L'invalidité au prisme de l'égalité entre les femmes et les hommes : la convergence des luttes en marche à Strasbourg
Alors que chez son voisin la lutte contre les inégalités se mène sur les places, elle se passe et se place, en Suisse, au centre de l’arène judiciaire. Signe de vitalité démocratique, ou de prospérité économique, ce traitement institutionnel d’un conflit social n’en est pas moins révélateur des tensions qui parcourent actuellement l’ensemble du système capitaliste. Dans un pays où la précarité peut sembler dérisoire – il y aurait en fait, selon les derniers chiffres publiés par l’Office fédéral de la statistique, en 2012, 7,7 % de la population suisse, soit 590 000 personnes, touchée par la pauvreté monétaire[1] – il est curieux d’observer la manière dont la logique marchande peut créer des méthodes de calculs de rente d’invalidité déconnectées de la réalité sociale, et plus particulièrement de la situation des femmes qui tentent de joindre les deux bouts.
A travers l’affaire Di Trizio c. Suisse ce sont 2000 ans d’histoire de domination masculine professionnelle et familiale qui se cristallisent ici par la généralisation du temps partiel féminin. Devant le juge de Strasbourg, la question fut tranchée par une décision partagée à la majorité des quatre septième. Il est vrai que la solution ne faisait pas partie des vérités d’évidence puisque le point nodal du raisonnement, qui a permis la condamnation de la Suisse, constitue la pierre d’achoppement sur laquelle les membres de la formation de jugement se sont opposés. En l’espèce la requérante contestait la méthode mixte de calcul de sa rente d’invalidité qui l’avait sortie du groupe des bénéficiaires à partir de la naissance de ses jumeaux. Le rattachement opéré de cette rente à l’article 8 protégeant le droit à une privée et familiale n’a pas été du goût des juges dissidents qui considèrent qu’elle aurait dû ressortir du champ d’application de l’article 1 du Protocole n° 1 que la Suisse n’a pas adopté. C’est alors l’effet discriminatoire jugé trop important, notamment en ce qu’il est cumulatif, qui pousse la Cour à la sanction. Les juges refont ici, à nouveau, la démonstration d’un usage opportuniste du principe de non-discrimination comme vecteur d’extension de leur office[2].
La requérante obtient alors réparation de son préjudice morale et la condamnation aux dépens de la Suisse pour violation de l’article 14 de la Convention (interdiction des discriminations) combiné avec l’article 8 à cause de cette méthode de calcul (I.). Cette interprétation, audacieuse de prime abord, participe de cette lignée jurisprudentielle qui fait de l’exigence d’égalité, et notamment de la notion de discrimination indirecte, le premier outil de transformation sociale aux mains des juridictions[3] (II.).
I. La méthode mixte de calcul de l’invalidité en Suisse, une discrimination indirecte à l’égard des femmes
La décision prononcée par la Cour européenne des droits de l’Homme a cela de particulier qu’elle interroge un régime d’aide aux personnes souffrant d’invalidité au regard de ses effets sur les inégalités entre les femmes et les hommes. Ce faisant, alors que l’administration suisse semblait avoir fait le nécessaire pour tenir compte des spécificités de la situation de Mme Di Trizio (A.), la Cour rejette cette approche pour lui préférer l’analyse collective – ou groupale – nécessaire à l’appréhension des discriminations indirectes (B.).
