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Les exigences en matière d'amnistie dans l'Etat de droit démocratique contemporain : une analyse comparative du cas espagnol (1977-2024)

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Nous souhaitons que cette amnistie soit la dernière ; que l'amnistie politique cesse d'être une aspiration inutile, mais les conditions que les pouvoirs en place ont apparemment établies nous ont troublées et nous font penser que nous rangeons nos drapeaux aujourd’hui pour être défendus à l'avenir. [...] Aujourd'hui, dans cette conjoncture politique, elle [cette amnistie] nous semble la meilleure possible.

Demain, dans le magnifique lendemain auquel nous, socialistes, aspirons, nous la modifierons, nous la remplacerons, nous ferons tout ce qui sera nécessaire pour ne pas perpétuer les situations d'injustice qui nous sont imposées aujourd'hui, mais qui, en toute sincérité, nous semblent impossibles à éviter maintenant. Ce faisant, nous pensons interpréter la volonté de la majorité du peuple espagnol ».

Député Fuejo Lago, Groupe Mixte, séance de débat sur la loi d’amnistie du 14 octobre 1977

Après la mort de Franco, l’Espagne s’est trouvée face à un défi majeur : la transition d’ un régime autoritaire vers un régime démocratique. Les Cortes constituyentes, élues pour assurer la rédaction de la nouvelle Constitution, ont eu pour mission de consolider l’État de droit social et démocratique. Il s’agit d’une période de forte intensification des mouvements sociaux, de l’expression de violences meurtrières perpétrées par des groupes armés (comme Euskadi ta Askatasuna, plus connu sur l’acronyme ETA, ou le Frente Revolucionario Antifascista y Patriota- FRAP), et de crispation politique entre les partisans de la modernisation de l’Espagne s’opposant à ceux qui souhaitaient la continuité du régime autoritaire. Afin de faire face à ce défi et d’inciter tous les collectifs politiques à s’impliquer dans les négociations en vue de la rédaction de la nouvelle Constitution, certaines mesures constituaient une condition inévitable : la principale étant l’amnistie générale des prisonniers politiques, comme celle permettant le retour des Espagnols exilés1. Afin de relier au processus de transition ceux qui refusaient toute ouverture démocratique et qui prônaient la violence répressive, le parti au pouvoir a ajouté une disposition d’amnistie au profit des agents des forces de l’ordre ayant commis des abus dans le cadre de leurs fonctions pendant la dictature et la guerre civile. Malgré l’atteinte à la dignité d’un peuple qui avait vécu sous l’oppression et la peur pendant presque quarante ans, dans le contexte d’octobre 1977, déclarer l’impunité des actes de torture et des violences policières semblait alors acceptable, le but étant de réconcilier deux Espagne pensées irréconciliables. Comme Fuejo Lago le disait, dans une telle conjoncture politique, la priorité résidait dans la construction d’un avenir, et ranger le drapeau de la Justice ne serait que temporaire.

Pendant la transition, les actes de commémoration aux victimes de la guerre civile et de la dictature furent nombreux, tout comme les mesures de réparation2 ; l’amnistie ne fut pas un obstacle pour la publication d’études de cette période par des spécialistes de tous les domaines disciplinaires ; les manuels scolaires ont été revus afin de donner une vision conforme au déroulement des faits historiques, sans omissions ; deux lois mémorielles furent même approuvées par le Parlement, la dernière, à la fin de l’année 20223.

En revanche, sur le plan judiciaire, la quête de justice, de vérité et de réparation ne fit guère d’avancées marquantes. Les nuances politiques justifiées par la conjoncture seront mises de côté pour centrer l’argumentaire sur l’impossibilité juridique d’exiger des comptes de la part des responsables des abus commis au nom de l’État pendant la dictature. Les stratégies judiciaires mises en place par les associations des victimes du franquisme n’obtiendront pas le succès de leurs homologues argentines qui les avaient tant inspirées4.

Parler d’amnistie aujourd’hui en Espagne évoque la douleur des blessures non-soignées, rappelle les cauchemars des deux Espagne irréconciliables.

Le sujet de l’amnistie revient aujourd’hui dans l’actualité avec la proposition de loi d’amnistie, après plus d’une décennie de mésaventures entre les institutions centrales et les institutions catalanes. La crise politique entre la Catalogne et l’État naît en 2010 par la déclaration d’inconstitutionnalité de la réforme du Statut d’autonomie de la Catalogne, adoptée par référendum le 18 juin 20065 et validé par le Parlement central. Après le long et complexe processus d’ approbation, la déclaration d’inconstitutionnalité du Statut d’autonomie marque le point de bascule : le ressenti d’injustice se généralise au sein de la société civile, la classe politique catalane s’engage dans une quête active vers l’indépendance.

La situation se dégrade avec l’arrivé du Partido Popular à la tête du gouvernement espagnol, et la crispation est telle que le dialogue politique entre l’exécutif autonomiste et l’exécutif central finit par se rompre. En septembre 2017, le Parlement catalan approuve deux lois, la première pour la mise en œuvre d’un référendum pour l’indépendance de la Catalogne6, et la seconde, constituant une loi transitionnelle en vue de la création de la future République7. A la demande du gouvernement espagnol, ces lois sont suspendues puis déclarées inconstitutionnelles8. Malgré la suspension et l’intervention des forces de sécurité, le 1er octobre 2017 le referendum a lieu.

L’absence de compétence (au sens juridique du terme) du gouvernement catalan, ne l’empêche pas de déclarer le succès du vote en faveur de la proposition de sécession. Le 27 octobre 2017, le président de la Catalogne déclare l’indépendance de cette région, en même temps qu’il suspend ses effets afin de « négocier avec le gouvernement espagnol ».

Le gouvernement espagnol persiste quant à lui à refuser toute négociation avec les dirigeants catalans et engage la procédure prévue à l’article 155 de la Constitution espagnole (ci-après « la CE »), ce qui a pour conséquence la révocation du gouvernement autonomiste, et la nomination d’un gouvernement provisoire en attendant des élections. Les partis politiques pro-indépendantistes obtiennent la majorité à deux reprises, car deux élections sont organisées.

En parallèle, le procureur général de l’État (fiscal en espagnol) engage des procédures judiciaires pour rébellion, sédition et détournement de fonds contre certains dirigeants politiques et associatifs. Par la suite, d’autres procédures sont également engagées contre des fonctionnaires et élus ayant participé à l’organisation du référendum, ainsi que les citoyens ayant commis des actes de désobéissance civile9.

Les leaders catalans condamnés sont, pour certains, graciés partiellement, ce qui leur permet ainsi d’être libérés de prison. Le nouveau gouvernement de coalition engage ainsi toute une série de mesures en vue du rétablissement du dialogue et d’apaisement. Les poursuites pour sédition seront abandonnées, et la qualification du délit de détournement de fonds modifié (en y ajoutant la notion de profit personnel)10.

Pendant toute cette période, les manifestation et actes de désobéissance civile conduisent à la multiplication des affaires dans les tribunaux, et les condamnations de citoyens augmentent sensiblement. La judiciarisation du conflit entre l’Etat et le mouvement indépendantiste ne fait qu’augmenter la tension, et la Catalogne vit une situation d’instabilité insupportable pour sa population, mise à l’écart de la vie institutionnelle nationale.

La judiciarisation de la tentative de sécession catalane illustre bien le fait que la justice étatique ne constitue pas un outil adapté à la résolution d’un conflit de nature politique et sociale. Dans ce cas, les grâces octroyées et les modifications introduites dans la loi pénale se sont révélées insuffisantes et inadaptées à l’ampleur du conflit. A la suite des résultats électoraux au parlement espagnol, la nécessité de poursuivre les efforts de normalisation politique devient une évidence. Dans cette conjoncture, le parti socialiste fait une proposition de loi d’amnistie « pour la normalisation institutionnelle, politique et sociale en Catalogne », (ci-après LOA), laquelle a été finalement adoptée le 30 mai 2024.

Les débats autour de la légalité d’une éventuelle amnistie ont été très vifs, sans position unanime de la classe politique et des juristes. Les arguments principalement soulevés contre la légalité d’une amnistie étaient les suivants : 1) sans mandat exprès dans la CE, le pouvoir législatif n’est pas compétent pour approuver une amnistie ; 2) l’essence même de l’amnistie porte atteinte au principe d’égalité, donc elle n’a pas de place dans l’État de droit ; 3) elle porte atteinte à la séparation de pouvoirs et à l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Les problématiques sur l’admissibilité des amnisties dans l’État de droit moderne ont fait l’objet de nombreux travaux comparatifs11. Ils mettent en exergue le fait, que loin d’être un outil du passé, l’amnistie est un dispositif juridique encore nécessaire aujourd’hui, et que, loin d’être inadmissible dans l’État de droit contemporain, elle vient le renforcer et contribuer à sa consolidation. En revanche, les amnisties générales et inconditionnelles d’autrefois ne sont plus admises aujourd’hui dans la plupart des systèmes juridiques.

Les lois d’amnistie sont bien des lois à part entière, mais avec des particularités, tel que leur caractère exceptionnel. Pour analyser la légalité de l’amnistie dans l’État de droit il est nécessaire de vérifier si son caractère exceptionnel dépasse les limites constitutionnelles et conventionnelles de son environnement juridique. C’est sous cet angle que sera analysé la nouvelle proposition d’amnistie espagnole. La première partie portera sur la nature et les spécificités des lois d’amnistie dans le système juridique européen et espagnol. La deuxième partie portera sur l’analyse de l’adéquation, de la nécessité et de la proportionnalité de la LOA, et sur son champ d’application. Pour conclure, la troisième partie comparera les lois d’amnistie de 1977 et de 2024, afin de nous permettre de proposer dans la quatrième partie les exigences en matière amnisties dans l’Etat de droit démocratique contemporain.

