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Quelle approche de l’ASEAN pour la protection des investissements étrangers ?

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L'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN ou ANASE en français) constitue l’un des marchés les plus importants de la planète et est aujourd’hui au cœur de la mondialisation et des convoitises1. Et pour cause, si l’on jette un œil à l’ASEAN Statistical Yearbook 2023 ainsi qu’à l’ASEAN Investment report 2023, ces derniers nous révèlent le poids démographique et surtout économique de l’ASEAN. Alors que la population s’élevait à 671.7 millions d’habitants fin 2022, le nombre d’investissements directs étrangers (IDE) vers l’ASEAN était de 225,794.0 US$ pour l’année 2022, ce qui représente 17 % dans les IDE mondiaux. La part de l’ASEAN est donc conséquente et de nombreux acteurs économiques en provenance, en particulier d’États développés, y projettent leurs investissements. En ce sens, le plus gros État de provenance des investisseurs extra-ASEAN était en 2022, les USA (36,918.1 US$) suivis du Japon (27,215.0 US$ / 2022).

Un tel attrait a su être pris en compte par les pays de l’ASEAN qui, par leurs actions individuelles, mais surtout communes, ont pu tenter d’en tirer profit et de développer cette attractivité dans l’optique de s’imposer comme un acteur de poids dans une région dominée notamment par la Chine. À ce titre, l’un des aspects de la stratégie de l’ASEAN réside dans sa volonté d’être considérée comme une destination sûre et protectrice des investissements étrangers par le biais du développement de son propre modèle de protection des investissements étrangers. D’un acteur peu actif en la matière, l’ASEAN est parvenue à mettre en œuvre sa propre approche du droit international des investissements. Une approche dont les particularités par rapport à la pratique internationale classique justifient une analyse, à l’heure où la protection des investissements étrangers est plus que jamais remise en cause et sujette aux impératifs environnementaux.

De ce fait, cela conduira à revenir de manière concise sur la dynamique d’intégration de l’ASEAN dans un premier temps (I) qui lui a permis de développer son propre cadre de protection des investissements étrangers, au sein de l’ASEAN d’abord (II), mais également au-delà, avec des partenaires tiers à la région (III).

I.Présentation et dynamique d’intégration de l’ASEAN

Rempart initial contre l’expansion du communisme en Asie, l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN ou ANASE en français) est aujourd’hui une union politique et économique comprenant dix États de l'Asie du Sud-Est. Cette union avait pour but de « favoriser la croissance économique, le progrès social et le développement culturel dans la région et de promouvoir la paix et la stabilité », selon les termes de la Déclaration de Bangkok. Fondée le 8 août 1967 par l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande avec la signature de cette Déclaration, l'ASEAN a par la suite accueilli Brunei (1984), le Viet Nam (1995), le Laos et le Myanmar (1997), et enfin le Cambodge (1999), portant le nombre de membres à dix. Certains États ont acquis le statut de membres observateurs, tels que la Papouasie Nouvelle-Guinée en 1976 ainsi que le Timor oriental fin 2022.

A contrario de l’intégration régionale européenne, l’ASEAN reposait à l’origine sur une coopération économique de fait. Autrement dit, peu formalisée, peu contraignante et axée sur le développement national de ses États membres. Les maitres mots étaient et demeurent toujours la flexibilité et le consensus (Asean Way). Cette intégration, presque sur le contre-modèle de l’Union européenne, a pu pousser certains à qualifier ce processus de « « spontaneous integration », which perhaps may also be described as de facto regionalization »2.

Dès lors, si durant les 25 premières années de l’ASEAN ses membres n’ont pas cherché à formaliser une véritable coopération économique, le lancement de la zone de libre-échange de l’ASEAN (AFTA) en 1992 marque un réel changement de paradigme. Motivés par le contexte de négociations multilatérales commerciales qui donnera vie à l’OMC ainsi que par l’émergence de la Chine comme concurrente nouvelle au bloc, la mise en place de l’AFTA s’est vue finalisée par un démantèlement tarifaire complet début 2005. Bien qu’assez limité3, cela a marqué un pas important vers l'intégration économique des pays de la zone, encourageant le commerce et les investissements directs intra-ASEAN.

