Comment "moderniser" discrètement les émoluments des titulaires de hautes charges publiques de l'Union européenne
Le Règlement (UE) 2016/300 du Conseil du 29 février 2016 fixant les émoluments des titulaires de charges publiques de haut niveau de l'Union européenne inscrit dans le droit, de manière assez laconique, l’objet d’une petite polémique.
En apparence, ce règlement vient « moderniser » le régime pécuniaire des hautes fonctions européennes que sont le président du Conseil européen ; le président et les membres de la Commission européenne, y compris le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ; le président et les membres, ainsi que le greffier, de la Cour de justice de l'Union européenne, y compris ceux du Tribunal et des tribunaux spécialisés ; le secrétaire général du Conseil ; et le président et les membres de la Cour des comptes.
Le Conseil tire cette compétence de l’article 243 TFUE. Le traité de Lisbonne n’a sur ce point fait que reprendre une compétence originellement dévolue au Conseil depuis les origines de la construction européenne. L’attribution de cette compétence à l’institution intergouvernementale correspond logiquement à une volonté de maîtriser le niveau de rémunération de ces hautes charges. Il ne s’agit là que d’une mise en pratique de la séparation des pouvoirs sur le terrain glissant de la rémunération des dirigeants politiques.
Les hautes fonctions visées par le présent règlement bénéficiaient jusqu’ici d’un niveau de rémunération alloué par différents actes du Conseil[1]. L’éparpillement de ces différents actes s’expliquait par la spécificité de chaque cadre d’emploi de ces hautes charges, et par l’étalement chronologique de l’apparition de chacune d’elles. Néanmoins, le Conseil a décidé de revenir sur cet éparpillement, en centralisant en seul texte les données de rémunération de ces différentes charges, si spécifiques soient-elles. L’objectif affiché de cette démarche consistait à renforcer la transparence sur le sujet délicat de la rémunération des hautes charges publiques. Cet objectif est partiellement atteint, puisque la centralisation de ces données financières accroît leur accessibilité, et de fait leur comparabilité, en même temps qu’elle amène le Conseil à justifier de manière explicite le caractère exorbitant de ces rémunérations vis à vis de celles des fonctionnaires ordinaires. L’objectif de d’information et de motivation des décisions envers les citoyens s’exerce alors réellement.
En revanche, pour ce qui est de la révélation des véritables enjeux de ce règlement, le Conseil reste assez évasif. Il mentionne bien une nécessité de « moderniser » le calcul de la rémunération de ces hautes charges publiques, mais ne met pas en lumière l’orientation de cette modernisation. Le contenu du texte normatif attire l’attention du lecteur sur les chiffres, les pourcentages et les indices, autant qu’il l’invite à vérifier les justifications des indemnités. Mais sur ces points, rien de critiquable : les chiffres sont seulement réévalués à la marge avec ce nouveau règlement, et les indemnités ne sont pas multipliées. Cette première lecture laisse à penser que le règlement n’opère qu’une mise en cohérence globale des émoluments des hautes fonctions sans toucher au montant des émoluments.
Pourtant, si l’apport de ce règlement sur le fond est subtil, il n’en n’est pas moins réel. Il est repérable aux articles 19 et 20, qui prévoient que les indemnités et le traitement de base soient affectés par la variable d’actualisation issue du statut des fonctionnaires. Ce mécanisme d’actualisation automatique des rémunérations n’était jusque là pas appliqué aux charges de haut niveau. Le régime pécuniaire de ces hautes charges restait figé tant qu’une décision de revalorisation n’était pas prise. Or ces décisions de réévaluation sont justement celles qui déclenchent les plus vives critiques de l’opinion publique, car elles mettent en exergue un décalage entre le contexte de crise financière et le niveau de vie des dirigeants, pour lesquels l’exigence d’exemplarité est accrue au regard des politiques d’austérité imposées aux populations européennes. L’intervention de ce règlement est donc aussi motivée par la facilitation des revalorisations du régime pécuniaire des hautes charges.
Ces revalorisations du traitement et des indemnités des fonctionnaires sont prévues à l’article 65 du statut[2], qui mentionne une actualisation annuelle, sur la base d’un calcul prenant en compte l’augmentation des rémunérations des fonctionnaires constatée au sein de onze Etats-membres, et l’évolution du coût de la vie en Belgique et au Luxembourg[3]. Ce mécanisme d’actualisation est précédé d’un rapport de la Commission, qui évalue notamment l’incidence budgétaire de ces augmentations de traitement. Mais le mécanisme n’en reste pas moins automatique : son application n’est pas maîtrisée par la Commission, hormis le cas où l’institution décide de la non-actualisation des traitements et indemnités pour cause de crise financière. C’est justement ce que la Commission avait décidé pour les deux dernières années.
Ce gel des rémunérations vient justement d’être levé, par décision du Président de la Commission en date de décembre dernier, ce qui a conduit à une revalorisation record rattrapant les deux dernières années de gel. Cette actualisation, dont certains médias très critiques se sont émus, profitera donc aux titulaires des charges publiques de haut niveau au sein de l’Union.
Notes de bas de page
- Décision 2009/909/UE du Conseil du 1er décembre 2009 portant fixation des conditions d'emploi du président du Conseil européen (JO L 322 du 9.12.2009, p. 35) ; Règlement no 422/67/CEE, no 5/67/Euratom du Conseil du 25 juillet 1967 portant fixation du régime pécuniaire du président et des membres de la Commission, du président, des juges, des avocats généraux et du greffier de la Cour de justice, du président, des membres et du greffier du Tribunal ainsi que du président, des membres et du greffier du Tribunal de la fonction publique de l'Union européenne (JO L 187 du 8.8.1967, p. 1) ; Décision 2009/910/UE du Conseil du 1er décembre 2009 portant fixation des conditions d'emploi du haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ( JO L 322 du 9.12.2009, p. 36) ; Règlement (CEE, Euratom, CECA) no 2290/77 du Conseil du 18 octobre 1977 portant fixation du régime pécuniaire des membres de la Cour des comptes (JO L 268 du 20.10.1977, p. 1) et Décision 2009/912/UE du Conseil du 1er décembre 2009 portant fixation des conditions d'emploi du secrétaire général du Conseil de l'Union européenne.
- Statut tel que modifié par le Règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 modifiant le statut des fonctionnaires de l'Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l'Union européenne (JO L 287 du 29.10.2013, p. 15).
- Annexe XI du statut.