I.Nature et spécificités d’une loi d’amnistie dans l’État de droit contemporain

L’amnistie est similaire à la notion de loi pénale favorable, il s’agit d’une opération juridique permettant de déroger rétroactivement à certaines dispositions normatives. L’amnistie fait disparaître les contraintes attachées au droit à la liberté de l’individu, avec tous ses effets, afin que ce droit à la liberté renaisse avec un caractère rétroactif. En utilisant la terminologie propre de la théorie de l’infraction, la loi d’amnistie établit, avec effet rétroactif, le caractère atypique de certains comportements. Autrement dit, ces comportements n’ont plus d’intérêt pour le droit pénal12.

Mais dans quelles conditions la « vendetta » publique peut-elle s’éteindre pour certains citoyens et pas pour d’autres ? Selon les grands philosophes des Lumières, de Beccaria, Kant ou Rousseau, toute exception à l’exercice effectif du ius punendi implique une atteinte au principe d’égalité et à la fonction de dissuasion de la loi pénale. Malgré le refus de « l’idulgentia principis » les constitutions contemporaines prévoient bien des mécanismes permettant la clémence de l’Etat, comme le sont la grâce et l’amnistie.

Or, comment ces lois exceptionnelles et particulières s’articulent-elles dans le corpus constitutionnel démocratique ? La Commission européenne pour la démocratie à travers la loi (ci-après la « Commission de Venise »13) s’est prononcée récemment sur les exigences de l’Etat de droit en matière d’amnistie. Selon son avis rendu publique le 18 mars 2024, ces exigences sont les suivantes: la suprématie de la Constitution, le respect du droit international, notamment en matière de droits humains et la jurisprudence s’y rapportant, le principe de sécurité juridique et de prévisibilité de la loi, le respect du processus législatif pour son approbation, le principe d’égalité, et l’indépendance du pouvoir judiciaire.

A.La primauté de la Constitution

Les amnisties doivent être approuvées à travers des normes de portée législative, des décisions ou actes du parlement ou de décisions de l’exécutif, dans le respect des dispositions de la Constitution. Leur constitutionnalité, quant à la procédure et quant à leur contenu, relève du tribunal constitutionnel national. La majorité requise pour l’approbation parlementaire, ainsi que la procédure normative, relève du domaine de la Constitution de chaque État. Les normes constitutionnelles étudiées par la Commission de Venise varient considérablement sur ce point, et même si la majorité d’entre elles prévoient une approbation des textes relatifs aux amnisties à la majorité simple, la commission considère qu’il serait conseillé d’encourager leur adoption à la majorité qualifiée pour ce type de lois au regard de leur objet exceptionnel.

B.Le respect du droit international, notamment en matière de droits humains et leur jurisprudence

La Commission de Venise constate une tendance vers l’interdiction dans le droit comparé et le droit international des amnisties qui couvrent les graves violations des droits de l’Homme et des crimes internationaux graves, comme sont la torture et les disparitions forcées14. Selon Louise Mallinder, cette tendance se confirme pour la région latinoaméricaine où la Cour Interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) a joué un rôle très actif et les tribunaux nationaux ont adopté des mécanismes novateurs pour laisser sans effets les lois d’amnistie nationales15. En revanche, et toujours selon Louise Mallinder il n’est pas encore possible aujourd’hui de parler d’une opinio iuris sur l’interdiction d’amnistier des crimes graves16. En effet les amnisties inconditionnelles et générales n’ont pas encore complétement disparu dans certaines parties du monde17. Par ailleurs, malgré les obligations actives qui pèsent sur les Etats de garantir le respect des articles 2, 3 et 8 de la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’Homme (ConvEDH), la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) n’a pas déclaré l’incompatibilité des amnisties avec la convention quand ces mesures sont adoptées dans un contexte particulier de conflit violent interne ou d’un processus de réconciliation18. En revanche, la CEDH soutient que les amnisties dont les bénéficiaires sont les agents de l’Etat ayant commis des crimes graves, ou des violations de l’article 3 (interdiction de la torture) ne devraient pas être acceptées19. Comme il sera vu plus en détail au point II, la LOA exclut expressément les violations du droit humanitaire et les actes intervenus en violation des articles 2 et 3 de la ConvEDH. Ce point est une avancée majeure par rapport à la loi d’amnistie de 1977 qui n’excluait pas du champ d’application les violations du droit international, et qui a conduit par la suite à empêcher toute enquête judiciaire portant notamment sur les tortures, les traitements dégradants des prisonniers et les disparitions forcées pendant la dictature franquiste.

C.Le principe de sécurité juridique et de prévisibilité de la loi

Selon la Commission de Venise, la nature exceptionnelle des lois d’amnistie implique néanmoins qu’elle réponde à exigences auxquelles est soumise toute autre loi. Il est important que les lois d’amnistie répondent aux standards normatifs essentiels puisqu’elles touchent à la responsabilité pénale, souvent dans un contexte social sensible. Les principes de nullum crimen sine lege et nulla pena sine lege (clarté, précision, accessibilité et prévisibilité) sont applicables à toute législation relative au domaine pénal, incluant celle qui dépénalise les crimes et exclue toute sanction. Ainsi toute loi d’amnistie, même si elle est applicable pour une période restreinte, doit respecter le principe de légalité. Elle doit être formulée avec précision et clarté pour être prévisible tant sur le champ d’application personnel, substantiel que temporel. Les considérations relatives à la précision et à la prévisibilité de la LOA seront abordées au point II.

D.Le respect du processus législatif pour son approbation

Au regard des motivations qui légitiment l’approbation d’une loi d’amnistie (réconciliation politique et sociale), la Commission de Venise préconise que les méthodes et procédures soient rationnelles et cohérentes avec les objectifs poursuivis. Ceci implique de respecter les principes d’inclusivité, de participation et de temporalité adéquate afin d’aboutir à une amnistie proportionnée à l’intérêt général invoqué. Ces exigences sont d’autant plus importantes quand le texte constitutionnel ne prévoit pas une majorité qualifiée pour approuver l’amnistie.

Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction, pour certains auteurs, la compétence du pouvoir législatif pour adopter les lois d’amnistie serait d’une nature différente que celle dont il dispose pour les autres lois, au prétexte que la CE ne prévoit pas expressément l’amnistie en son article 66. Cette approche matérielle ne tient pas, au regard du système constitutionnel espagnol, qui se construit à partir d’éléments formels (autorité compétente et procédure d’adoption). Sous l’angle du droit constitutionnel comparé, il semble plus cohérent d’affirmer que la compétence pour prononcer l’amnistie est d’une nature spécifique ou particulière, rentrant dans la compétence législative générique20. La tradition constitutionnelle espagnole21 et des systèmes européens voisins, octroient le pouvoir de légiférer dans le domaine de l’amnistie au législateur, étant donné qu’il s’agit d’un acte de politique criminelle formalisé dans une loi. En revanche, le droit de grâce fait partie des compétences du pouvoir exécutif, ou plus concrètement, du chef de l’État, puisqu’il s’agit d’actes individuels, et donc de nature administrative. Par ailleurs, la jurisprudence constitutionnelle espagnole défend le principe in dubio pro legislatore, en vertu duquel « la légitimité de la loi (…) provenant de la représentation populaire, la présomption de constitutionalité implique de déclarer inconstitutionnelle la loi qui se heurte de manière claire et évidente à une norme à valeur constitutionnelle22. Ainsi, l’affirmation faite par certaines personnalités sur l’incompétence du pouvoir législatif espagnol au motif qu’il n’y a pas une disposition expresse relative à l’amnistie dans le CE est sans fondement. Le silence constitutionnel semble résulter d’un choix réfléchi et d’opportunité politique. Il est fort probable que ce silence soit motivé dans la difficile décision qui fut celle de l’adoption de l’amnistie générale en octobre de 1977 comme il a été vu en introduction. Entamer une négociation sur la constitutionnalisation de cette institution pouvait être ressenti comme une tache trop douloureuse et source de crispation que le constituant a voulu s’épargner.

La procédure retenue pour valider la LOA est celle d’une loi organique. La motivation de ce choix vient par assimilation avec la loi pénale. Dans la mesure où le champ d’application de l’amnistie vient affecter des dispositions du code pénal qui a rang de loi organique, la loi qui encadre l’amnistie doit elle aussi faire l’objet de la réserve formelle de loi organique23. Pour l’approbation d’une loi organique, il est nécessaire d’obtenir la majorité absolue (la moitié plus un) du Congrès des Députés.

La LOA a été soumise à une procédure d’urgence, ce qui allège la procédure en levant la contrainte de saisir certains organes consultatifs constitutionnels, comme le Conseil général du pouvoir judiciaire (CGPJ). Cela étant précisé, ce dernier a pris l’initiative de réaliser un rapport sur la LOA. L’exposé des motifs de la proposition de loi ne permet pas de motiver l’urgence, mais il est évident que ce sont des raisons d’agenda politique qui ont conduit à l’examen de la loi selon la procédure d’urgence 24.

La procédure d’urgence suivie pour la procédure législative qui a conduit à l’adoption de la LOA et la majorité absolue qui permet son approbation ne remplissent pas toutes les recommandations faites par la Commission de Venise, cependant elles semblent être en accord avec les impératifs légaux applicables.

E.Le principe d’égalité et l’interdiction de l’arbitraire :

Par définition, les amnisties incluent une différence de traitement entre individus ayant commis le même type d’actes, mais dans des contextes, moments et raisons différents. Les uns sont exonérés de responsabilité pénale, les autres y sont soumis. Il ne faut pour autant pas déduire de cette différence de traitement l’interdiction absolue de toute amnistie. Ainsi le principe d’égalité s’applique dans un double sens : d’une part la différence de traitement doit être motivée par des critères objectifs, proportionnels et nécessaires. D’autre part, la justification de l’amnistie des actes doit être appréciée conformément au but poursuivi par le législateur. Il est nécessaire d’effectuer une analyse de proportionnalité, une balance entre les inconvénients et les avantages de la mesure.