En 1997, lors de son 30e anniversaire, l'ASEAN a adopté la « Vision ASEAN 2020 »4, envisageant pour la première fois une Communauté de l’ASEAN disposant de 3 piliers : la communauté économique de l’ASEAN (AEC), la communauté politique et de sécurité de l’ASEAN et la communauté socioculturelle de l’ASEAN (ASCS). Ce concept a été concrétisé en 2003 avec le Bali Concord II5, poursuivant l'objectif de former la Communauté économique de l’ASEAN (AEC), d'ici 2020. Cet objectif fut finalement avancé à 2015 lors du Sommet de l'ASEAN en 2007, avec l’adoption d’un plan directeur guidant la création de l’AEC6. L'AEC a été officiellement lancée en décembre 2015, marquant une étape majeure vers l'intégration économique régionale. Elle vise à libéraliser le commerce des biens, services, et capitaux, à promouvoir la compétitivité économique. Pourtant, il ne s’agit pas de comparer l'AEC avec le marché unique de l'UE : l'AEC n'est ni une union douanière (avec une politique commerciale extérieure commune) ni un marché commun à part entière (avec une libre mobilité des capitaux et de la main-d'œuvre et une certaine harmonisation des politiques)7. L’intégration économique demeure bien moins poussée8.

À côté de cela, il est intéressant de noter que le développement de cette intégration économique s’inscrit dans une dynamique légale et institutionnelle importante de l’ASEAN qui mena en 2007 à la signature par les États membres de la Charte de l’ASEAN9. Cette Charte marqua un tournant, Julien Chaisse et Sufian Jusoh affirmant ainsi que « [t]he transformation of ASEAN from a loose organisation into a legal entity was enhanced by the signing of the ASEAN Charter »10. Cette charte a conféré à l'ASEAN une personnalité juridique internationale, lui permettant de devenir une organisation internationale (article 3) compétente pour conclure des traités avec des États tiers (article 1(15)).

Ainsi, même si la flexibilité de l’ASEAN Way persiste, il apparait clair que l’ASEAN est passée d’une union peu formalisée et institutionnalisée, à une véritable entité disposant d’une personnalité juridique et d’une zone de libre-échange poussée. Ces évolutions lui ont permis de devenir un acteur majeur en matière de droit international des investissements, lui permettant de développer son propre modèle d’Accord représenté par l’ACIA (II).

II.« ASEAN Investment Way » : l’ ASEAN COMPREHENSIVE INVESTMENT AGREEMENT (ACIA)

« As the name suggests, the ACIA is comprehensive, but more than that, it is also based on international best practices and on a par with other international investment agreements in terms of its scope, rights and obligations »11. Pour comprendre l’accord, il s’agira de le présenter succinctement (1) puis d’en révéler les points singuliers (2) comme plus communs (3) par rapport aux « meilleures pratiques internationales ». Cela permettra également de percevoir des lacunes (4).

1. Une présentation générale de l’Accord

Un élément essentiel de cette évolution significative vers l’intégration économique est la mise en place au sein de l’ASEAN, d’un cadre commun et cohérent de libéralisation et de protection des investissements, par le biais d’un accord d’investissement tenant compte des « meilleures pratiques internationales »12. Il a ainsi été élaboré à partir du chapitre 11 de l’ALENA et du modèle américain de TBI de 2004. L’ACIA constitue autant un pas décisif vers la régionalisation et l’institutionnalisation de la zone que l’affirmation de la position de l’ASEAN en tant qu’acteur du droit international des investissements. Le Préambule affirme à ce titre l’importance de l’accord pour « increase intra-ASEAN investments and to enhance ASEAN's competitiveness in attracting inward investments ». L’objectif est donc de créer des conditions favorables à l’attraction des investissements étrangers, en les protégeant des ingérences potentielles des États, par l’adoption d’un instrument conventionnel commun.