A. Le rejet de l’approche individuelle de la rente d’invalidité de Mme Di Trizio
Le calcul de la rente d’invalidité procède normalement d’une analyse de la situation individuelle des bénéficiaires dans le but de « couvrir le risque de perte […] de la possibilité d’exercer une activité rémunérée ou des travaux habituels que l’assuré pouvait réellement effectuer avant de devenir invalide et qu’il pourrait toujours effectuer s’il était resté valide » (§74). Aussi affiné soit-il, le calcul assuranciel peut alors s’avérer fortement discriminant, sans pour autant être sanctionné, lorsqu’il ne parvient pas à satisfaire à l’ensemble des situations vécues par les demandeurs[4]. C’est certainement pour éviter cet écueil que la Cour rejette cette approche individualiste, considérant, en l’espèce, qu’elle ne permet pas de caractériser suffisamment une éventuelle discrimination à l’encontre de Mme Di Trizio, sa situation devant être comparée à celle des autres personnes auxquelles une telle méthode est appliquée. Ce n’est donc pas le refus de lui accorder une rente qui est attaqué ici, mais bien le fondement sur lequel se base ce refus à savoir la méthode mixte de calcul. Son cas demeure toutefois intéressant aux yeux de la Cour pour mettre en exergue le caractère préjudiciable de l’application d’une telle méthode, la requérante n’ayant pu obtenir une rente que pour la période qui précéda la naissance de ses enfants. Ainsi, l’office de l’assurance-validité considéra que « dans l’hypothèse où elle n’aurait pas été frappée d’invalidité, la requérante n’aurait de toute façon travaillé que de manière réduite à la suite de la naissance de ses enfants » (§12). Face à cette décision, Mme Di Trizio parvint à obtenir un nouveau calcul de la part de l’office qui réhaussa son taux d’invalidité de 22 % à 27 % en réévaluant sa capacité à travailler, mais sans tenir compte d’une éventuelle corrélation avec ses travaux « habituels » – autrement dit ses activités ménagères (§15).
L’autre argument du gouvernement suisse que la Cour rejette concernant le cas de Mme Di Trizio réside dans l’aspect volontaire de son choix de vie, et notamment le fait de travailler à temps partiel. Il est constaté par la Cour, mais aussi par le Tribunal fédéral suisse qui s’était déjà prononcé sur ce régime, que si la méthode mixte de calcul « aurait pour effet de pénaliser les personnes exerçant une activité à temps partiel en les privant de facto de l’accès aux prestations de l’assurance-invalidité »[5], le choix de la requérante de travailler à temps partiel « relève intrinsèquement de sa responsabilité personnelle directe ; comme pour tout choix, il lui appartient de tenir compte des conséquences positives et négatives de ce choix » (§36). Le Tribunal fédéral en conclut que « les prestations fournies par le régime social d’assurance [ne sont] qu’un facteur parmi d’autres entrant en ligne de compte dans la pondération des intérêts conduisant au choix de la personne assurée » (§36). Ceci conduit à une situation ubuesque dans laquelle il est économiquement plus intéressant pour la personne de déclarer qu’elle ne travaillera pas à 50 %, d’autant qu’il ne s’agit que d’une hypothèse permettant d’établir préalablement le calcul de la rente et non d’une réalité qu’il convient de prouver. L’opinion dissidente des trois juges indique ainsi, non sans une pointe de cynisme, que « rien n’empêchait la requérante d’indiquer qu’elle aurait souhaité travailler à 100 %, 80 % ou même 0 % après la naissance de ces deux filles. Dans tous ces cas, la requérante aurait reçu une rente d’invalidité selon la méthode mixte » (§11). L’invitation à la fausse déclaration est à peine voilée. Or, on ne saurait conseiller à des bénéficiaires de régimes d’aide, déjà largement stigmatisés sous le stéréotype d’assistés, de jouer avec les règles et les déclarations pour tenter d’obtenir la meilleure base de calcul au détriment de leur éthique citoyenne. En l’espèce, il serait d’autant plus injuste de considérer un tel choix comme entièrement libre dès lors que la requérante explique qu’elle ne le fait que pour des raisons financières (§12)[6].