Les amnisties sont des mesures impersonnelles, les critères généraux ne doivent pas concerner des individus en particulier, mais un groupe ou une catégorie de personnes. Comme l’évoque la vielle jurisprudence allemande25, la concession d’une amnistie n’est pas un acte administratif sous forme de loi, il s’agit bien d’une loi au sens matériel, et donc abstraite par nature. Elle ne prévoit pas, comme c’est le cas des pardons, les conséquences particulières pour des individus, sinon un nombre indéterminé de cas, correspondants à des incriminations pénales26. Selon la Commission de Venise, quand une amnistie vise une réconciliation après certains événements, la détermination des actes amnistiés devrait être basée sur des critères généraux, et avoir un lien de causalité stricte avec lesdits événements. C’est en ce sens que s’est prononcé le Conseil constitutionnel français à l’occasion de l’étude de constitutionalité relative à la loi portant statut particulier de la région de Corse, « le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce qu'il délimite ainsi le champ d'application de l'amnistie dès lors que les catégories qu'il retient sont définies de manière objective » 27.

Pour que la différence de traitement ne soit pas arbitraire, l’amnistie doit poursuivre un objectif légitime dans l’intérêt de la communauté, telles que l’unité nationale, la réconciliation politique et sociale. Ainsi le principe de proportionnalité requiert que l’amnistie soit le moyen adapté pour atteindre l’intérêt légitime recherché. Il appartient donc aux institutions élues compétentes qui disposent d’une marge d’appréciation de juger si l’amnistie est l’outil pertinent, ou si d’autres mesures paraissent plus adéquates.

F.L’indépendance du pouvoir judiciaire

Les amnisties ont pour effet l’annulation ou l’évitement des décisions et procédures judiciaires. A la différence des modifications législatives qui prennent effet pour l’avenir, l’amnistie ne produit ses effets que pour les actes déjà commis. Pour respecter le principe de séparation de pouvoirs, les tribunaux doivent avoir la charge d’analyser si les cas d’espèce qui leur sont soumis rentrent dans les critères généraux déterminés par la loi, et prononcer les décisions individuelles.

Ce sont donc les tribunaux qui ont la compétence finale sur la décision d’amnistier, ou non, l’individu.

Pour ce qu’il en est de l’autorité compétente, l’amnistie relève bien du pouvoir législatif. Le fait qu’il n’ait pas de référence expresse dans la Constitution espagnole ne peut pas être interprété comme une interdiction générale à toute amnistie. En revanche, comme le signale la Commission de Venise, du fait de leur nature singulière, il est recommandé que pour leur approbation, une majorité renforcée soir requise. Faute de prévision expresse dans la Constitution, il a été appliqué les standards d’une loi organique, procédure applicable selon la CE. Le législateur peut prendre note de cette recommandation afin de porter une modification constitutionnelle dans ce sens, comme ce fut le cas en Italie, pour faire suite au recours banalisé des amnisties approuvées dans le seul but de lutter contre la surpopulation carcérale28.

Il convient d’en déduire que les exigences de l’État de droit ne comportent pas une prohibition systématique de l’amnistie du fait de la nature même de ce dispositif. Une analyse de chaque loi se présente comme nécessaire afin de vérifier si elle respecte les standards précités. Afin de vérifier si le principe d’égalité est respecté, un jugement de proportionnalité et de nécessité doit être fait. Par ailleurs, la séparation des pouvoirs n’est compromise que dans le cas où les juridictions sont privées de leur fonction d’application de la loi et de rendre la décision individuelle auprès du bénéficiaire de l’amnistie. Ce sont bien les juges qui permettront que la loi crée tous les effets recherchés, donc leur intervention est indispensable pour l’atteinte de la finalité recherchée. Il est donc temps de faire l’analyse, d’une part, de l’adéquation du contenu de la LOA au but poursuivi, et d’autre part de la nécessite et de la proportionnalité de son champ d’application (des actes dépénalisés et des bénéficiaires visés).

II.Adéquation, nécessité et proportionnalité de la LOA

Comme la Commission de Venise l’a relevé, toute amnistie doit être fondée sur une motif objectif raisonnable dans l’intérêt de la communauté. Elle doit être en adéquation avec l’intérêt légitime et pour ce, elle doit être nécessaire, d’autres moyens se présentant comme étant inefficaces ; elle doit être abstraite, comme tout autre loi sans viser des individus spécifiques ; enfin, elle doit être proportionnelle quant à la temporalité retenue et aux actes dépénalisés. Dans le présent point nous allons analyser si la LOA se présente comme un outil adéquat et nécessaire dans le contexte socio-politique espagnol (A), puis nous procéderons à une mise en balance des impératifs poursuivis par la loi et son contenu afin de vérifier si le principe de proportionnalité est respecté.

A.Adéquation et nécessite d’une amnistie pour résoudre le conflit issu du procès indépendantiste catalan

La LOA comporte un long exposé des motifs, d’une part pour justifier sa constitutionalité et d’autre part pour justifier la nécessité de son édiction. La question de la légalité des amnisties a déjà été abordée au point précédent. Ici nous nous attacherons à l’adéquation de l’outil juridique choisi avec le but poursuivi. Comme l’a indiqué la Commission de Venise, l’amnistie est un outil juridique de dernier recours, sa mise en place doit être motivée par un intérêt légitime, objectif et raisonnable.

Comme évoqué dans l’introduction, la LOA est adoptée après d’autres mesures comme les grâces partielles et les modifications du code pénal. Malgré cela, l’ampleur des événements, et notamment leur judiciarisation, ont fait que ces mesures se sont révélées insuffisantes. Les résultats des scrutins électoraux du mois de juillet 2023 ont été le déclencheur final qui a permis d’accepter l’amnistie réclamée par les représentants catalans et, dans la population, par les sympathisants du mouvement pro-indépendantiste. Les forces politiques conservatrices ont jugé la mesure opportuniste afin d’en contester sa légitimité. Néanmoins, à l’exception des « auto-amnisties », en général, toute amnistie est la concrétisation d’une transaction politique entre deux, ou plusieurs parties, en conflit. Elle est toujours le fruit d’un calcul politique, comme ce fut le cas pour la loi d’amnistie de 1977. Et même si la loi d’amnistie de 1977 fut l’objet d’un large consensus, ce qui n’a pas été le cas pour la LOA, le but des deux amnisties était la normalisation politique et l’apaisement de la violence. Le contexte général dans l’Espagne de 77 et le degré de violence meurtrière des deux camps expliquent ce large consensus. La dimension régionale de la nouvelle loi d’amnistie, et, peut-être, le fait que la violence n’ait été que le fruit de la désobéissance civile, explique aussi la majorité limitée par laquelle elle a été approuvée. Il est important de rappeler qu’une partie importante des élus espagnols refusent le caractère pluri-identitaire espagnol, et au cours des quarante dernières années de démocratie, ils ont fait preuve d’une grande fermeté quant à la question d’autogouvernance des communautés autonomes (régions). Ces élus ont eu des réactions très vives dès le moment où avait été évoquée l’idée d’amnistier les citoyens catalans sanctionnés, ou susceptibles de l’être. Les discours politiques se sont centrés sur l’inégalité des citoyens espagnols face à la loi ainsi que l’affaiblissement de l’État de droit après tant d’efforts et de compromis pendant la transition. Les discours se sont centrés sur des éléments politiques subjectifs et d’hostilité farouche contre toute prétention de briser l’unité nationale espagnole. Ces arguments manquent d’objectivité et de fondement juridique, puisque le champ d’application de la LOA est bien plus restreint et les infractions amnistiables bien moins graves et moins nombreuses que celles visées dans la loi de 1977.

Comme le précise la Commission de Venise, le choix de mobiliser ce dispositif légal relève de la marge d’appréciation de l’Etat, il s’agit d’une décision d’opportunité politique. Comme l’a aussi confirmé la CEDH29, sont considérés comme motifs légitimes et d’intérêt général la réconciliation nationale et l’apaisement social. Dans ce sens, la LOA semble être en adéquation avec l’encadrement des amnisties dans l’Etat de droit contemporain.

B.Proportionnalité du champ d’application de la LOA

Le respect du principe de proportionnalité doit être regardé sur plusieurs aspects : d’une part, la délimitation temporelle de l’effacement de la responsabilité pénal doit être précise et répondre à des motifs en lien avec l’objectif poursuivi (a) ; d’autre part, la délimitation des incriminations amnistiées doit être légitimé et faire l’objet d’une mise en balance des biens juridiques en conflit (b), afin de s’assurer que le principe d’égalité, pilier dans l’Etat de droit est respecté (c) ; et enfin, les effets juridiques de la loi dans le système juridique nationale doivent être en adéquation au but poursuivi (d).

    a) Proportionnalité quant à la temporalité

L’article 1er de la LOA prévoit l’espace temporel et les comportements faisant l’objet du champ objectif de la loi. Son premier alinéa dispose que :

1. Sont amnistiés les actes suivants déterminant la responsabilité pénale, administrative ou comptable, exercés en relation avec les consultations tenues en Catalogne le 9 novembre 2014 et le 1er octobre 2017, leur préparation ou leurs conséquences, à condition qu'ils aient été réalisés entre le 1er novembre 2011 et le 13 novembre 2023, ainsi que les actions suivantes réalisées entre ces dates dans le cadre du processus dit indépendantiste en Catalogne […].

La LOA fixe ainsi une période qui coïncide avec le début des crispations et dont la date de fin correspond à celle du dépôt de la proposition de loi pour examen. La période d’application de la loi est donc assez longue mais précise. En revanche, au troisième alinéa de l’article 1 il est ajouté :

3. Les actes dont l'exécution a commencé avant le 1er novembre 2011 ne sont réputés relever du champ d'application de la présente loi que si leur exécution s’est achevée après cette date. Les actes dont l'exécution a commencé avant le 13 novembre 2023 sont également réputés relever du champ d'application de la présente loi même si leur exécution s'achève après cette date.