L'ACIA n’est pas apparu ex nihilo. Premièrement, il est précédé par des dizaines de traités bilatéraux intra-ASEAN qui peuvent poser quelques problèmes. Et deuxièmement, car il est bâti sur la base de deux précédents accords qu’il vient remplacer : l'ASEAN Investment Area (AIA) de 1998 et l'ASEAN Agreement on the Promotion and Protection of Investments de 1987, également connu sous le nom d'ASEAN Investment Guarantee Agreement (accord de garantie des investissements de l'ASEAN ou IGA) (art 47 ACIA). Un des principaux avantages de cet accord est donc qu'il unifie et perfectionne les règles dispersées dans ces deux précédents accords. L’ACIA est finalement signé en février 2009 et entre définitivement en vigueur en 2012. À noter que l’accord prévoit une procédure d’amendement pour l’adapter aux évolutions nouvelles.

En somme, l’ACIA est autant le produit d’une construction et d’une vision régionale interne, que d’une ouverture aux pratiques et enjeux internationaux relatifs aux investissements étrangers. Il représente la conception particulière de l’ASEAN en matière d’investissements étrangers tout en étant très proche des standards internationaux classiques. À plusieurs titres, l’on pourrait le considérer comme relevant d’une approche traditionnelle du droit international des investissements. Sans entrer plus que nécessaire dans les détails, il est possible de brosser un tableau concis de l’accord pour en révéler les éléments singuliers comme plus classiques.

2. Le contenu de l’accord : des éléments singuliers

Bien que la majorité de l’accord prenne une approche classique, plusieurs éléments le singularisent par rapport aux autres. Premièrement, à l’inverse des accords européens qui ne s’intéressent généralement pas à la phase préinvestissement, l’ACIA met autant l’emphase sur la libéralisation des investissements que sur leur protection13. Pour rappel, la libéralisation porte sur l’abaissement des contraintes à l’entrée de l’investissement sur le territoire national, tandis que la protection porte sur les moyens mis en place au moment où l’investissement est effectivement réalisé sur le territoire.

Dans l’ACIA, cette libéralisation est mise en œuvre par le biais d’engagements spécifiques en matière d'accès au marché de l’ASEAN et de traitement national14. Ces engagements sont pris dans une liste positive de secteurs (article 3(3)), mais où les limitations sont établies dans une liste négative (article 9). Il en découle que seuls les secteurs spécifiquement inscrits dans un engagement d'un État membre sont libéralisés et peuvent donc bénéficier du traitement national et du traitement de la nation la plus favorisée (articles 5 et 6). L’accord couvre pour l’essentiel 5 secteurs, soit l’industrie manufacturière, l’agriculture, la pêche, la foresterie et l'exploitation minière, le reste est laissé à la discrétion des États. En principe, d’autres secteurs peuvent s’ajouter dans le futur et les limitations des États seront progressivement éliminées (article 3(3)(g). Par une « libéralisation progressive »15, l’on peut voir ici une spécificité régionale importante, tributaire de la vision flexible prônée par l’ASEAN et des difficultés rencontrées dans le précédent accord sur la libéralisation des investissements.

Deuxièmement, concernant le champ d’application de l’accord, quelques précisions singulières peuvent être relevées. En effet, l’investissement ne peut être couvert par l’accord que s’il a été « admis conformément aux lois, réglementations et politiques nationales [de l'État hôte] » (art 4.a) et « spécifiquement approuvé par écrit par une autorité compétente » (art 4.a). Bien que la première condition soit généralement trouvée dans la pratique conventionnelle, la deuxième est plus étonnante16. Sous réserve des obligations de non-discrimination et de la présence d’une telle procédure dans les droits nationaux (annexe 1), cela permet à l’État de filtrer les investissements non souhaités par la sélection des investissements étrangers17. Cette innovation est encore une fois le produit d’une vision particulière des États de l’ASEAN, découlant spécifiquement des difficultés rencontrées lors de la première affaire Yaung Chi Oo c. Myanmar18 basée sur l’IGA de 198719.

Une dernière particularité, dans l’optique d’être un « hub d’investissement »20 pour les investissements extra-ASEAN, l'ACIA offre également une protection aux investisseurs provenant de pays non-membres de l'ASEAN en leur permettant de devenir des investisseurs de l'ASEAN. Pour ce faire, un investisseur extérieur à l'ASEAN doit d'abord créer une entité juridique exerçant des activités substantielles dans l'un des États membres de l'ASEAN21. Cette entité devra ensuite établir une seconde entité juridique dans un autre État membre de l'ASEAN, destiné à l'investissement22. Ce critère alternatif du « droit à la résidence permanente »23 permettant de bénéficier de l’accord n’est donc valable que dans le cas où la première entité possède ou contrôle la seconde et mène des opérations commerciales substantielles dans les États membres de l'ASEAN où elle a été créée (article 19). Cette innovation est intéressante dans la mesure où sous réserve de la clause de déni des avantages encadrant les pratiques de treaty shopping, elle opère une extension favorable aux investisseurs extra-ASEAN.