B. Le choix d’une approche sociale de la méthode mixte de calcul de l’invalidité
La Cour admet, dans cet arrêt, le moyen soulevé par la requérante d’une discrimination indirecte engendrée par la méthode mixte de calcul de l’invalidité sur laquelle se fonde la décision de l’office de l’assurance-invalidité. D’après elle, « cette méthode trouve son origine dans l’idée, très traditionnelle, que seul un membre du couple – le plus souvent, l’homme – exerce une activité rémunérée, tandis que l’autre s’occupe exclusivement du ménage et des enfants » (§48). Elle inciterait alors à conserver un tel schéma dans la mesure où le couple qui souhaiterait un meilleur partage des rôles s’exposerait « au risque de perdre, dans l’hypothèse d’une invalidité, le droit à une rente » (§48). La différence de traitement doit alors s’apprécier au regard des autres méthodes de calcul s’appliquant aux personnes qui n’exercent aucune activité lucrative (méthode générale de la comparaison des revenus) et à celles n’ayant pas à s’occuper d’un foyer ou d’enfants (méthode spécifique de la comparaison des champs d’activité). En effet, il est constaté que de manière générale, les résultats de la méthode mixte donnent plus souvent des taux d’invalidité inférieurs à ceux obtenus par le biais des autres méthodes de calcul (§§ 45, 46 et 47). Pour la requérante, cette méthode causerait d’une part une discrimination fondée sur le handicap puisque la méthode mixte dissuaderait de s’intégrer professionnellement par le biais d’une activité partielle, et d’autre part, une discrimination fondée sur le sexe en ce qu’elle s’applique dans la très grande majorité des cas aux femmes après la naissance d’enfants (§49).
Le premier motif de discrimination fondé sur le handicap n’a pas retenu l’attention de la Cour européenne mais a bien été examiné par les tribunaux suisses. Le tribunal des assurances du canton de Saint-Gall a considéré qu’il y avait lieu d’écarter l’application normale de la méthode mixte en la substituant à une version « améliorée » tenant d’avantage compte desinteractions entre la vie privée et la vie professionnelle et des conséquences de l’invalidité mises en avant notamment dans un rapport médical présenté par Mme Di Trizio[7]. Considérant que la perte de gains subie par la réduction du taux d’activité était étrangère à tout facteur lié à la santé, le Tribunal fédéral décida qu’il ne revenait pas à l’assurance-invalidité de la couvrir. Il concéda néanmoins « que les interactions entre les volets “ménage” et “activité rémunérée” n’étaient pas suffisamment prises en compte dans la méthode mixte », sans pour autant accorder de rente à Mme Di Trizio puisqu’après un nouveau calcul, le taux n’atteignait toujours pas le seuil des 40 % (34,5 %). La Cour européenne décide, quant à elle, de placer son analyse sous l’angle de la discrimination à l’égard des femmes sur la base des statistiques présentées par les parties. Celles-ci parlent d’elles-mêmes : sur un total de 4 168 cas où la méthode mixte fut appliquée, 4 045 (soit 97 %) concernaient des femmes et 123 (soit 3 %) concernaient des hommes (§43). Le Tribunal fédéral, comme le Conseil fédéral dans son rapport du 1er juillet 2015, considèrent que ces effets proviennent de « causes sociétales », le temps partiel demeurant à leurs yeux un choix, pour ne pas dire un progrès[8].
La Cour de Strasbourg arrive à une conclusion inverse en tenant compte non pas des choix personnels de la requérante vis-à-vis de ses droits subjectifs mais de sa situation individuelle dans le contexte économique et social auquel ce régime s’applique. Elle en conclut qu’une telle méthode dont les résultats donnent systématiquement des taux d’invalidité – et donc des rentes – inférieurs à ceux obtenus avec les autres méthodes de calcul, et qui touche quasi exclusivement des femmes qui souvent travaillent à temps partiel parce qu’elles y sont contraintes, ne saurait être qualifiée autrement que de discriminatoire. Toutefois, une telle qualification paraît moins évidente devant les juges de Strasbourg que devant les juges internes.
II. L’exigence d’égalité de l’article 14 de la Convention, une obligation concrète à la charge des Etats
Le calcul des taux d’invalidité constitue un contentieux encore peu exploité sous l’angle de la discrimination, d’une part parce qu’il participe d’un régime d’aide dont la légitimité et la pérennité sont remises en cause par la doctrine néolibérale, et d’autre part parce qu’il est perçu comme ne concernant qu’une frange particulière de la population empêchant les comparaisons et, partant, toute analyse socio-juridique de ces régimes[9]. La position de la Cour européenne apparaît alors comme une critique de l’incapacité des autorités suisses à mettre un terme à un système manifestement discriminatoire. Elle renforce ainsi l’exigence juridique d’égalité de traitement à l’égard des femmes (A.) en réduisant le champ de la liberté d’action politique de l’Etat (B.).