Ceci impliquera que le délit dont l’acte préparatoire a été commis avant le 13 novembre 2023 pourrai continuer à être exécuté après l’entrée en vigueur de la loi. Dans ce sens, il nous semble que le champ d’application de l’amnistie dépasse les limites qui lui sont imposés par le principe de proportionnalité et les principes de sécurité juridique et de prévisibilité. L’ ajout de l’alinéa 3 pourrait être regardé comme portant atteinte au principe d’interdiction de l’arbitraire et donc paraît inconstitutionnel.

    b) Proportionnalité quant aux comportements amnistiés

Pour ce qui est des comportements dépénalisés, la référence aux deux consultations citoyennes est une donnée objective. A la suite, l’article 1.1. énumère une série de comportements, de situations et d’infractions d’ordre disciplinaire et administratif qui entrent dans le champ de l’amnistie, à la condition que ceux-ci aient été commis dans le but de poursuivre la finalité politique de « revendiquer, promouvoir ou rechercher la sécession ou l'indépendance de la Catalogne », ou bien pour la réalisation des scrutins susmentionnés. Ces dispositions incluent principalement les délits d’abus de fonctions, détournement de fonds publics et des actes de désobéissance civile (désordre public, atteintes à l’autorité publique). Les formulations utilisées pour énumérer les comportements entrant dans le champ de l’amnistie sont malheureusement trop génériques, les références aux incriminations et autres sanctions disciplinaires et administratives ne sont pas aussi précises qu’il aurait été attendu. Comme le relève la Commission de Venise, le respect du principe de prévisibilité doit être renforcé dans le domaine de l’amnistie. Ces lois d’amnistie interviennent toujours dans des conjonctures particulières, et les interprétations diverses des juges peuvent engendrer des tensions et aggraver la situation. Il est donc dommageable que le législateur n’ait pas opté pour une liste des dispositions sanctionnatrices concernées (en citant la loi et l’article qui les prévoit), comme c’était par exemple le cas dans la loi d’amnistie approuvée au Kosovo en 201330.

L’article 2 de la loi apporte un peu de clarification puisqu’il prévoit les exclusions du champ d’application de l’amnistie. Sont écartés tous les actes entraînant la mort, une fausse couche ou des lésions au fœtus, la perte ou l'incapacité d'un organe ou d'un membre, l'impuissance, la stérilité ou une grave difformité. Par ailleurs sont exclus les crimes de torture et de traitements inhumains, les actes ayant une motivation raciste ou discriminatoire, les actes qualifiés de terroristes quand ils ont eu comme résultat la violation de l’article 2 ou 3 de la ConvEDH, les actes dirigés contre les intérêts financiers de l’Union Européenne, ou les actes constituant un délit de haute trahison, ou portant atteinte à la paix ou à l’indépendance de l’Etat espagnol.

Cette fois-ci le législateur a tâché d’ajouter les références législatives, réglementaires ou conventionnelles afin d’identifier plus clairement les comportements qui sont exclus de son champ d’application31. Les actes dépénalisés par la LOA rentrent dans le respect des standards internationaux et les recommandations de la CEDH et de la Commission de Venise.

En revanche, il ne serait pas étonnant que le manque de précision dans les formulations et le fait de faire référence à des législations d’ordre national et d’ordre européen suscitent un important contentieux. C’est notamment le cas pour les situations relatives aux détournements de fonds et de l’exclusion des actes allant à l’encontre des intérêts financiers de l’Union Européenne32. Le juge jouera un rôle majeur dans la définition du périmètre d’application de la loi d’amnistie au fur et à mesure que les cas d’espèce lui seront présentés.

    c) Respect du principe d’égalité de traitement et de généralité de la loi

Le rapport validé par la majorité des magistrats siégeant au CGPJ33 est très dur et déclare que la LOA contrevient au principe d’égalité. Selon le rapport, la loi est discriminatoire, puisqu’elle aurait dû inclure les actes commis par les groupes anti-indépendantistes, les agents des forces de l’ordre et les corps de sécurité de l’État, et au moins ajouter les conditions d’un repentir, la non-récidive et exclure les membres du gouvernement, comme c’est le cas dans les grâces. Le CGPJ va jusqu’affirmer que la LOA est une « auto-amnistie », car elle a été approuvée par le Congrès des députés avec les votes des groupes parlementaires dont les membres et militants vont bénéficier.

Comme il a été vu plus haut, l’analyse du respect du principe d’égalité doit être faite depuis une approche externe (les situations qui entrent dans le champ d’application de l’amnistie et celles qui restent en dehors de son champ d’application) et une approche interne (les comportements substantiellement égaux mais dont les auteurs reçoivent un traitement différent, les uns bénéficiant de l’amnistie, et pas les autres). La proportionnalité est appréciée à partir de l’analyse de la nécessité d’introduire des différences de traitement dans la loi pour atteindre le but poursuivi. Le rapport voté par la majorité du CGPJ effectue une analyse biaisée, non objective et raisonnable comme l’indique la Commission de Venise. Et ceci est encore plus saillant quand il est dit que la LOA pourrait être qualifiée d’auto-amnistie.

Selon Andrew G Reiter34, les auto-amnisties sont des amnisties mises en place et visant à bénéficier à ceux qui détiennent le pouvoir, soit parce qu’ils sont les vainqueurs d’un conflit violent35, soit pour assurer l’impunité des dirigeants et officiers à la fin d’un régime autoritaire. Le premier point à prendre en considération pour vérifier si la LOA est une auto-amnistie est d’identifier qui en sont les bénéficiaires réels : avant la proposition de loi, la plupart des dirigeants politiques avait déjà fait l’objet individuellement de mesures de grâce. Le but poursuit par la loi est bien plus large que celle de la classe politique catalane comme il sera vu par la suite. Le deuxième point est que les quelques dirigeants politiques catalans qui pourront bénéficier de la loi d’amnistie ne détiennent pas le pouvoir, le Parlement espagnol étant compétent pour l’approbation de la proposition de loi (or ils ne sont qu’une minorité dans la chambre de représentants de tout l’Etat). Donc il n’est pas possible d’affirmer qu’il s’agit d’une auto-amnistie. Il faut savoir que la plupart des auto-amnisties ont été approuvées sous forme de décret-loi, qui sont des actes relevant du pouvoir exécutif36. Une fois de plus, les arguments avancés par le CGPJ ne semblent pas être tant de nature juridique mais plutôt de nature politique.

L’article 1er de la LOA décrit les situations et comportements pouvant faire objet de l’amnistie sans se référer à une catégorie ou groupe de personnes spécifiquement, à l’exception de deux références que nous verrons à la suite. L’élément subjectif de l’infraction qui permettra aux juges de déterminer les individus bénéficiaires est l’intentionnalité. Ainsi, les comportements amnistiés sont principalement ceux ayant une motivation politique37. Pour donner un ordre d’idée des citoyens visés par l’amnistie, il convient de lire l’exposé de motifs, ainsi libellé :

L'approbation de cette loi organique est donc considérée comme une étape nécessaire pour surmonter les tensions susmentionnées et éliminer certaines des circonstances à l'origine de la désaffection qui éloigne une partie de la population des institutions de l'État. Ces conséquences pourraient d'ailleurs s'aggraver dans les années à venir, au fur et à mesure que se développent les procédures judiciaires qui affectent non seulement les chefs de file de ce processus (qui sont les moins nombreux), mais aussi les nombreux citoyens et employés publics qui exercent des fonctions essentielles dans l'administration régionale et locale, et dont les poursuites et les éventuelles condamnations et déchéances perturberaient gravement le fonctionnement des services dans la vie quotidienne de leurs compatriotes et, en définitive, la cohésion sociale. Par conséquent, afin d'atteindre l'objectif de ce règlement, il doit être mis un terme à l'exécution des peines et des procédures judiciaires concernant toutes les personnes, sans exception, qui ont participé au processus d'indépendance, ou non.

Sans s’y référer directement comme critère objectif dans la loi, sont visées deux catégories de personnes, à savoir les agents de police et autres forces de l’ordre, et les agents publics. Concernant les premiers, le e) de l’alinéa premier de l’article 1er prévoit que seront amnistiées « les actions réalisées au cours des interventions policières destinées à empêcher la réalisation des comportements engageant la responsabilité pénale ou administrative définis dans cet article ». De ce fait, les considérations faites par le CGPJ concernant les forces de l’ordre nous semblent sans objet, car les possibles auteurs des excès et dommages commis dans l’exercice de leurs fonctions sont amnistiés, hors dans les cas les plus graves prévus dans les exclusions de l’article 2 de la loi38. Par ailleurs, les agents publics sont indirectement visés du fait de la spécialité des types pénaux qu’y sont prévus à l’article 1er, comme c’est le cas du détournement de fonds. Ils sont spécifiquement cités à l’article 6 sur les effets de l’amnistie, qui prévoit leur réintégration dans leur corps d’affectation et la suppression des notes défavorables dans leur dossier personnel.

    d) Adéquation et proportionnalité quant aux effets

Les titres II et III de la LOA sont dédiés aux effets, l’autorité compétente et à la procédure de mise en œuvre de l’amnistie.

La déclaration d’amnistie produit l’extinction de la responsabilité pénale, administrative et comptable39. Quant à ses effets sur la responsabilité pénale, toute personne privée de liberté, du fait d’une condamnation ferme ou du fait d’une mesure de sûreté, doit être libérée.

Concernant les procédures en cours, l’organe judiciaire en charge de l’affaire doit laisser sans effet toute mesure préventive comprise dans le champ objectif de la loi, à l’exception de celles prononcées pour répondre à des réclamations civiles. Les tribunaux ayant émis des mandats de détention nationaux, européens ou internationaux devront les laisser sans effet. La suspension de la procédure pénale, pour quelque motif que ce soit ne pourra pas entraver la révocation des mesures de sûreté relatives à la privation de l’exercice des droits fondamentaux et des libertés publiques.

Concernant les affaires jugées, l’organe judiciaire en charge de l’exécution devra mettre à fin toute peine privative de liberté, des droits et d’amende, que celles-ci aient été prononcées à titre de peine principale ou accessoire. Les antécédents pénaux relatif à des actes amnistiés seront effacés du casier judiciaire des intéressés.

