Conseil de l'Europe et Convention européenne des droits de l'homme

On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille…

Cour EDH, arrêt MANDET c/ France, 14 janvier 2016, req. n°30955/12.

Le couple Mandet se maria, eut trois enfants, puis divorça. En 1996, au temps de la désunion vint au monde Aloïs qui, fils biologique d’un autre homme, fut néanmoins reconnu, en 1997, par Monsieur Mandet et légitimé, en 2003, par le remariage de sa mère avec celui-ci. En 2005, le père véritable d’Aloïs saisit les juridictions d’une action en contestation de filiation. Le Tribunal sollicita une expertise biologique, estimant qu’il était dans l’intérêt de l’enfant de connaître ses origines, mais seul le demandeur s’y soumit. Face à cette carence, le Tribunal, qui ne pouvait ignorer la vraisemblance de la paternité[1], annula les titres fondant la filiation et l’établit à l’égard du père biologique. Cette décision fut confirmée en appel, mais jamais père et fils ne purent construire de liens personnels car les époux Mandet, partis vivre à l’étranger, entravèrent toute relation. Devant la Cour de cassation, la volonté de l’enfant de conserver sa filiation première et son nom fut avancée sur le fondement de l’art. 8§1 de la CIDE, l’art. 3 du même texte étant soulevé afin de contester la conformité de décisions des juges du fond à l’intérêt supérieur de l’enfant. Le pourvoi fut rejeté. Les époux Mandet et Aloïs formèrent une requête devant la Cour européenne en invoquant notamment une violation de l’art. 8 de la CEDH[2].

La recevabilité de cette requête est d’abord débattue au regard de la règle de l’épuisement des voies de recours internes puisque l’art. 8 n’avait jamais été invoqué durant la procédure nationale. Selon la Cour, la condition de recevabilité posée par l’art. 35§1 de la Convention est remplie lorsque les requérants ont invoqué, au moins en substance, la CEDH devant les juges internes. En l’espèce, l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit de conserver son identité et de préserver ses relations familiales ont été débattus, y compris devant la Cour de cassation, sur le fondement de la CIDE. Il faut donc considérer que le droit a été envisagé par le juge national à l’égard de l’enfant, non des époux Mandet. La requête n’est donc recevable qu’à son bénéfice.

L’applicabilité de l’article 8 n’est pas contestable. En effet, l’identité et le rattachement à la famille du requérant ont été affectés par les décisions modifiant sa filiation. Une ingérence, prévue par l’article 339 du C. civ et dont le but est la protection des droits et liberté d’autrui, doit être constatée. Cependant, la Cour prend soin de souligner que l’Etat peut certes invoquer la préservation des droits du père biologique mais pas ceux de l’enfant. Ainsi, afin de légitimer une ingérence il ne semble pas possible d’avancer la volonté de protéger celui qui s’y oppose. Quant à la nécessité de la mesure, la Cour observe l’ample marge nationale d’appréciation dont dispose l’Etat lorsqu’il convient, d’une part, d’apprécier le statut de l’enfant[3], notamment en raison de l’absence de consensus entre les Etats parties à la Convention et, d’autre part, d’arbitrer entre les droits fondamentaux concurrents de deux personnes. La Cour s’emploie cependant à vérifier qu’un juste équilibre a été respecté entre les intérêts de chacun. Elle remarque que les juges nationaux ont placé l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur de leurs considérations. Ainsi, la filiation a été modifiée en s’appuyant sur un faisceau d’indices fiables et les droits de l’enfant ont été préservés tout au long de la procédure[4]. Elle remarque que les décisions n’ont pas conduit à faire prévaloir les droits du père, mais à considérer que l’intérêt de l’enfant ne se trouve pas nécessairement, comme celui-ci le considère, dans le maintien d’une filiation erronée et dans la préservation d’une stabilité affective, mais qu’il apparaît plutôt dans l’établissement d’une filiation réelle. En estimant que les intérêts du père et du fils se rejoignaient en partie, les juridictions internes n’ont pas excédé leur marge nationale d’appréciation. En outre, leurs décisions se justifient au regard de la proportionnalité, puisque le quotidien de la famille n’a pas été bouleversé et que la mère a conservé l’autorité parentale. Le droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant n’est donc pas violé par l’établissement de cette filiation imposée.

L’arrêt de la Cour européenne n’est qu’une nouvelle illustration de l’articulation laborieuse entre paix des familles et vérité biologique. La seconde ici prévaut contre la volonté de l’enfant et il est permis de se demander si la solution est bien opportune. Certes, on peut imaginer que le rejet de l’enfant à l’égard de son père est le résultat d’une aliénation parentale, mais il s’agit là d’un argument peu juridique. En revanche, l’attentisme du père à faire établir sa filiation interroge davantage, ce d’autant plus que la solution retenue par les juges nationaux l’est sur le fondement du droit antérieur à l’ordonnance du 4 juillet 2005[5]. En effet, si l’action avait été intentée sous l’empire du droit positif, elle aurait été déclarée irrecevable en raison d’un délai de prescription raccourci. En effet, l’article 333 du C. civ. prévoit désormais que « … nul ne peut contester la filiation lorsque la possession d’état conforme au titre a duré au moins 5 ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement ». La sécurisation du lien de filiation fonde ce court délai de prescription.

Si l’affaire Mandet se présentait aujourd’hui devant la Cour européenne, en application de ce droit réformé, considèrerait-t-elle que l’intérêt de l’enfant est de connaître ses origines ou qu’il réside dans le maintien d’une filiation, certes fausse biologiquement, mais véritable socialement ? Un bref délai de prescription dans les actions en matière de filiation est-il conforme au droit de l’enfant à connaître ses origines, même malgré lui ?

Il faudra attendre ces réponses ou s’interroger sur l’opportunité de transcrire, en droit, les réalités sociologiques de familles, qui se composent, se décomposent, se recomposent, agrégeant de nouveaux membres, tels les beaux-parents, dont le statut mériterait parfois d’être plus certain afin que les liens familiaux puissent être mieux choisis.

Notes de bas de page

  • L’enfant étant né plus de 300 jours après la décision autorisant la séparation des époux Mandet, la présomption de paternité devait être écartée. Par ailleurs, il n’était pas contesté que la mère de l’enfant entretenait des relations intimes avec le demandeur au moment de la conception, dont elle partageait la vie y compris après la naissance de l’enfant.
  • Les requérants invoquent aussi l’article 6. La requête est déclarée manifestement mal fondée au titre de l’article 35§§3(a) et 4 de la CEDH.
  • Alors que la marge nationale d’appréciation est plus restreinte lorsqu’est discuté le maintien du lien entre un enfant et un parent : arrêt AHRENS c/ Allemagne, 22 mars 2012, req. n°45071/09.
  • Une administratrice ad hoc avait été chargée de le représenter. Le droit de l’enfant à être entendu avait été examiné par la Cour de cassation.
  • Consolidée par la loi n°2009-61 du 16 janvier 2009.