3. Le contenu de l’accord : des éléments communs

Il ne s’agira pas de s’appesantir sur les éléments communs. En effet, chacun ayant déjà eu sous les yeux un TBI peut se rendre compte de la similitude frappante de l’ACIA avec le reste de la pratique conventionnelle. L’accord demeure classique dans sa structure et dispose des clauses généralement retrouvées dans ces traités. L’intérêt n’est alors pas tant de relever que l’ACIA est en ligne avec les « meilleures pratiques » de son temps, mais surtout de constater avec un œil plus contemporain qu’il est le témoin d’une génération d’accord à mi-chemin entre les premiers traités très protecteurs des investissements étrangers et les nouveaux accords bien plus protecteurs des intérêts des États. Si la pratique contemporaine est dominée par la nécessité de préserver la liberté de réglementer des États et de réformer l’arbitrage, l’ACIA présente quelques lacunes de ce côté-là. Il conforte également la position de l’arbitrage comme moyen principal de règlement des différends Investisseur-État, ce qui va à contrecourant de la tendance multilatérale et régionale à sa remise en cause ou à sa transformation. Quelques améliorations substantielles protégeant la souveraineté des États peuvent néanmoins être mentionnées.

Certaines clauses traditionnellement rédigées de manière imprécise ont fait l’objet d’une clarification dans l’ACIA. L’annexe II précise la notion d’expropriation indirecte, notion originellement laissée à l’interprétation des tribunaux arbitraux24. À l’instar d’accords récents25, l’article 6 sur le Traitement de la nation la plus favorisée précise que les mécanismes de règlement des différends investisseurs-États (MRDIE) ne peuvent être importés par le biais de cette clause. Une telle précision s’avère cruciale à la lumière de la jurisprudence qui a suivi la décision du tribunal Maffezini c. Espagne en 200026.

La clause d’exception générale de l’article 17, reprise de l’article XX du GATT, permet en théorie à l’État de prendre des mesures nécessaires à la poursuite d’objectifs particuliers comme la protection de la santé ou de l’environnement sans risquer d’engager sa responsabilité. L’utilité de ces clauses a pourtant dans la pratique été largement remise en question27.

4. Le principal problème de l’ACIA

Le vrai problème n’est finalement pas le contenu, mais le contexte dans lequel s’inscrit le contenant. L’ACIA existe en parallèle d’une presque trentaine de TBI intra-zone28 sans y mettre fin (art 44). Ce type de régionalisation intervenant en superposition du réseau bilatéral, plutôt qu’en son remplacement, implique plusieurs problèmes connus. Bien que l'idée de renforcer la protection des investissements par la multiplication des possibilités de recours peut être soutenue29, elle s’oppose à la tendance actuelle qui vise à reconsidérer une protection sans limites. Le principal problème réside dans l'ajout d'un niveau de complexité à un droit international des investissements déjà lourd et complexe30. Cette complexité engendre une incertitude quant aux droits des investisseurs et aux obligations des États, et risque de provoquer une incohérence manifeste dans la jurisprudence arbitrale. En outre, cela permet aux investisseurs de manipuler ce réseau de traités pour invoquer les accords anciens plus favorables ou pour cumuler les procédures. Ce type d’approche tend en à exacerber le fardeau que ces traités posent à la liberté de réglementer des États.

Cette approche éclatée, caractéristique des États de l’ASEAN et motivée par les besoins en capitaux étrangers, contraste fortement avec celle de la région européenne et africaine qui tentent d’unifier leur régime d’investissement étranger au niveau régional. Elle peut néanmoins s’expliquer par le manque d’intégration et la volonté des États de l’ASEAN de garder la main sur la confection de leur propre politique en matière de traités de protection des investissements. Alors qu’en Union européenne, le remplacement des singularités de chaque État membre découle du transfert de compétences opéré au fil des réformes des traités fondateurs31, l’intégration n’est pas la même en ASEAN qui ne dispose pas du même arsenal juridique32, malgré le cadre légal posé par sa Charte.