Enfin, les peines privatives de liberté ayant été partiellement exécutées ou les périodes de détention provisoire ne feront pas l’objet d’indemnisation auprès des bénéficiaires de l’amnistie. L’article 7 prévoit de manière générale que le bénéficiaire de l’amnistie ne sera aucunement indemnisé et que ne seront pas restituées les amendes de toute nature déjà versées en vertu d’une sanction, à l’exception de celles moins graves établies conformément à la loi organique 4/2015, du 30 mars 2015, de protection de la sécurité citoyenne.

Sur la responsabilité administrative, seront supprimés du Registre central des infractions contre la sécurité citoyenne les infractions et sanctions issues des procédures administratives visées par la LOA. Il sera mis en terme à toute procédure administrative en cours entrant dans le champ d’application de la loi. Il en sera de même des mesures provisoires, et toute consignation sera remboursée. Les agents publics seront réintégrés à leurs corps d’affectation et toute note défavorable dans leur dossier personnel sera supprimée. Enfin, les agents publics n’auront pas le droit à leur traitement pour les heures de service qu’ils n’ont pas effectuées, mais leur ancienneté sera maintenue sans interruption.

La loi prévoit des dispositions permettant de limiter l’incidence dans les comptes publics ainsi que les des effets économiques de l’amnistie. En l’absence de cette disposition, l’amnistie aurait pu s’avérer disproportionnée aux faits et aberrer l’état des finances publiques.

Concernant la responsabilité civile et comptable, l’article 8 prévoit l’extinction de la responsabilité des affaires en cours. L’amnistie ne couvre donc pas celles ayant fait l’objet d’une décision définitive et entièrement exécutée. Est exclue du champ de l’amnistie la responsabilité civile résultant des dommages causés aux particuliers40. Les réclamations devront être poursuivies hors juridiction pénale.

Le titre III précise les procédures relatives à la déclaration d’amnistie au cas par cas, selon la nature (pénale, comptable et administrative). L’amnistie sera déclarée d’office, ou à la demande de l’intéressé. Pour chaque cas, l’amnistie fera l’objet d’un traitement préférentiel et urgent, et les décisions devant être adoptées par l’organe compétent dans un délai maximal de 2 mois, sans préjudice des recours possibles (article 16), qui n’auront pas d’effet suspensif.

La Commission de Venise considère comme étant « justifié », le traitement prioritaire des affaires relatives à l’amnistie par les organes compétents. Elle considère également comme étant pertinente la prise d’effet de l’amnistie malgré la suspension du procès ou de l’introduction d’un recours, notamment concernant la libération d’individus emprisonnés.

Par ailleurs, elle rappelle que l’article 30 de la loi organique 27/1979, du 3 octobre de 1979 relative au Tribunal constitutionnel, prévoit que l’admission d’un recours ou d’une question de constitutionnalité ne suspend pas l’application de la disposition normative ou de la loi qui lui est soumise pour étude, sauf le cas où la question de constitutionnalité est soulevée par une juridiction, d’office, ou à la demande d’une partie, dans le cadre d’une procédure en cours (article 35.3). L’affaire en cours est également suspendue jusqu’à la décision du Tribunal constitutionnel. La Commission de Venise conclut que la suspension prévue aux articles 4 et 10 de la LOA doit s’appliquer uniquement aux procédures en cours devant les juridictions ordinaires, la procédure de l’article 35.3 relative à la question d’inconstitutionnalité. En aucune manière, le pouvoir de le révision de la loi par le tribunal constitutionnel ne peut pas être privé de son effet matériel.

Enfin, les droits établis par la LOA sont prescrits par 5 ans après sa publication. Passé ce délai, les comportements qui n’ont pas fait l’objet d’une résolution d’amnistie pourront être soumis aux dispositions de droit commun. Par conséquent, les actes non prescrits pourront faire l’objet d’une procédure, et leurs auteurs ne pourront pas bénéficier des dispositions de l’amnistie. La nature temporaire de cette loi contribue à renforcer le principe de sécurité juridique et d’interdiction de l’arbitraire comme nous le verrons plus en détail au point III. En même temps, elle contribue à la construction de la vérité et de la mémoire collective grâce.

III. La loi de 1977 sous le prisme des exigences de l’Etat de droit contemporain

Il nous semble que le cas espagnol illustre bien l’évolution en matière d’amnistie, cet outil est aujourd’hui mieux encadré pour le rendre plus respectueux des exigences de l’Etat de droit. Le cas espagnol montre également la prise en compte par le législateur national, du droit international, du droit comparé, et des recommandations faites par les organisations internationales de diverse nature.

Nous allons dans cette dernière partie analyser la loi de 1977 à travers les exigences posées par la Commission de Venise. A cette occasion nous analyserons les points communs et les différences entre la loi d’amnistie de 1977 et celle de 2024 (A), pour ensuite en extraire quelques conclusions, et proposer les grands principes auxquels doivent se conformer les amnisties approuvées dans les démocraties constitutionnelles contemporaines (B).

Tout d’abord, il faut préciser que l’essence de l’amnistie reste la même. Sa nature en tant qu’instrument juridique à caractère exceptionnel, rétroactif et temporel demeure inchangée.

En ce qui concerne à l’intérêt légitime recherché par la loi, le long exposé des motifs de la LOA contraste avec le silence de la loi d’amnistie de 1977. L’absence de toute mention au but poursuivi fait que la seule source permettant de connaître les motivations du législateur de 1977 sont les débats parlementaires préalables à l’approbation de la loi. De ce fait, l’idée répandue de l’amnistie comme une institutionnalisation de l’oubli (d’amnésie consciente du passé, ou table rase) se voit renforcée, comme le sentiment d’injustice. Comme l’évoque la Commission de Venise, le but poursuivi par une amnistie est l’un des éléments clé permettant de vérifier la légalité de la mesure. Aujourd’hui, nous pouvons désormais constater que, ce n’est pas exclusif à l’Espagne, dans la plupart des cas, le législateur national fait mention de l’intérêt légitime à protéger afin de la rendre plus légitime auprès des citoyens.

Concernant le champ temporel, la loi de 1977 distingue trois périodes applicables selon les situations. Sont amnistiés les personnes ayant commis 1) des délits, crimes ou fautes d’intentionnalité politique, exécutés avant 15 décembre de 1976 ; 2) entre le 15 décembre 1976 et le 15 juin 1977 leur comportement est motivé par un rétablissement des libertés publiques ou par la revendication de l’autonomie des peuples d’Espagne ; 3) les comportements identifiés au point précédent jusqu’au 6 octobre 1977, quand ils n’ont pas porté atteinte grave à la vie ou l’intégrité physique41. La période d’application de l’amnistie n’est pas définie précisément pour le premier cas, puisque la date de début n’est pas précisée. Par ailleurs, l’article 11 bis déclare l’imprescriptibilité des droits conférés par loi, à l’exception des effets économiques qui sont soumis aux normes de prescription de droit commun. L’imprescriptibilité des droits générés par l’amnistie est source d’insécurité juridique et renforce l’idée d’impunité totale. Elle va à l’encontre de l’un des « principes Joinet »42, le principe de vérité (ou le droit à savoir) auquel doivent répondre les mécanismes de justice transitionnelle. Limiter temporellement les droits et les effets de l’amnistie renforce le droit à la vérité. Cela encourage les bénéficiaires à obtenir une résolution les amnistiant, puisqu’en cas contraire, ils pourraient se voir condamnés une fois passé le délai. Les résolutions des organes compétents se convertissent ainsi en source riche de données et de témoignages. Cela contribue à la construction d’une mémoire collective et les décisions de justice deviennent des indicateurs objectifs permettant de mesurer la réussite ou l’échec de la loi. Au contraire, sans délai de prescription des droits offerts par la loi, les bénéficiaires ne trouvent pas d’intérêt à obtenir une déclaration d’amnistie, leur nom et leurs actes restant ainsi dans l’anonymat.

Pour ce qui concerne les actes visés par l’amnistie, la loi de 1977 est très générale et ouverte, elle prévoit que sont amnistiées les personnes ayant commis « tout acte d’intentionnalité politique, quel que soit le résultat, et étant classés dans les catégories des crimes, délits ou contraventions … ».43 Son article 2 ajoute « qu’en tout cas sont compris », énumérant, à la suite, une liste non exhaustive des comportements compris dans son champ d’application. Sont inclus les délits de rébellion et de sédition, l’objection de conscience, ou des délits de « refus de collaborer avec la Justice » ou les actes d’expression d’opinion. Il est étonnant de voir à la fin de cette liste de comportements d’intentionnalité politique (clairement d’opposition au régime), l’ajout des lettres e) et f) qui étendent l’amnistie aux faits commis « par les fonctionnaires de l’Etat lors des investigations menées contre les infractions objet de l’amnistie ainsi que ceux « commis contre les droits fondamentaux des personnes ». Les motivations de ces ajouts ont déjà été évoquées en préambule, mais le législateur a manqué de cohérence tant dans la formulation que dans l’emplacement de ces comportements à l’article 2 de la loi. D’une part, il est impossible de savoir avec certitude dans quel champ temporel sont encadrés ces comportements, et d’autre part, ils semblent être en contradiction avec le champ d’application défini à l’article 1er, qui limite le bénéfice de la loi aux « actes d’intentionnalité politique ». Cependant, il est fort probable qu’un nombre important des actes commis par les fonctionnaires de l’État l’était sans motivation politique, mais uniquement dans l’accomplissement des ordres des supérieurs. Malgré son manque de précision et l’inclusion de la violation des droits fondamentaux par les forces de l’ordre de l’Etat, la loi a été déclarée constitutionnelle44.

Enfin, le champ d’application de la loi est trop incertain et ne répond pas aux standards actuels de prévisibilité et de clarté du principe de légalité pénale imposés par la CEDH. La loi d’amnistie de 1977, à la différence de la LOA, ne prévoit pas une liste d’exclusions. Elle ajoute uniquement les atteintes grave contre la vie ou l’intégrité physique des personnes perpétrées par les participants aux mouvements revendicatifs, commises entre le 15 décembre 1976 et le 6 octobre 1977.

