La lutte contre le renforcement de la paupérisation des quartiers néerlandais : une politique de discrimination négative?
Ce jugement de la Cour du 23 février 2016 illustre une conception bien différente de la mixité sociale et des politiques en faveur des quartiers urbains dégradés que celle que nous connaissons et pratiquons, en France, depuis le début des années 1990.
En l’espèce, la requérante attaque le refus d’un permis de logement dans un quartier défavorisé de Rotterdam au motif que cela est contraire à la liberté de résidence comme à la liberté de circulation prévu à l’article 2 du Protocole n° 4 de la CEDH. L’article en question établit le principe mais également deux types de restrictions, celles apportées par la loi en tant que mesures nécessaires pour la protection d’un intérêt publique justifié et proportionné et celles qui sont possibles dans certains territoires pour satisfaire à un intérêt public.
1 Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence.
(…)
3 L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l'objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l'intérêt public dans une société démocratique.
La requérante s’est vue refuser un permis de résidence dans un quartier défavorisé de Rotterdam au motif qu’elle n’avait pas résidé au moins 6 ans dans la commune et que ses revenus provenaient de l’aide sociale et non d’un emploi. Par ailleurs, Mme Garib n’a pu arguer de circonstances qui auraient conduit à lui reconnaître le bénéfice d’une clause de sauvegarde.
Autorisées par la loi, quelques villes des Pays-Bas ont choisi de réguler l’accès au marché du logement locatif dans certaines zones affectées par la pauvreté. Certaines municipalités dont Rotterdam ont instauré l’obligation d’obtenir un permis de résidence pour s’installer dans ces zones, faute de quoi l’installation n’est pas possible. Les autorités ont cependant l’obligation de trouver ou de s’assurer que les demandeurs trouvent un logement adapté dans la ville ou la région pour ceux qui se voient refusé un tel permis. Les mesures sont présentées comme servant l’ordre public et entrant ainsi dans le champ d’application des exceptions prévues par l’article 2 du Protocole n° 4 de la CEDH. Le Parlement a cependant fait obligation aux communes qui adoptaient un tel permis d’appliquer une clause de sauvegarde dans tous les cas.
La voie envisagée par les Pays-Bas en matière de mixité sociale cherche à limiter la concentration de populations précarisées dans les quartiers denses, urbanisés et paupérisés. La voie de la mixité sociale en France privilégie la réalisation de programmes de logements plus ou moins sociaux dans des communes qui sont déficitaires pour répartir l’offre sociale de manière plus équilibrée sur le territoire.
Dans l’absolu, le juge européen considère que la législation néerlandaise ne porte pas atteinte à la liberté de résidence. En effet, selon la Cour la législation concernée entre dans le champ d’application des restrictions de l’article 2 du protocole n° 4 et protège l’ordre public. Le but poursuivi est légitime et vise à inverser la tendance du déclin et de l’appauvrissement de certains quartiers pour en améliorer la qualité de vie. Les principes applicables sont également proportionnés au but poursuivi.
En substance, pour la requérante, la Cour rejette le recours en relevant qu’elle ne réunit pas les conditions pour obtenir un permis de résidence dans ce quartier et qu’elle ne réunit pas non plus les conditions pour bénéficier d’une clause de sauvegarde. En effet, la requérante s’est vu refuser le permis de logement car ses revenus ne provenaient pas de son travail mais de l’aide sociale. Par ailleurs, elle n’a pas résidé dans la région de Rotterdam depuis au moins 6 ans. Les deux conditions cumulatives n’étaient pas réunies. Pourtant, Mme Garib aurait toutefois pu bénéficier d’un permis de logement si elle avait utilement fait valoir des circonstances donnant lieu à l’application d’une clause de sauvegarde telle qu’une urgence médicale ou des conditions de vie violentes. Or, elle n’a pu produire des éléments lui permettant de demander l’application d’une telle clause de sauvegarde pour la protéger d’un danger plus important que l’intérêt public que le permis de logement contribue à préserver.
La décision illustre, tout d’abord, une politique urbaine spécifique aux Pays-Bas. Ainsi, sur le fond, la politique de mixité sociale conçue aux Pays-Bas entend éviter d’aggraver les conditions de vie précaires au sein d’un quartier défavorisé. Il s’agit d’une différence importante avec notre manière d’envisager la mixité sociale tournée vers la réalisation de logements sociaux là où il y en a peu.
La solution peut être regardée comme frappant plus sévèrement les populations bénéficiant de l’aide sociale et enfreignant leur liberté plus que celle des populations plus aisées qui ne subissent aucune restriction. La clause de sauvegarde est régulièrement invoquée et également reconnue, la Cour donne d’ailleurs les chiffres de son utilisation, ce qui a pour effet d’atténuer les conséquences de la différentiation, voire de la discrimination négative, engendrée par l’existence d’un permis de logement.
Ensuite, la décision est intéressante car elle illustre l’existence de clauses de sauvegarde en droit administratif interne, applicables en l’absence d’un contrat et qui, à ce titre, se distinguent de celles existant dans le droit des contrats internationaux. Enfin, la décision Mme Garib contre Pays-Bas démontre que les autorités locales ont une marge de manœuvre croissante quant à la politique de peuplement qu’elles souhaitent conduire sur leur territoire. Sur ce point le cas de la France se rapproche très nettement du cas néerlandais.