III.« Asean Investment Way » : les accords d’investissement avec les États tiers

Fort de la conclusion de l’ACIA, l’ASEAN a souhaité étendre la protection ainsi offerte, aux investisseurs de nouveaux partenaires proches, par le biais de nouveaux accords (Accords ASEAN +). Il en existe aujourd’hui 7, dont plusieurs conclus un peu au même moment que l’ACIA33. Ces accords représentent une émanation de l’approche régionale des États membres de l’ASEAN, prise initialement dans le cadre de l’ACIA. ACIA qui représente le modèle d’accord sur lequel les membres de l’ASEAN ont pu négocier avec les États tiers. Le dernier en date est le RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership), entré en vigueur en 2020. Cet accord est gigantesque puisqu’il couvre presque 30 % de la population mondiale34.

Laissant l’exhaustivité de côté, c’est au travers de ces différents accords qu’il est possible de relever quelques points saillants de la pratique conventionnelle de l’ASEAN en matière de protection des investissements. Il peut déjà être constaté que cette approche est assez similaire d’un accord à un autre avec certains aménagements au cas par cas. C’est le cas notamment de la clause de Traitement de la nation la plus favorisée qui n’existe pas dans l’accord avec l’Inde (2014) et le Japon (2008).

1. Une approche constante depuis l’ACIA

La position prise par l’ASEAN dans ses accords avec des partenaires tiers est assez peu évolutive, la structure, les limitations et les normes applicables dans ces accords changent peu malgré les années et les critiques. Tout au plus, on peut constater une certaine évolution dans la précision des normes des traités. À titre d’exemple, le RCEP et l’accord avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande amendé en 2023 lient explicitement le traitement juste et équitable (TJE) à la coutume internationale et prévoient des annexes précisant ce qu’il faut entendre par coutume internationale.

2. Une approche pro-arbitrage pour le règlement des différends investisseur-État

Le point le plus important des accords plus de l’ASEAN est la faveur accordée à l’arbitrage comme moyen de résoudre les litiges entre investisseurs et États, en dépit des fortes critiques à son encontre35. Tous les accords de l’ASEAN disposent ainsi d’un mécanisme de règlement des différends basé sur l’arbitrage, avec des limitations procédurales ou substantielles en fonction des partenaires. Seuls le RCEP et l'accord d'investissement ASEAN-Hong Kong n’en disposent pas. Ou du moins pas encore à en croire les articles article 10.18 du RCEP et 20, 22 de l’ASEAN-Hong-Kong, qui établissent un programme de travail ou engagent les parties à entamer des discussions futures sur le sujet. Preuve que la question de l’arbitrage investisseur-État devient une problématique de plus en plus difficile à négocier au sein des nouveaux accords d’investissement.

3. Superposition des Accords ASEAN + et des TBI existants

Il existe par ailleurs une constante : ces accords conclus avec ces partenaires ne viennent pas remplacer ceux qui existaient déjà au bilatéral ou au régional. Un exemple parmi d’autres, le TBI Australie - Viet Nam (1991) existe en parallèle de l’accord ASEAN-Nouvelle-Zélande-Australie. Encore une fois, cela fait peser des risques supplémentaires aux États membres de l’ASEAN qui sont soumis à de multiples règles internationales sur la protection des investisseurs étrangers présents sur leur territoire36.

CONCLUSION

L’ASEAN est aujourd’hui l’un des pôles commerciaux mondiaux les plus actifs et attire une grande partie des investissements étrangers. Elle constitue une destination de choix pour les investissements de nombreux États et est considérée comme un partenaire très attractif pour l’Union européenne notamment. Son cadre régional d’investissement, représenté par l’ACIA, symbolise un pas de plus vers une communauté économique et démontre une volonté de s’imposer comme véritable acteur de la promotion et protection des investissements. Volonté qui se retrouve à l’international avec la conclusion d’accords avec ses partenaires proches. Pourtant, l’approche de l’ASEAN en matière d’investissement étranger laisse entrevoir des avancées, jalonnées de quelques lacunes qui pourraient s’avérer néfastes pour les États membres et les investisseurs étrangers. La plus problématique demeure celle de la conclusion d’accords en parallèle, sans remplacement des anciens traités plus vieux37, ce qui est pourtant le fer de lance de la réforme actuelle du droit international des investissements. À une époque où la rationalisation de l’immense réseau des TBI est cruciale, la multiplication des couches conventionnelles ne semble pas être l’évolution la plus souhaitable.