L’absence de limitation expresse des comportements dépénalisés rend la loi contraire aux obligations relatives à la poursuite des violations graves du droit humanitaire applicables aujourd’hui dans le système juridique espagnol, qui pèsent sur les État. Bien entendu, à l’époque de l’approbation de cette loi d’amnistie, l’Espagne n’avait ratifié que le pacte de New York relatif aux droits civils et politiques45. Enfin, l’approche prise par la CIDH sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et l’interdiction de les amnistier46 n’est pas partagée par les hautes juridictions espagnoles, qui ont catégoriquement refusé de considérer cette interdiction comme une norme coutumière de droit international47. En effet, même si une norme de droit international pénal peut servir de support à l’opération juridique de qualification, c’est à condition que cette norme fasse partie du corpus juridique national48. Selon le Tribunal suprême, « le pouvoir de juridiction ne découle pas du droit international coutumier ou conventionnel, mais du principe démocratique, de la Constitution espagnole et des lois adoptées par le Parlement 49». L’Espagne n’a pas voulu lever les contraintes comme l’ont fait un bon nombre de pays latino-américains pour se satisfaire aux « principes Joinet ». L’absence de compétence de la CIDH et la posture, un peu floue, sur l’admissibilité des mesures faisant obstacle à la sanction des auteurs des crimes graves de la CEDH, ont permis la pérennisation des effets de la loi d’amnistie de 1977, sans limite temporelle et matérielle.

Les effets sont décrits aux articles 6, 7 et 8. Les articles se focalisent sur les effets relatifs aux pensions de veuvage et de retraite et à la régularisation des cotisations à la sécurité sociale, droits qui n’avaient pas été reconnus aux opposants du régime ou à leurs familles. Comme c’est le cas dans la LOA, la loi prévoit la restitution des droits des fonctionnaires amnistiés et la réintégration dans leur corps d’origine, et ce, sans condition ni exclusion des actes les plus graves. Ce jour, cet aspect serait contraire au principe Joinet relatif aux garanties de non-répétition auxquelles doivent répondre les mesures de justice transitionnelle. Par ailleurs, la suppression du casier judiciaire n’a pas été prévue, même si elle a été pratiquée. Enfin, il convient de préciser que la loi de 1977 ne fait pas référence à la responsabilité civile, les victimes des dommages n’ont donc pas pu réclamer d’indemnisation ou se voir restituer les biens confisqués par le régime dictatorial. Ce sont les deux lois de mémoire qui ont abordé la question du droit à réparation des victimes, et même si cela est intervenu tardivement, elles ont corrigé le manque de précision de la loi de 1977 sur ce point.

Concernant la procédure pour bénéficier de l’amnistie, la loi de 1977 prévoit que ce sont les autorités judiciaires compétentes qui auront la charge d’adopter, dans le cadre d’une procédure d’urgence, les décisions en application de la loi, quel que soit l’état d’avancement du procès et de la juridiction en cause. Les décisions doivent être adoptées dans un délai de trois mois. L’organe compétent ordonne la liberté immédiate des bénéficiaires de l’amnistie et laisse sans effet les ordres de détention. Sur ce point, les deux lois d’amnistie ont des points communs, même dans les formulations utilisées. En revanche, la loi de 1977 renvoie aux procédures de droit commun existantes. Quant à la LOA, elle spécifie la procédure en fonction de la nature de la sanction et de l’autorité compétente pour prononcer l’amnistie.

IV. Les exigences contemporaines en matière d’amnistie : les leçons tirées de l’expérience espagnole

L’amnistie de 1977 ne semble pas être conforme aux principes établis par la Commission de Venise : une loi telle que celle de 1977 serait de nos jours contraire à la CE et au droit international applicable en Espagne. Néanmoins, il est possible de convenir de ses bienfaits : elle a permis de créer les conditions optimales pour que l’Espagne devienne un Etat de droit, social, et une démocratie consolidée. Il convient de rappeler qu’avant tout, elle fut perçue par la population comme la loi mettant fin à la répression et pas comme une loi d’impunité. La peine véritable de l’Espagne sur l’amnistie fut le conservatisme interprétatif des tribunaux et la continuité de l’empêchement des familles des victimes d’accéder au droit de savoir. Le champ d’application de la loi et son contenu sont similaires à celui d’autres lois approuvées pendant le même période dans d’autres pays50. L’argumentaire juridique développé dans d’autres systèmes juridiques à partir de la fin des années 80 aurait pu inspirer le juge espagnol afin de faire évoluer son interprétation de la loi pour la rendre plus conforme aux nouvelles valeurs constitutionnelles. Le point le plus sensible résidait dans le refus d’accéder aux demandes d’enquête relatives au lieu de sépulture des victimes de la guerre civile et de la dictature franquiste. La maturité d’une démocratie se mesure aussi par sa capacité d’évolution et d’adaptation aux exigences sociales, sans quoi sa légitimité peut se voir écornée.

Concernant l’amnistie de 2024, les débats politiques et juridiques ont permis de mettre en exergue les points forts de la démocratie constitutionnelle espagnole et les points faibles qui peuvent être améliorés, comme la nécessite d’une majorité renforcée pour l’approbation des lois d’exception.

Malgré d’abondantes critiques, l’amnistie de 2024 a renforcé la liberté de pensée, le pluralisme politique et les droits de manifestation et d’association. Droits qui ont été fortement restreints ces dernières années par des lois comme la Loi Organique nº4/2015, de 30 de mars 2015, de protection de la sécurité citoyenne. De surcroît, la LOA tient compte des sensibilités identitaires plurielles au sein du pays, des revendications relatives au droit à l’autodétermination des peuples. Ces revendications entrant en collision avec l’unité territoriale de l’Etat, la LOA nous invite à réfléchir à l’importance d’engager un débat sur le terrain politique au lieu de s’acharner dans un intégrisme légaliste, qui peut entrer en conflit avec d’autres valeurs constitutionnelles51. Dans le cas espagnol, fermer la porte à l’échange politique sur ce type de revendications a eu pour conséquence la montée des crispations et d’un sentiment d’injustice de la part des citoyens. Les mobilisations sociales et l’incertitude de l’avenir institutionnel ont mis à mal la paix et l’ordre publique, d’autres valeurs constitutionnelles que l’État se doit de préserver.

Pour le reste, la nouvelle amnistie conforte la tendance internationale initiée par la CIDH sur le respect des « principes Joinet » et des obligations internationales qui pèsent sur les États. L’exclusion des crimes contre l’humanité tient compte de l’obligation de poursuivre les violations graves des droits de l’Homme. Le délai de prescription des bénéfices de la loi permet garantir le droit à la vérité, et en même temps, la construction d’une mémoire qui est un moyen de garantir la non-réitération. Enfin, l’exclusion de la responsabilité civile du champ de l’amnistie permet de garantir le droit à indemnisation et à réparation des victimes. Elle contribue ainsi à la construction d’une norme de ius cogens en matière d’amnistie

Enfin, le caractère exceptionnel de toute amnistie doit être fondé sur un motif objectif et raisonnable, l’intérêt général qu’elle cherche à garantir est de caractère général, ce qui justifie que les droits individuels soient limités. Le bien-fondé de la loi permet d’éviter la banalisation de ce mécanisme d’exonération de la responsabilité. Les principes d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité octroient au juge les outils nécessaires pour évaluer la légalité de la norme avec le système constitutionnel et les conventions internationales.

Les standards normatifs sont applicables à l’amnistie comme à toute autre loi, leur respect est indispensable afin que les dérogations qu’elle introduit temporairement dans le système juridique national soient limitées et respectent le cadre constitutionnel. Ainsi, toute loi d’amnistie est avant tout une loi comme une autre, même si elle présente des spécificités.

Un projet d’amnistie met à l’épreuve la solidité des piliers de l’Etat de droit. L’introduction d’exceptions dans le système juridique doit être soigneusement justifié et doit faire l’objet d’une étude de proportionnalité entre les biens juridiques en conflit. Le paradoxe des deux amnisties espagnoles est ce que, par l’exception au droit, l’Etat de droit et ses institutions publiques se sont vues renforcées. Chacune des lois, dans leur contexte socio-politique, a permis d’apaiser les convulsions sociales et de recentrer le sujet conflictuel dans le débat politique : en 1977, en permettant la négociation de la Constitution et le début de la transition démocratique ; en 2024, en réintégrant la Catalogne dans la vie institutionnelle et politique espagnole. Un indicateur fort fut le résultat électoral de mai 2024 : depuis 15 ans, un parti politique central obtient la majorité dans les élections au Parlement catalan. Cette tendance s’est vue confirmée dans les élections européennes du 9 juin 2024, où tous les partis confondus de sensibilité indépendantiste ont obtenu 49% des votes, perdant ainsi la large majorité à laquelle nous étions accoutumés au cours de cette dernière décennie. Ces chiffres permettent de confirmer les effets positifs de l’amnistie de 2024, notamment en termes de normalisation politique en Catalogne et de sa réintégration dans la vie publique espagnole.

Alors, dans une perspective historique et au regard du cas espagnol, il convient de s’interroger sur les bienfaits des amnisties dans certaines situations très exceptionnelles. Quelle est la meilleure justice, celle qui établit comme priorité la lutte contre l’impunité des criminels ou bien celle qui permet de temporiser afin de se donner la chance de construire un avenir plus prospère 52?