A. Le renforcement juridique de l’égalité de traitement des femmes
La solution de la Cour européenne pose un vrai problème juridique à la formation de jugement en rattachant la situation de Mme Di Trizio à l’article 8 de la Convention protégeant la vie privée et familiale. Les premiers à s’en émouvoir furent d’abord le Tribunal fédéral, le Conseil fédéral et le gouvernement suisses, soutenus dans l’opinion dissidente des trois juges minoritaires. Après avoir rappelé que la Convention « ne crée pas, en tant que tel, de droit à une pension ou autre prestation sociale d’un montant particulier [ni] ne garantit aucun droit à jouir d’un certain niveau de vie » (§59), la Cour précise le champ d’application de l’article 8 qui englobe non seulement des « relations de caractère social, moral ou culturel [mais] aussi des intérêts matériels » (§60). Elle retient que dans son volet « familial », le champ de l’article 8 peut couvrir les mesures ayant des incidences sur l’organisation de la vie familiale (§61), soit positivement en ayant pour objet de permettre aux parents de rester au foyer pour s’occuper de leurs enfants[10], soit négativement, comme en l’espèce, où la perte de rente influe sur la répartition des tâches au sein de la famille (§62). La Cour considère également que le régime contesté peut entrer dans l’aspect « vie privée » de l’article 8, sous-tendu par la notion d’autonomie personnelle, qui recouvre à la fois « l’identité physique et sociale d’un individu […] le droit au développement personnel et le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur » (§63), en ce qu’il défavorise les personnes souhaitant travailler à temps partiel en les restreignant « dans leur choix pour répartir leur vie privée entre le travail, les tâches ménagères et la prise en charge des enfants » (§64). La Cour retient, en conclusion, que la requérante est recevable à se prétendre victime de discrimination fondée sur le sexe.
On constate de nouveau que l’interdiction des discriminations permet d’étendre l’office des juges là où ils n’avaient pas coutume d’aller. L’opinion dissidente des juges indique d’ailleurs que, traditionnellement, les contentieux relatifs aux prestations sociales se placent très majoritairement sous les auspices de l’article 1er du Protocole n° 1 (droit de propriété)[11], non ratifié par la Suisse. Les rares cas où la Cour étudia une prestation sociale sous l’angle de l’article 8 concernaient alors des mesures ayant pour but spécifique d’influer sur la vie familiale[12]. Le « critère d’applicabilité très souple » dénoncé dans cette opinion est rendu possible par le fait que le groupe social défavorisé dans cette affaire est constitué par les femmes. Il s’agit à l’évidence d’un argument de poids pour la Cour qui se dispense de l’analyse d’une éventuelle discrimination fondée sur le handicap, pourtant soulevée par la requérante, ou d’une discrimination fondée sur la condition sociale comme devant les juridictions internes[13]. Ainsi, elle considère que « la progression vers l’égalité des sexes est un but important des États membres du Conseil de l’Europe et que seules des considérations très fortes peuvent amener à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement à cet égard »[14] (§82). La référence aux traditions par le gouvernement paraît inopportune puisque les Etats ne peuvent y trouver, dès lors qu’elles s’appuient sur « l’idée que l’homme joue un rôle primordial et la femme un rôle secondaire dans la famille » (§82)[15], de justification pertinente. La Cour relève l’existence d’un consensus des Etats en la matière, réduisant leur marge d’appréciation (§96), ce qui lui permet d’accueillir plus sereinement le commencement de preuve constitué par les données statistiques[16] (§§ 84 à 86).