Notes

  • 1. L’attractivité de la région est représentée par exemple par la volonté de l’Union européenne de conclure des accords avec l’ASEAN ou ses pays individuellement, voir notamment « La fiche thématique Asie du Sud-Est » du Parlement européen, en ligne : https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/183/asie-du-sud-est (consulté le 27 mai 2024) ; Le dynamisme de conclusion d’accords de libre-échange de l’ACIA avec des tiers est également un très bon indicateur. Se référer à la note 33.
  • 2. EWING-CHOW (Michael), “ASEAN Integration, the Rule of Law, and Investment Agreements”, Proceedings of the ASIL Annual Meeting, 2013.
  • 3. FRANÇOISE (Nicolas), « La Communauté économique de l’ASEAN : un modèle d’intégration original » 2 Politique étrangère 27, 2017.
  • 4. En ligne : https://asean.org/asean-vision-2020/
  • 5. En ligne : https://asean.org/speechandstatement/declaration-of-asean-concord-ii-bali-concord-ii/
  • 6. AEC Blueprint 2015, en ligne : https://www.asean.org/wp-content/uploads/images/archive/5187-10.pdf
  • 7. FRANÇOISE, op. cit.
  • 8. « Evaluations of ASEAN’s economic integration have been mixed. While highly praised for its steady integration progress, there are also assessments suggesting there is little progress toward integration », ISHIKAWA (Koichi), “The ASEAN Economic Community and ASEAN economic integration”, 10:1 Journal of Contemporary East Asia Studies 24, 2021. Plus que l’intégration économique, l’intégration régionale en général présente des lacunes, JETIN (Bruno), « L’Asean peut-elle transformer l’Asie du Sud-Est en région intégrée ? » dans Abigaël Pesses, L’Asie du Sud-Est 2016. Bilan, enjeux et perspectives, Bangkok, Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, Les Indes savantes, 2016.
  • 9. Charte de l’ASEAN, en ligne : https://asean.org/wp-content/uploads/images/archive/publications/ASEAN-Charter.pdf. Sur la question, voir DESIERTO (Diane A.), “ASEAN'S Constitutionalization of International Law: Challenges to Evolution Under the New ASEAN Charter” 49 Columbia J Transnatl L 268, 2011.
  • 10. CHAISSE (Julien) et JUSOH (Sufian), The ASEAN Comprehensive Investment Agreement, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 2016, aux pp. 3-4.
  • 11. (Pitsuwan) SURIN, ASEAN Secretary-General, Jakarta, Interview du Oxford Business Group, 2012, en ligne : https://www.aseanbriefing.com/news/introduction-to-the-asean-comprehensive-investment-agreement/.
  • 12. « International best practices » AEC Blueprint 2015, aux pp. 12-13 : https://www.asean.org/wp-content/uploads/images/archive/5187-10.pdf.
  • 13. BATH (Vivienne) et NOTTAGE (Luke), “The ASEAN Comprehensive Investment Agreement and ‘ASEAN Plus’ – The Australia-New Zealand Free Trade Area (AANZFTA) and the PRC-ASEAN Investment Agreement”, Legal Studies Research Paper No. 13/69, 2013, à la p. 7.
  • 14. PAKITTAH (Nipawan), The ASEAN way of investment protection: an assessment of the ASEAN comprehensive investment agreement, PhD thesis, 2015 aux pp. 42-43.
  • 15. CHAISSE et JUSOH, op.cit., aux pp. 68-69.
  • 16. ZEWEI (Zhong), “The ASEAN Comprehensive Investment Agreement: Realizing a Regional Community” 6 Asian Journal of Comparative Law 1, 2011, aux pp. 9-10.
  • 17. Ibid.
  • 18. Yaung Chi Oo c. Myanmar, ASEAN ID Case No ARB/01/1, Sentence, 31 Mars 2003.
  • 19. EWING-CHOW, op. cit., à la p. 288; Pour une analyse de la sentence, voir GAILLARD (Emanuel), « Yaung Chi Oo Trading v. Myanmar: The First ASEAN Investment Arbitral Award » 1(2) Transnatl Disp Mgmt, 2004.