Notes

  • 1. Le trio des banderoles des mouvements sociaux étaient « Llibertat, amnistia i estatut d’autonomia ! ». La libération des prisonniers, le retour des exilés et l’amnistie constituaient en mars 1976 le premier point du manifeste de la Coordination démocratique (union de la Junta Democratica de sensibilité communiste et de Convergencia Democratica, d’idéologie socialiste). De son côté, Allianza Popular (le parti regroupant les héritiers du régime franquistes), qualifiait d’absurde la concession d’une amnistie au bénéfice des terroristes professionnels, comme les membres du groupe armé ETA.
  • 2. Voir la compilation des normes nationales et autonomistes approuvées sur la mémoire historique et de réparation des victimes publié par le Ministerio de Justicia ici : https://www.mpr.gob.es/memoriademocratica/normativa-y-otros-recusos/Paginas/index.aspx
    (consulté le 24.05.2024)
  • 3. Ley de la Memoria Democrática (Ley 20/2022 de 19 de octubre) et Ley de Memoria Historica (ley de Ley 52/2007, de 26 de diciembre).
  • 4. Sous initiative du gouvernement Kirchner, le Parlement Argentin annulait en août 2003, les lois d’amnistie, connues comme « leyes de punto final y debida obediencia ». Par ailleurs, les tribunaux contournent l’application des diverses lois d’amnistie dans certaines situations très graves, sous arguments juridiques différents (Affaire Dufourq, 1984 sur l’inconstitutionnalité de la loi d’amnistie de facto de 1983; le cas Camps 1987, sur la responsabilité pénale des donneurs d’ordres dans forces armées). Les effets des diverses amnisties se voient peu à peu anéantis jusqu’à déclarer leur inconstitutionnalité de manière expresse dans l’affaire Simon Julio Hector y otros s/privation illégitime de liberté etc. -causa n° 17.768 le 14 juin 2005. Cette évolution législative et prétorienne ont permis la réouverture et la poursuite des responsables de crimes (cf. Engstrom and Gabriel Pereira, The Ebb and Flow in the search of justice in Argentina, in LESSA Francesca et PAYNE Leigh A. (dir.), Amnesty in the age of human rights accountability, Cambridge University Press, 2012).
  • 5. STC 31/2010, du 28 juin 2010
  • 6. Llei 19/2017, del 6 de setembre, del referèndum d'autodeterminació
  • 7. Llei 20/2017, del 8 de setembre, de transitorietat jurídica i fundacional de la República
  • 8. STC du 8 novembre 2017.
  • 9. Amnistie Internationale publie le 19 noviembre 2019 un rapport d’analyse de la décision du tribunal suprême espagnol, où se montre préoccupée par « la définition du délit de sédition en droit espagnol et l'interprétation de ce délit par le Tribunal suprême qui, selon l'organisation, viole le principe de légalité et permet d'imposer des restrictions disproportionnées à des comportements qui, s'ils peuvent représenter une violation de la loi, peuvent être couverts par les droits à la liberté d'expression et à la liberté de réunion pacifique » (EUR 41/1393/2019 España: análisis de la sentencia del tribunal supremo en la causa contra líderes catalanes, disponible : https://www.amnesty.org/es/wp-content/uploads/sites/4/2021/05/EUR4113932019SPANISH.pdf.
  • 10. Ces modifications sont adoptées à la suite d’une résolution du PACE du 21 juin 2021, invitant le gouvernement espagnol à adopter ce type de mesures. Elles bénéficieront aux prévenus non définitivement jugés en application du principe de rétroactivité in mitius.
  • 11. FREEMAN (Mark), Necessary evils, Cambridge University Press, 2009; MALLINDER (Louise), « Amnesties’ Challenge to the Global Accountability Norm », Amnesty in the Age of Human Rights Accountability, 2012; DANIELS (Lesley Ann), Buying peace [en ligne], PhD Thesis, Universitat Pompeu Fabra, 2016 ; LESSA (Francesca) et PAYNE (Leigh A.) (dir.), op. cit.
  • 12. Dans la théorie classique française, les lois d’amnistie font disparaitre rétroactivement l’élément légal de l’infraction. Jusqu’à la déclaration d’inconstitutionnalité l'article 35. C) de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, modifiée, (QPC 2013-319, du 7 juin 2013) l’amnistie avait des conséquences supérieures à l’abrogation puisque, elle faisait obstacle à toute communication sur les faits amnistiés sous peine de condamnation pour diffamation. L’amnistie n’est plus une mesure d’oubli absolu comme l’était autrefois. Pour reprendre les mots du conseil constitutionnel français :
    Considérant, d'une part, que les dispositions concernant l'amnistie, la prescription de l'action publique, la réhabilitation et la révision n'ont pas, par elles-mêmes, pour objet d'interdire qu'il soit fait référence à des faits qui ont motivé une condamnation amnistiée, prescrite ou qui a été suivie d'une réhabilitation ou d'une révision ou à des faits constituant une infraction amnistiée ou prescrite ;
    Considérant, d’une part, l'interdiction prescrite par la disposition en cause vise sans distinction, dès lors qu'ils se réfèrent à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision, tous les propos ou écrits résultant de travaux historiques ou scientifiques ainsi que les imputations se référant à des événements dont le rappel ou le commentaire s'inscrivent dans un débat public d'intérêt général ; que, par son caractère général et absolu, cette interdiction porte à la liberté d'expression une atteinte qui n'est pas proportionnée au but poursuivi ; qu'ainsi, elle méconnaît l'article 11 de la Déclaration de 1789.
  • 13. La Commission Venise est un organe consultatif du Conseil de l’Europe en matière de droit constitutionnel, de fonctionnement des institutions démocratiques et de droits fondamentaux, de droit électoral et de justice constitutionnelle. Elle a une mission d’assistance auprès des Etats et émet des avis et recommandations sur des projets de constitutions, d’amendements constitutionnels ou d’autres textes législatifs dans le domaine du droit constitutionnel. Malgré que ses avis n’aient pas force légal, ils ont joué un rôle décisif au développement du droit constitutionnel dans les nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale et dans les pays voisins du continent.
  • 14. La décision Margûs c/ Croatie, du 27 mai 2014 de la CEDH fait état des affaires traités par les juridictions internationales en matière d’amnistie, notamment en Amérique Latine, qui bannissent l’utilisation des amnisties pour accorder l’impunité aux auteurs des violations graves des droits humains. De même, il serait possible de conclure que cette interdiction pèse sur les Etats ayant signé la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et la convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
  • 15. CIDH, affaire « Barrios Altos »( Aguirre Chimbipuna c/ Pérou) du 14 mars 2001; affaires « Massacres du Mozote et lieux voisins c. Salvador », 25 octobre 2012 ; affaire « Almonacid Arellano et autres c. Chili », 26 septembre 2006 ; Maidanik y Otros Vs. Uruguay, du 15 de noviembre de 2021 ; résolution dans le cadre des mesures conservatoires et supervision de décisions du 20 octobre 2023, affaire « Chichupac y Comunidades vecinas del municipio de Rabinal » (Molina Theissen Y Otros 12 Casos Contra Guatemala)».
  • 16. MALINDER (Louise), « The end of anmnesty or regional overreach? Interpreting the erosion of South America’s amnesty laws », dans International and Comparative Law Quarterly, p. 671-675
  • 17. Pour citer quelques exemples : Afghanistan 2009, Libye 2012, Philippines 2012, Sénégal 2024, Soudan du Sud 2015, Ukraine 2015.
  • 18. Cf. décision de la Commission, CEDH, Dujardin et autres contre la France, du 2 sept. 1991 p.240 :
    «La Commission estime à cet égard que la loi d’amnistie, qui présente un caractère tout à fait exceptionnel, a été adoptée dans le cadre d’un processus de règlement du contentieux entre les diverses communautés de l’archipel [La Nouvelle Calédonie]. Il n’appartient pas à la Commission de porter un jugement sur l’opportunité des mesures prises par la France à cet égard. En effet, l’État est en droit d’adopter, dans le cadre de sa politique criminelle, les lois d’amnistie qu’il juge nécessaires à condition toutefois qu’un équilibre soit ménagé entre les intérêts légitimes d’un État et l’intérêt des justiciables à ce que le droit à la vie soit protégé par la loi»
    Cf. décision Margûs contre Croatie précité :
    139. […] le droit international tend de plus en plus à considérer ces amnisties comme inacceptables car incompatibles avec l’obligation universellement reconnue pour les États de poursuivre et de punir les auteurs de violations graves des droits fondamentaux de l’homme. À supposer que les amnisties soient possibles lorsqu’elles s’accompagnent de circonstances particulières telles qu’un processus de réconciliation et/ou une forme de réparation pour les victimes, l’amnistie octroyée au requérant en l’espèce n’en resterait pas moins inacceptable puisque rien n’indique la présence de telles circonstances en l’espèce.
  • 19. Cf. Lexa v. Slovaquie (2008) para. 139 et Yeter v. Turquie (2009) para 71.
  • 20. Cf. la décision dissidente de María del Mar Cabrejas Guijarro relative au rapport sur la proposition de loi organique d’amnistie du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire (CGPJ) du 21 mars 2024, §146.
  • 21. Ibid. §104-108
  • 22. STC 17/1981, de 1 juin, FJ 1; 23/1988, de 22 de février, FJ 1
  • 23. En revanche, aux effets de l’article 81.1 de la CE, le fondement matériel de la réserve de loi organique n’est pas transposable à l’amnistie, car cette dernière ne développe un droit fondamental (STS 25/1984 du 23/02).
  • 24. Puisqu’elle fait l’objet d’un pacte politique qui permettra au parti socialiste d’obtenir les soutiens nécessaires pour l’investiture de son candidat en tant président espagnol.
  • 25. Décision du 15 décembre de 1959 (BVerfGE 10, 234)
  • 26. Le BVerfG, déclare à l’occasion des mesures d’amnistie de 1949 et 1954 liées aux événements de la 2e Guerre Mondiale : « certes, le législateur tient compte des cas particuliers, mais ces derniers ne sont que la cause de la mesure, pas l’objet de la régulation ». Décision 2 avril 1953 (BVerfGE 2, 213, 222)
  • 27. Décision 82-138 DC - 25 février 1982 - Loi portant statut particulier de la région de Corse (considérants 12 et 13).
  • 28. Dans l’arrêt 175/1971, du 14 juillet 1971, de la Corte Constituzionale, elle rappelle que les instruments de clémence collective sont des mesures à « caractère tout à fait exceptionnel », et regrette leur multiplication à un rythme plus rapide que sous le régime précédent. Cependant, face à cette utilisation fréquente qui diluait le caractère exceptionnel des mesures de grâce générale et amnistie, la Cour définit les limites institutionnelles du contrôle de constitutionnalité. Les années qui suivront elle déclarera partiellement inconstitutionnelles certaines mesures, pour porter atteinte au principe d’égalité et avoir exclu certains délits.
    Au total, 23 mesures de clémence collective (grazia generale ou amnistie) avaient été adoptées entre 1948 et 1992, année dans laquelle intervient la réforme de l’article 79 de la constitution italienne. L’approbation des mesures de clémence nécessite désormais une majorité renforcée de deux tiers au Congrès et au Sénat (cf. Sevizio Studi del Senato, Dossier n. 67, ottobre 2013, XVII Legislatura, I provvedimenti legislativi dei amnistia e indulto dal 1948 ad oggi).
  • 29. Cf. décision Margûs contre Croatie précitée, §139.
  • 30. Loi Nº 04/L-209 d’amnistie, Gazette officielle de la république du Kosovo, nº 39, 19 septembre 2013.
  • 31. Certaines références ont fait l’objet de critiques, comme c’est le cas de la directive européen a (UE) 2017/541 du Parlement Européen et du Conseil, du 15 de mars 2017, relative à la lutte contre le terrorisme, ayant le code pénal espagnol transposé ladite directive. Le fait est ce que le code pénal est bien plus contraignant quant à l’interprétation du terme terrorisme.
  • 32. Cette exclusion a été prévue afin de respecter le mandat de l’article 325 du Traité de Lisbonne. Cette inclusion pourrait conduire à un traitement discriminatoire entre les personnes ayant commis des actes portant atteinte aux intérêts financiers nationaux (dont leurs auteurs peuvent bénéficier de l’amnistie) et ceux portant atteinte aux intérêts de l’UE (dont les auteurs ne pourraient quant à eux, pas bénéficier de l’amnistie). En effet, les comportements peuvent être identiques, mais le résultat n’étant pas le même puisque le bien juridique protégé est distinct, le caractère discriminatoire risque de ne pas être retenu dans une éventuelle question de constitutionalité.
  • 33. Le rapport voté le 21/03/2024 est validé par 9 des 16 magistrats qu’y siègent. Des opinions dissidentes ont également été publiées.
  • 34. REITER (Andrew G), Examining the use of amnesties and pardons as a response to internal armed conflict, Israël Law Review 47(1) 2014, pp 133–147
  • 35.
     Afin de légitimer leurs nouvelles fonctions, parfois les régimes putschistes approuvent des lois d’amnistie. Par exemple, ce fut le cas de Franco, qui approuvera la loi d’amnistie de 23 septembre 1939, considérant comme non criminels certains actes d'action politico-sociale commis du 14 avril 1931 au 18 juillet 1936. Ou bien, le cas du Chili, par l’approbation du décret-loi nº 2.191, de 1978, afin de stabiliser le gouvernement de la Junta Militar de Pinochet.

