concernés[8]. Une telle distinction dans son traitement du renvoi préjudiciel est ainsi peut-être critiquable mais est logique au regard des finalités du mécanisme du renvoi préjudiciel.

Dans sa réponse, la Cour reconnait d’emblée qu’elle se trouve face à un vide juridique, essentiellement textuel. En effet elle reconnait que l’article 15 de la décision-cadre « ne suffit pas à déterminer si l’exécution d’un mandat d’arrêt européen doit être poursuivie après l’expiration de ces délais »[9]. Mais ce vide juridique est également jurisprudentiel puisque la Cour rappelle immédiatement sa méthode d’interprétation classique des dispositions du droit de l’Union, ce qui marque bien l’absence de solution précédemment dégagée. Cette méthode prend en compte non seulement la lettre et l’esprit des textes, mais également le contexte et l’objectif poursuivi, sacrifiant la méthode exégétique pour la méthode téléologique au nom de l’effectivité et de la cohérence du Droit de l’Union européenne.

Par l’application de cette méthode classique mais rappelée, la Cour de justice fournit un raisonnement méthodique, construisant sa solution au regard du contexte de la mise en place du mandat d’arrêt européen, puis éprouvant cette solution au regard de l’économie générale du mécanisme du mandat d’arrêt européen et au-delà du principe de reconnaissance mutuelle. La Cour en vient donc à confirmer le maintien des obligations de l’Etat d’exécution même en cas de dépassement des délais. Du point de vue des Etats, cette décision est parfaitement logique. En effet elle permet d’assurer toute son efficacité au mécanisme du mandat d’arrêt européen, le distinguant toujours plus du mécanisme connu en droit international général de l’extradition. Elle permet également d’éviter des manœuvres dilatoires des Etats qui pourraient être tentés de faire allonger la procédure pour éviter d’avoir à répondre, ou même des personnes recherchées qui pourraient trouver là le moyen d’échapper au mandat d’arrêt européen. C’est ce que souligne bien la Cour en opérant un « test » de sa réponse à différentes situations[10]. Cette décision est enfin logique dans la mesure où les juridictions d’exécutions du mandat d’arrêt européen ont à traiter des questions particulièrement sensibles dans un délai très court, le maintien des obligations de l’Etat d’exécution est ainsi la reconnaissance de l’importance de la question. Mais on peut se demander alors quelle est la valeur du délai prévu à l’article 17 puisque de toute évidence celui-ci peut être dépassé globalement sans préjudice par l’Etat d’exécution, ce qui est peut-être la porte ouverte à l’allongement du délai d’exécution du mandat d’arrêt européen …

Si cette décision à l’endroit des Etats est particulièrement logique et pouvait être attendue, l’inverse étant en fait absurde, il n’en demeure pas moins que cette décision pouvait sembler critiquable du point du vue de la personne détenue, ce que la Cour va préciser.

II. La conciliation nécessaire de l’effectivité du MAE avec les droits fondamentaux de la personne recherchée

Une fois la décision prise à l’endroit des Etats, assurant l’effectivité du mécanisme du mandat d’arrêt européen, il convenait que la Cour se penche sur le sort de la personne recherchée, et généralement détenue. Comme le relève l’avocat général, sont en jeu l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 5§4 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ainsi, après avoir assuré l’effectivité du mandat d’arrêt européen, la Cour se retrouve à devoir assurer la conformité du mandat d’arrêt européen au regard des droits et libertés fondamentaux.

Sur ce point la Cour de justice se raccroche à une disposition textuelle claire, l’article 12 de la décision-cadre, qui autorisait sous conditions la mise en liberté provisoire de la personne recherchée à tout moment. Toute la question portait justement sur les conditions enserrant la mise en liberté de la personne, mais également sur le caractère facultatif ou obligatoire de la remise en liberté de la personne en cas de dépassement des délais d’exécution.