  • 20. CHAISSE et JUSOH, op. cit. à la p. 67.
  • 21. Ibid. aux pp. 7-8.
  • 22. Ibid.
  • 23. PAKITTAH, op. cit. aux pp. 68-73.
  • 24. Pour une sentence récente, voir PJSC DTEK Krymenergo c. Fédération de Russie, Affaire CPA No. 2018-41, Sentence, 1 novembre 2023, au para 662.
  • 25. Par exemple, Accord de libre-échange, Alliance Pacifique- Singapour, 2022, Article 8.6.
  • 26. Emilio Agustín Maffezini c. Royaume d’Espagne, Affaire CIRDI No. ARB/97/7, Décision du Tribunal sur le déclinatoire de compétence, 25 janvier 2000. Pour une explication, voir, WANG (Anqi), “Chapter 4 Applying the MFN Clause to Avoid Procedural Preconditons”, in The Interpretation and Application of the Most-Favored-Nation Clause in Investment Arbitration, Leiden, Brill Nijhoff, 2022.
  • 27. Les clauses d’exceptions générales sont en général peu efficaces lors de la résolution du différend par arbitrage comme le révélait déjà en 2018 BERGE (Tarald Laudal) et ALSCHNER (Wolfgang), « La réforme des traités d’investissement: la conception des traités est-elle importante? » (2018) Investment Treaty News, en ligne : https://www.iisd.org/itn/fr/2018/10/17/reforming-investment-treaties-does-treaty-design-matter-tarald-laudal-berge-wolfgang-alschner/.
  • 28. Cela peut être constaté grâce au site Investment Policy Hub, en ligne : https://investmentpolicy.unctad.org/international-investment-agreements/treaties/treaties-with-investment-provisions/3273/asean-comprehensive-investment-agreement-2009-.
  • 29. CHAISSE, The ‘Noodle Bowl Effect’, op. cit., à la p. 512.
  • 30. World Investment Report 2011, Nations Unies, 2011 à la p. XVII.
  • 31. En matière de protection des investissements, c’est avec le Traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009 que l’UE gagna une compétence exclusive – bien que finalement incomplète – en matière d’investissements étrangers directs. Voir l’article 207 du TFUE en corrélation avec l’article 3 TFUE.
  • 32. L’UE s’est dotée d’un règlement visant à remplacer les TBI de chaque États membres à terme, voir UE, Règlement N° 1219/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 établissant des dispositions transitoires pour les accords bilatéraux d’investissement conclus entre des États membres et des pays tiers [2012] JOUE, L 351.
  • 33. RCEP (2020); ASEAN - Hong Kong, China SAR Investment Agreement (2017); ASEAN - India Investment Agreement (2014); ASEAN–China Investment Agreement (2009); ASEAN - Korea, Republic of Investment Agreement (2009) ; ASEAN - Australia - New Zealand Free Trade Agreement (2009) Second protocol (2023) (amendement à l’accord de 2009); ASEAN - Japan FTA (2008).
  • 34. Organisation Mondiale des Douanes, “L’accord global de partenariat économique régional en Asie-Pacifique (RCEP) sous la perspective douanière”, en ligne : https://mag.wcoomd.org/fr/magazine/omd-actu-96/rcep-from-a-customs-perspective/.
  • 35. Global Arbitration Review, “Investment Treaty Arbitration in the Asia-Pacific Global Arbitration Review” (11 juin 2020, en ligne : https://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=a8b37238-4287-48cc-8cee-21b8bc682132.
  • 36. CALAMITA (Nicolas) et GIANNAKOPOULOS (Charalampos), ASEAN and the Reform of Investor-State Dispute Settlement, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 2022 à la p. 32.
  • 37. Sous réserve du jeu de l’article 30 ou 59 de la Convention de Vienne sur le droit des traité.