B. La réduction de la liberté d’action politique des Etats
L’égalité entre les femmes et les hommes faisant l’objet d’un consensus entre les Etats, leur marge d’appréciation s’en trouve réduite. A ce propos, Olivier De Schutter indique qu’en matière de discrimination indirecte, l’existence d’un consensus oblige l’Etat non seulement à démontrer le caractère légitime du but recherché mais aussi la nécessité de la mesure adoptée[17]. Concernant le but affiché par la législation, celui-ci remplit les exigences d’objectivité et d’adéquation puisqu’il consiste à couvrir le risque de perte, du fait de l’invalidité, de la possibilité d’exercer une activité rémunérée ou des tâches ménagères. Le gouvernement suisse soutient ainsi qu’il « ne s’agit pas de compenser des activités que l’assuré n’aurait de toute façon jamais exercées, même sans invalidité » (§74). Le Tribunal fédéral lui a emboité le pas en estimant que « les personnes en bonne santé subissent elles aussi une perte de revenu si, à la suite de la naissance d’un enfant, elles réduisent ou abandonnent l’activité lucrative qui était la leur antérieurement ». Il précise d’ailleurs que si « un État social moderne se doit de couvrir les risques sociaux principaux, afin de permettre aux individus de se libérer du souci permanent de leur avenir […] il n’existe pas de principe général selon lequel l’État devrait assumer la prise en charge collective de tous les malheurs pouvant survenir dans la vie d’un individu. De fait, le régime social d’assurance n’est matériellement pas à même de répondre à tous les risques et besoins sociaux » (§36). La Cour européenne se rattache à cette analyse considérant que l’objectif avancé « est en soi un but cohérent avec l’essence et les contraintes d’un tel système d’assurance, qui repose sur des ressources limitées et doit en conséquence avoir parmi ses principes directeurs celui de la maîtrise des dépenses » (§96).
Toutefois, ce que la Cour reproche, reprenant l’argumentation de Mme Di Trizio, c’est l’effet particulièrement discriminant de la nouvelle méthode mixte de calcul qui tient doublement compte du fait de travailler à temps partiel (§71). Elle ajoute qu’en dépit de l’économie réalisée par le gouvernement grâce à ce nouveau mode de calcul, un tel but considéré comme légitime ne saurait être réalisé au détriment des femmes (§72). D’ailleurs l’existence de débats au niveau interne concernant cette méthode prouve l’existence d’incertitudes et, partant, l’urgence à modifier un tel régime. La Cour rejette l’argument selon lequel « en dépit des divers efforts politiques déployés, aucune alternative soutenable n’a été trouvée » (§78). Retournant la position du Tribunal fédéral considérant qu’il revenait au législateur, et non aux tribunaux, de proposer une solution « qui tiendrait mieux compte de l’évolution sociologique de la société et de la situation des travailleurs à mi-temps » (§99), la Cour invite les autorités suisses à adopter une législation plus conforme aux exigences de l’égalité entre les femmes et les hommes. Cette invitation par la sanction se justifie a fortiori au regard du rapport produit par le Conseil fédéral et des décisions de certaines juridictions spécialisées qui prônentd’autres méthodes « respectant mieux le choix des femmes de travailler à temps partiel à la suite de la naissance d’un enfant » (§101). D’après elles, « il serait ainsi possible de poursuivre le but du rapprochement entre les sexes sans pour autant mettre en danger l’objectif de l’assurance-invalidité » (§101). La Cour en conclut que la différence de traitement ne repose pas sur une justification raisonnable dès lors que d’autres méthodes auraient permis d’atteindre l’objectif invoqué.
Notes de bas de page
- Office fédéral de la statistique, « Niveau de vie, situation sociale et pauvreté – Données, indicateurs », URL :http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/20/03/blank/key/07/01.html.
- Le pouvoir d’appréciation des juges peut aussi être la cause de dérapages grossiers ; pour une actualité récente, voir Cons. prud’h. Paris, 16 déc. 2015, n° F 14/14901, Observations du Défenseur des droits sur Cons. prud’h. Paris, 16 déc. 2015, n° F 14/14901 ; note PEYRONNET (Marie), « Prud’hommes : « PD » ne serait pas une insulte homophobe », dalloz-actualité.fr, 15 avril 2016.
- Voir notamment, SOUVIGNET (Xavier), « Le juge administratif et les discriminations indirectes », Revue français de droit administratif, 2013, pp. 315 et s. : « Les discriminations indirectes n'impliquent donc pas seulement une extension du contrôle du juge ; elles en changent la figure et le sens : gardien du droit, le juge devient “ingénieur social”, ou pour reprendre la langue de la Cour européenne des droits de l'homme, grand horloger de la “société démocratique” ».