Sur la question tout d’abord, du caractère obligatoire ou facultatif de la remise en liberté, il convient de relever que là encore il n’y a pas de fondement textuel, la décision-cadre n’ayant pas prévu les conséquences du dépassement du délai d’exécution. La Cour de justice est donc à nouveau amenée à interpréter la décision-cadre et l’économie générale du mécanisme. Dans cette affaire, comme le relève l’avocat général, la Commission avait soutenu que le seul dépassement des délais prévus entrainait l’irrégularité de la détention et qu’il devait recouvrer immédiatement la liberté[11], ce à quoi lui-même répondait que la détention de la personne recherchée pouvait être justifiée par d’autres circonstances que le mandat d’arrêt européen. C’est dans le sens de la position de son avocat général que tranche la grande chambre, relevant la trop grande rigueur d’une obligation de mise en liberté, qui pourrait porter préjudice à l’effectivité du mandat d’arrêt européen. Cette décision est logique dans le cadre de la matière répressive où le traitement doit rester personnalisé et adapté à chaque espèce : la Cour de justice privilégie ainsi une approche in concreto nécessaire à la matière, ne reconnaissant qu’une faculté de remise en liberté, la décision effective étant à prendre au regard des circonstances particulière de l’affaire.

Alors qu’est reconnue la faculté de la remise en liberté, spécialement en cas de dépassement du délai d’exécution du mandat d’arrêt européen, il revenait à la Cour de préciser à quelles conditions pouvait avoir lieu cette remise en liberté, et notamment si ces conditions tiendraient compte justement du « dépassement » des délais. C’est là que la Cour va se démarquer de son avocat général, qui recommandait spécialement qu’une voie de recours soit prévue et organisée pour que la personne détenue puisse obtenir sa mise en liberté par principe sauf existence de circonstances particulières et limitées justifiant son maintien en détention. M. CRUZ VILLALON précisait en outre que l’examen du respect de l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux devait être fait de manière continue tout au long de la détention[12]. La Grande chambre va se démarquer des conclusions de son avocat général spécialement sous deux aspects. Tout d’abord au lieu de préciser ce qu’impose la règlementation à l’endroit de la remise en liberté, elle vient au contraire préciser ce à quoi la règlementation « ne s’oppose pas ». Cette formulation qui ne répond d’ailleurs pas au libellé de la question posée par la juridiction de renvoi, semble renvoyer à une interprétation limitative de la règlementation et à une conception étrangement orthodoxe de son rôle par la Cour de justice, ne définissant que le cadre de la règlementation et laissant l’appréciation précise aux juridictions nationales. On peut s’étonner de cette position alors que son avocat général recommandait, lui, une position plus détaillée et opérationnelle mais peut-être trop restrictive du mécanisme.

D’autre part, sur les circonstances pouvant justifier la remise en liberté, alors que son avocat général proposait une acception plutôt limitative des circonstances pouvant justifier le maintien en détention, la Cour fournit une acception particulièrement limitative des circonstances justifiant cette fois la remise en liberté, la seule circonstance pouvant justifier la mise en liberté de la personne détenue est en effet le « délai excessif » de la période de détention. La Cour opte donc pour une « notion-cadre » et en appelle à l’appréciation in concreto du juge, ce qui est logique. On peut s’étonner par contre de la restriction de ces circonstances, mais celle-ci peut facilement se comprendre au regard des conséquences que la Cour attache à la remise en liberté. En effet même en cas de remise en liberté l’autorité judiciaire d’exécution doit s’assurer que les conditions de la remise de la personne restent réunies, ce qui pour les Etats est probablement plus compliqué que le simple emprisonnement, mais est évidemment peu satisfaisant au regard des libertés de la personne.

Cet arrêt illustre, une fois encore, la difficulté pour les juges de concilier l’effectivité d’une procédure répressive avec le respect des droits fondamentaux de la personne.

Notes de bas de page

  • Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats-membres (JO L 190, p. 1) en sa rédaction en vigueur ; ci-après dénommée « la décision-cadre ».
  • Article 107 du Règlement de procédure de la Cour de justice du 25 septembre 2012, op. cit.
  • Pour une présentation approfondie sur le mécanisme, voir CLEMENT-WILZ (L.), « La procédure préjudicielle d’urgence, nouveau théâtre du procès européen ? », Cahiers de droit européen, 2012, spécialement sur ce point pp. 158-159.
  • Comme le rappelle la Cour spéc. pt. 21-25.
  • Conclusions de l’avocat général Pedro CRUZ VILLALON, pt. 121.
  • Ibid.
  • Pt. 33 de l’arrêt rendu.
  • Sur cette volonté affichée cf. CJCE, 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo SpA c/ Circostel et Ministero delle Poste e Telecomunicazioni et Ministero della Difesa, Aff. jointes C-320/90, C-321/90 et C-322/90, spéc. pt. 6.
  • Pt. 34 de l’arrêt rendu.
  • Pt. 38-41 de l’arrêt rendu.
  • Concl op. cit. pt. 163.
  • Concl. op. cit. Conclusion, 2).