Conseil de l'Europe et Convention européenne des droits de l'homme

La prostitution forcée et la Cour européenne des droits de l’homme

Cour EDH, 1ere section, aff. L.E. c. GRÈCE, 21 janvier 2016, Requête no 71545/12.

Dans un contexte où les déficiences des Etats dans l’accueil des réfugiés sont quotidiennement soulignées, la Cour européenne des droits de l’homme est souvent interpellée sous l’angle de l’esclavage domestique[1], mais rarement sur la traite des êtres humains. En effet, rares sont les occasions contentieuses qui permettent aux juges européens de préciser les implications de l’article 4 sous l’angle de la traite des êtres humains. Et jusqu’à ce jour, encore plus rares ont été les affaires où le sort de ressortissants d’États tiers à la Convention exposés à la prostitution forcée pouvait être abordé[2] Ce n’est qu’en 2011 dans son arrêt Rantsev[3] que la Cour fait le lien entre la traite des êtres humains et l’article 4. Elle relève qu’, au même titre que l’esclavage, la traite d’êtres humains, compte tenu de sa nature et des fins d’exploitation qu’elle poursuit, suppose l’exercice de pouvoirs comparables au droit de propriété. Les trafiquants voient l’être humain comme un bien qui se négocie et qui est affecté à des travaux forcés. Ils doivent surveiller étroitement les activités des victimes qui, souvent, ne peuvent aller où elles le veulent. Ils ont recours contre elles à la violence et aux menaces. De ce point de vue, l’article 4 interdit un tel type de trafic.

Tout comme dans les affaires V.F. c. France du 29 novembre 2011[4] et O.G.O. c. Royaume-Uni[5] du 18 février 2014, il s’agit en l’espèce d’une ressortissante nigériane qui avait été contrainte à se prostituer en Grèce. Dans cet arrêt, la Cour applique la doctrine des obligations positives et les obligations afférentes qui s’imposent aux Etats. La Grande Chambre relève un certain nombre de déficiences dans les suites données à la dénonciation de traite des êtres humains faite par la victime. Sur le fondement des obligations positives, la Cour conclut que la requérante a reçu la qualification formelle de victime de la traite des êtres humains dans un délai qui n’est pas raisonnable. Elle relève aussi plusieurs déficiences procédurales dans le cadre de l’enquête policière et de la procédure judiciaire (y-compris quant à la recherche des auteurs présumés de la traite). La Cour conclut à la violation de l’article 4§1 de la Convention.

La Grande Chambre présente de manière didactique les obligations qui lient les Etats. Ces obligations qui se situent sur le terrain des obligations positives et de l’effet horizontal de la garantie des droits protégés vont de l’obligation de prévenir la traite des êtres humains à la répression de telles activités, en passant par des obligations procédurales. En effet, selon la Cour « l’État se trouve devant l’obligation de prendre des mesures concrètes pour protéger les victimes avérées ou potentielles de traitements contraires à l’article 4 »[6]. C’est en vertu d’une telle obligation que la Cour a condamné la Grèce en raison d’un manque de célérité quant à la prise de mesures opérationnelles en faveur de la requérante et des déficiences à l’égard des obligations procédurales pesant sur l’État grec.

Au final, le raisonnement n’est pas en soi novateur, mais on se rend compte d’une volonté de lutter efficacement contre la traite des êtres humains. Une telle logique jurisprudentielle, contrairement à ce qui était décrié dans l’affaire V.F. c. France[7]est d’ailleurs plus en phase avec le Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (« le Protocole de Palerme ») signé par la Grèce le 13 décembre 2000 et ratifié le 11 janvier 2011.

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