Le placement de l'enfant fondé sur le refus de stérilisation de la mère, une ingérence injustifiée dans le droit au respect de la vie familiale
Dans l'arrêt Soares de Melo conte Portugal rendu le 16 février 2016, la Cour européenne des droits de l'homme condamne le Portugal sur le fondement de l'article 8 pour le placement en vue d'une adoption des enfants d'une femme en situation de grande détresse matérielle et sociale et refuse avec fermeté que le maintien des liens familiaux puisse être subordonné à la stérilisation d'un parent. Pour considérer que cette mesure constitue une ingérence disproportionnée dans la vie familiale de la requérante, et que les conditions justifiant la rupture des liens n'étaient pas caractérisées en l'espèce, la Cour relève tout d'abord le défaut de mise en œuvre préalable de mesures alternatives au placement (I), puis condamne la rupture des liens fondée sur le refus de la requérante de procéder à une opération de stérilisation (II).
I. L'absence de mesures alternatives préalables
La Cour rappelle que le placement d'un enfant ne peut avoir lieu que lorsque tous les moyens susceptibles de permettre le maintien de l'enfant dans sa famille ont été épuisés. Le placement de l'enfant ne doit intervenir qu'en dernier lieu et constitue une mesure particulièrement grave et exceptionnelle. Mettant en avant l'absence de toutes maltraitances ainsi que les liens d'attachements entre la mère et les enfants, la Cour refuse d'admettre l'indigence matérielle comme motif légitime de procéder au placement des enfants conformément à sa jurisprudence antérieure[1]. La Cour rappelle la nécessité de prendre en considération les spécificités culturelles des familles et reproche aux juridictions nationales de ne pas avoir mis en œuvre les moyens suffisants et appropriés afin de permettre l'accompagnement de la mère en difficulté dans ses responsabilités familiales. En effet, la Cour relève ici l'absence d'attribution automatique d'une aide financière, qui aurait permis le maintien des enfants avec leur parent. La Cour dénonce les formalités imposées à la mère en vue de sa prise en charge sociale au détriment d'une mesure d'aide financière concrète et immédiate qui aurait été plus appropriée. Elle conclut ainsi à la violation du droit au respect de la vie familiale de la mère. En outre, la cour européenne condamne les limitations voire les suppressions des contacts entre la mère et ses enfants placés en affirmant que, « ces restrictions supplémentaires ne sont justifiées au regard de l'article 8 de la Convention que lorsque la famille s'est montrée particulièrement indigne », ce qui n'était pas le cas en l'espèce.
II. L'impossibilité de subordonner les liens parentaux à la stérilisation de la mère
Cet arrêt soulève par ailleurs une question originale et inédite relative à l'autonomie des personnes en matière de choix contraceptif et de planification familiale. La Cour relève en effet la position particulièrement surprenante des juges nationaux sur la question, qui pour décider de la rupture des liens familiaux, se sont fondés sur le refus de la mère de procéder à une opération de stérilisation. L'Etat avait en effet subordonné la poursuite de l'accompagnement social, et par conséquent le maintien des contacts entre les enfants et leur mère, à la réalisation pour cette dernière d'une opération de stérilisation. La Cour qualifie ce procédé de mesure «incompatible avec le respect de la liberté et de la dignité de l'homme» et en déduit la violation du droit au respect de la vie familiale de la requérante. Le placement des enfants en vue d'une adoption étant une mesure exceptionnelle et nécessairement induite par l'intérêt des enfants, le refus de procéder à une stérilisation ne pourrait légitimement constituer une condition valable à la rupture des liens. La Cour formule le principe selon lequel "le recours à une opération de stérilisation ne peut jamais constituer une condition au maintien des droits parentaux".
Notes de bas de page
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R.M.S c/Espagne, 18 juin 2013 : une décision de placement d’un jeune enfant contre la volonté de sa mère ne peut être fondée sur la situation d’indigence de celle-ci, dont la vulnérabilité aurait dû être prise en considération lors de la décision de placement ; d'autres mesures auraient dû être envisagées pour répondre aux carences matérielles de la famille.