  • 36. Comme ce fut le cas de l’amnistie promulguée sous le mandat de Pinochet, mais aussi par le gouvernement militaire d’Argentine en 1983, en Guatemala (Decreto-ley 89-83, 1983 et Decreto-ley 145-1996), Pérou ( Decreto ley 25499, 1992), El Salvador (Decreto 210/1983).
  • 37. Pour citer quelque exemples, l’article 1, alinéa 1. a) fait référence aux actes ayant l’intention de revendiquer, promouvoir ou procurer la sécession ou indépendance de la Catalogne. Le b) fait référence aux actes commis avec l’intention de convoquer et promouvoir la célébration des référendums de 2014 et 2017. Le b) inclut tous les actes de désobéissance civile de toute nature exécutés avec l’intention de soutenir les objectifs et fins décrits dans les alinéas précédents.
  • 38. Sur ce point il convient de rappeler la position de la CEDH, qui a jugé que, dans les affaires de torture ou de mauvais traitements infligés par des agents de l'Etat, les poursuites pénales ne devaient pas être interrompues en raison de la prescription, et que les amnisties et les grâces ne devaient pas être tolérées dans de telles affaires (voir Monacu et au. Contre Roumanie, § 326, du 17 septembre 2014 ; Abdülsamet Yaman c. Turquie, § 55, 2 novembre 2004 ; Yeter c. Turquie, § 55, 2 novembre 2004 ; Yeter c. Turquie, § 70, 13 janvier 2009 ; et Association « 21 décembre 1989 » et autres, § 144).
  • 39. La disposition finale deuxième, introduit une modification dans le code pénale espagnol afin d’inclure à son article 130.1 l’amnistie comme cause d’extinction de la responsabilité criminelle, et être ainsi en cohérence avec l’article 666.4º du code de procédure criminelle, qui prévoit que l’amnistie comme l’une des causes de non-lieu de l’affaire.
  • 40. En application de l’article 63.1 de la convention, la jurisprudence de la CIDH s’est prononcée à plusieurs reprises sur l’obligation d’indemnisation des victimes l’obligation de réparation des dommages subis par les particuliers (cf : Trujillo Oroza c/ Bolivia", arrêt du 27/2/2002, consid. 106, serie C, n. 92; Velazquez c/ Honduras, 29 julio 1988, consid. 175, 189 et ss.), mais aussi la vielle jurisprudence française qui pose le principe de survivance des droits des tiers (Cass. 19 mai 1848, S. 48.1.513 ; 9 février 1849, S., 49.1.240 ; 11 mai 1895, S., 95.1.377 ; 15 mars 1091, D.03.1.526.) Voir DUFAURE Germaine, Des effets de l’amnistie, Thèse de doctorat, Université de Bordeaux, 1934, p. 69 et ss.
  • 41. Le deuxième et troisième cas de figure permettait d’amnistier les personnes ayant participé aux grandes mobilisations sociales pour défendre l’établissement d’un régime démocratique et faire état des exigences attendues par les citoyens.
  • 42. JOINET (Louis), « Justice transitionnelle : principes et standards internationaux ; un état des lieux », in Justice transitionnelle dans le monde francophone, Séminaire international de Yaoundé, 4-6 décembre 2006.
  • 43. Autre que la responsabilité pénale, sont également amnistiés les infractions de nature syndicale ou du droit du travail et que supposent l’exercice des droits reconnus aux travailleurs en normes et conventions internationales en vigueur (article 5).
  • 44. STC 63/1983, 20 juillet 1983
  • 45. Ratifié le 13 avril 1077 et entré en vigueur le 27 juillet 1977, v. BOE, num. 103 de 30 avril de 1977, p. 9337 à 9343.
  • 46. CIDH, affaire « Barrios Altos », 14 mars 2001, Aguirre Chimbipuna c/ Pérou. La Cour a considéré que l’amnistie, la prescription et tout autre mesure faisant obstacle à l’investigation et à la sanction des responsables de violations massives des droits de l’homme, contreviennent aux droits intangibles reconnus par le droit international et les droits de l’Homme. Dans le même sens, CIDH, Arellano et autres c/ Chili, 26 septembre 2006, la Cour souligne que l’amnistie fait obstacle à l’obligation des Etats de poursuivre et de sanctionner les crimes contre l’humanité. Un autre exemple, c’est l’affaire Anzualdo Castro c. Pérou, arrêt du 22 septembre 2009, où elle considère « [L]’État est tenu de lever tous les obstacles, tant factuels que juridiques, entravant la conduite effective de l’enquête sur les faits et le déroulement de la procédure y afférente, et d’employer tous les moyens à sa disposition pour accélérer l’enquête et la procédure en question, afin de garantir que de tels faits ne se reproduisent pas » (182).
  • 47. STS 101/2012, Manos limpias y Asociación libertad e identidad contra Baltasar Garzón
  • 48. GOGORZA (Amane) et LACAZE (Marion), « Chronique de droit pénal espagnol. La loi, le juste et le juge face au franquisme » [en ligne], Revue internationale de droit pénal, Vol. 83, 2013, [consulté le 2 juin 2024].
  • 49. STS 798/2007 du 1er octobre 2007, affaire Scillingo para. 6,4.
  • 50. Comme c’est le cas de la loi du Chili de 1978.
  • 51. Comme c’est par exemple le principe d’intervention minimale de la loi pénale.
  • 52. Sur cette réflexion, voir Mark A. DRUMBL, Child soldiers and clicktivism: Justice, myths, and prevention. Journal of human rights practice, 2012, vol. 4, no 3, p. 481-485. Drumbl s’interroge sur le traitement du droit international, et notamment de la Cour pénale internationale, de certaines situations de violations graves. Plus particulièrement le paradoxe des enfants soldats, qui sont des victimes au regard du droit humanitaire, et leur considération en tant que criminels une fois qu’ils ont atteint l’âge de 18 ans. Les limites du droit international ont été mises en exergue récemment par la poursuite, pour la première fois, d’un ancien enfant soldat âgé d’une quarantaine d’années, par la Cour pénal internationale : Dominic Ongwen est condamné pour soixante chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le cas de Ongwen sera une exception parmi celui de tous les autres enfants soldats de l’Armée du Seigneur en Ouganda, qui ont fait l’objet d’une amnistie. Ces enfants soldats devenus adultes ont pu bénéficier d’une amnistie et retourner dans leurs villages, à condition de quitter l’Armée du Seigneur. Ils ont fait l’objet d’un procès sous leur justice coutumière propre qui tient compte des spécificités de l’Ouganda et notamment des deux statuts de ces individus : de victime et d’auteur. Drumbl affirme être déçu du procès d’Ongwen auprès de la CPI, puisque, certes la condamnation des atrocités qu’il a commises ont fait l’objet d’un peu de justice pour ses victimes, mais cela s’arrête là. A ce jour, le droit international adopte une logique binaire trop simpliste pour un phénomène si complexe, comme l’est la violence à grande échelle, il est indispensable de réenvisager la réponse du droit international avec des mécanismes préventifs, notamment pour mettre fin au recrutement de nouveaux enfants soldats. Pour suivre les réflexions de Mark A Drumbl, écouter son entretien « Les enfants soldats : un défi sécuritaire, un dilemme moral », Esprit de justice, Antoine Garapon, France culture, diffusé le 17 avril 2024 : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/esprit-de-justice/les-enfants-soldats-un-defi-securitaire-un-dilemme-moral-7949518