Déplacements illicites d’enfants : le choix du parent de son lieu de résidence ne constitue pas un motif de non-retour
Considéré comme un véritable « talon d’Achille de la Convention »[1], le motif de non-retour le plus fréquemment invoqué par les parents auteurs d'un déplacement illicite d'enfant est le risque grave que ce retour est susceptible de faire courir à l'enfant. Dans l’arrêt K.J. c/ Polognedu 1er mars 2016[2], la Cour européenne analyse le refus d'ordonner le retour fondé sur un tel motif comme une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale du parent victime du déplacement illicite (1) et rappelle que, dans le cadre des déplacements illicites d'enfants, il pèse sur les Etats une obligation positive de célérité particulière (2).
1. Les exceptions au retour analysées comme une ingérence
Pour examiner l'exception au retour, la Cour européenne se place sur le terrain des ingérences et non pas sur celui des obligations positives comme elle le faisant habituellement dans les affaires relatives aux déplacements illicites d'enfants. Le choix de statuer sur ce terrain qui confirme la position adoptée par la Cour dans l’affaire G.S. c/ Georgie du 21 juillet 2015[3], n’est pas anodin car il renforce le contrôle du juge européen[4].
Le juge européen admet que le refus d’ordonner le retour de l’enfant était fondé sur la Convention de La Haye, incorporée au droit polonais, et qu'il poursuivait le but légitime visant à protéger les droits et libertés de l’enfant et de sa mère.
S’agissant de la recherche de la proportionnalité de l’ingérence, le point décisif consistait à savoir si le juste équilibre entre les intérêts concurrents présents a été ménagé dans les limites de la marge d’appréciation de l’Etat, en tenant compte de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante. Depuis l’arrêt X. c/ Lettonie du 16 décembre 2011[5], la Cour impose aux juges nationaux une « obligation procédurale particulière » consistant à examiner, non pas l’opportunité du retour, mais seulement « l’allégation défendable de “risque grave” pour l’enfant en cas de retour ». Soulignant que la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant doit s’apprécier à la lumière des exceptions prévues par la Convention de La Haye[6], la Cour estime que le « risque grave » vise uniquement les situations qui vont au-delà de ce qu’un enfant peut raisonnablement supporter[7] et doivent être d’interprétation stricte[8].
En l'espèce, la mère avait quitté le Royaume-Uni où elle vivait avec l'enfant et son père pour retourner vivre en Pologne, en emmenant sa fille. L’apport principal de l’arrêt réside dans le reproche que fait la Cour aux juges internes d'avoir centré leur analyse sur la réticence de la mère à résider au Royaume-Uni, sans motif valable[9], pour conclure que le retour de l’enfant – avec ou sans sa mère – dans son milieu habituel au Royaume-Uni placerait l’enfant dans une situation intolérable au sens de l’article 13 b) de la Convention de La Haye. La Cour juge également que les juridictions internes n’ont pas tenu compte d’une expertise psychologique affirmant que l’enfant était en bonne santé physique et psychologique, qu’elle éprouvait une affection comparable pour chacun de ses parents, qu’elle s’adaptait facilement à sa vie au Royaume-Uni et qu’elle considérait ce pays sur un pied d’égalité avec la Pologne. Condamnant sur le fondement de l’article 8 la validation par les juges polonais du comportement de la mère, la Cour souligne que l’intérêt supérieur de l’enfant, et non pas le choix du parent de son lieu de résidence, doit être le critère central dans l’appréciation des exceptions au retour.
2. Le rappel de l’obligation de célérité particulière à la charge de l’Etat
L’examen de l’affaire avec célérité est essentiel pour une bonne application de la Convention de La Haye qui dans son article 11, impose aux juridictions des l’Etat de refuge de l’enfant de statuer dans un délai de six semaines, à compter de leur saisine. La Cour considère que « dans ce genre d’affaires, le caractère adéquat d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit pas avec lui »[10]. Elle impose donc aux Etats une obligation particulière de célérité dans le cadre des enlèvements d'enfants fondée sur l’article 8[11]. En l’espèce, la Cour soulignant que la procédure nationale a duré un an et qu'aucune explication n’a été donnée pour justifier ce délai, considère sur le fondement de l'article 8 que l'obligation particulière de célérité spécifique à certaines contentieux dont les déplacements illicites d'enfants, n'a pas été respectée.
Toutefois, et de manière quelque peu paradoxale, la Cour européenne considère dans le même temps que la longue période écoulée entre l’enregistrement de la demande de retour de l’enfant formée par le père et la date de la décision finale crée une situation de fait défavorable au parent victime et que l’intérêt de l’enfant conduit à entériner ladite situation.
Notes de bas de page
- FULCHIRON (Hugues), « La lutte contre les enlèvements d’enfants », in Le nouveau droit communautaire du divorce et de la responsabilité parentale, FULCHIRON (Hugues) (dir.),Dalloz, 2005, p. 228.
- COUARD (Julien), « Enlèvement international d’enfant : la Pologne condamnée pour violation de l’article 8 de la Convention », Dr. fam. 2016, n° 4, alerte 36.
- CEDH, 21 juillet 2015, G.S. c/ Georgie, req. n° 2361/13 ; Dans le même sens, CEDH, 5 novembre 2015, Henrioud c/ France, req. n° 21444/11.
- SUDRE (Frédéric) (dir.), Les Grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Puf, « Thémis », 7e éd., 2014, n° 2, p. 19.
- CEDH, GC, 13 décembre 2011, X. c/ Lettonie, req. n° 27853/09
- X. c/ Lettonie, préc.,
- X. c/ Lettonie, préc.
- CEDH, 6 décembre 2007, Maumousseau et Washington c/ France, req. n° 39388/05
- Voir, a contrario, CEDH, 6 juillet 2010, Neulinger et Shuruk c/ Suisse, req. n°41615/07.
- CEDH, 6 novembre 2008, Carlson c/ Suisse, req. n° 49492/06, (pt. 74).
- SUDRE (Frédéric) (dir.), Les Grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, préc., Puf, « Thémis », 7e éd., 2014, n° 52, p. 596.