- Voir par exemple, SAISEAU (Jérémie), « L'égalité de traitement des personnes handicapées n'est pas qu'une question de principe », Journal d’actualité des droits européens, 15 juillet 2014.
- En l’espèce, le Tribunal fédéral s’était prononcé dans un arrêt de principe du 8 juillet 2011 (ATF 137 V 334), qui confirma la validité du régime déjà reconnue par des décisions antérieures (arrêt du 26 avril 1999, ATF 125 V 146, et du 6 août 2007, ATF 133 V 504).
- Selon le tribunal des assurances du canton de Saint-Gall, cité par la Cour, « l’office n’avait pas pris en compte le fait que la requérante ne pouvait s’occuper du ménage qu’à mi-temps, et avait indûment calculé l’incapacité de travail sur la base d’une journée de travail de 12 heures » (§18). Il « estima qu’au lieu de se fonder sur l’enquête ménagère […] l’office aurait dû se pencher concrètement sur sa capacité relative aux travaux ménagers, qui avait été établie par un médecin » (§18). Enfin, il « reprocha à l’office de ne pas avoir examiné si, dans l’hypothèse d’une santé normale, la requérante aurait été en mesure d’exercer une activité rémunérée à la suite de la naissance des enfants » (§18). Le tribunal avait également estimé « eu égard au salaire modeste de son mari et compte tenu de ce qu’elle pourrait raisonnablement gagner en tant que coiffeuse ou auxiliaire, qu’il était improbable que, dans l’hypothèse d’une santé normale, la requérante n’eût travaillé qu’à 50 %. L’enquête ménagère lui paraissait donc lacunaire sur ce point également » (§18).
- Le rapport indique « que son état de santé ne lui permettait pas d’avoir un travail rémunéré à mi-temps dans les mêmes conditions qu’une personne valide ; que, dans l’hypothèse où elle devrait accomplir un travail rémunéré, sa capacité à s’occuper du ménage et des enfants tomberait à 10 % environ » (§17).
- Il en conclut que « le choix d’appliquer cette méthode d’évaluation de l’invalidité ne se détermine aucunement d’après des critères liés spécifiquement au sexe de l’assuré ou qui seraient incompatibles avec l’interdiction constitutionnelle de la discrimination, mais d’après le statut du bénéficiaire éventuel de la rente » (§36).
- Sur cette analyse du droit et des systèmes de gouvernance, voir SUPIOT (Alain), « La Gouvernance par les nombres », Cours au Collège de France (2012-2014), Paris, Fayard, 2015.
- La Cour cite, entre autres, l’arrêt Petrovic c. Autriche du 27 mars 1998 (§27).
- La Cour cite, entre autres, l’arrêt Gaygusuz contre Autriche du 16 septembre 1996 (n° 17371/90, §41).
- Ce fut le cas pour une allocation de congé parental (Petrovic c. Autriche, préc., §27), ou encore pour une allocation en faveur des familles nombreuses (Dhahbi c. Italie, no 17120/09, §41, 8 avril 2014).
- Sur la question de la hiérarchie des critères de discrimination devant la Cour européenne des droits de l’homme, voir par exemple, DE SCHUTTER (Olivier), L’interdiction de discrimination dans le droit européen des droits de l’Homme. Sa pertinence pour les directives communautaires relatives à l’égalité de traitement sur la base de la race et dans l’emploi, Commission européenne, Direction générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’égalité des chances, Unité D3, Office des publications officielles des Communautés européennes, février 2005, pp. 14 et 15.
- La Cour cite, entre autres, l’arrêt de grande chambre Konstantin Markin c. Russie du 22 mars 2012, (n° 30078/06, §127).
- CEDH, 4ème section, 16 février 2005, Ünal Tekeli c. Turquie, no 29865/96, §63.
- En particulier s’agissant de discrimination indirecte, voir CEDH, 1ère section, 6 janvier 2005, Hoogendijk c. Pays-Bas, n° 58641/00.
- DE SCHUTTER (Olivier), préc.