Différends, conflictualités, contentieux

La préservation de l’autonomie stratégique européenne à l’égard des investissements directs étrangers dans l’industrie européenne de défense

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Le concept de mondialisation, bien qu'initié avant les années 1980, a connu une accélération majeure à cette époque grâce à la libéralisation des échanges et aux avancées technologiques. Aujourd'hui en pleine transformation, ce phénomène se caractérise par une intensification de la concurrence internationale, alimentée par l'émergence économique de certains États tels que la Chine et, dans une moindre mesure, la Corée du Sud et la Russie. L’industrie européenne de défense n’échappe pas à cette dynamique de mondialisation, où le soutien au développement des entreprises de défense devient un enjeu stratégique majeur. Outre l’intensification de la concurrence internationale, d’autres défis émergent, notamment la nécessité de préserver l’autonomie des capacités de défense face à une dépendance accrue aux capitaux et technologies étrangers, ainsi que la hausse des coûts liés aux moyens de défense. Cette évolution renforce la complexité des décisions à prendre pour assurer la compétitivité et l'indépendance stratégique de l'industrie européenne de défense. De manière générale, l’industrie de défense est un ensemble constitué de deux catégories d’entreprises. D’abord, celles qui concourent à la conception, à la production et à la commercialisation des équipements destinés à des fins spécifiquement militaires, et des équipements conçus pour un usage civil puis adaptés à des fins militaires. Ensuite, celles qui réalisent des études ou des travaux de soutien pour les équipements militaires ou sensibles destinés au bon fonctionnement des armées. Si l'on se fie au Top 100 des meilleures entreprises productrices d’armement au monde (classement SIPRI 2024)1, on y trouve des entreprises paneuropéennes dont la majeure partie du chiffre d’affaires provient de la commercialisation de produits destinés à un usage civil (par exemple, Airbus). Il est donc évident que nous ne saurions exclure de notre champ d’étude les entreprises européennes de défense aux activités majoritairement civiles, car, à l’instar des autres, elles contribuent à la compétitivité de l’industrie de défense européenne. La restructuration de l’industrie de défense américaine dans les années 1990 s’est accompagnée d’un phénomène majeur : l’acquisition de plusieurs firmes européennes de défense par des acteurs américains, dans une logique de consolidation visant à réduire la concurrence sur la scène internationale. Ce mouvement a posé un défi stratégique pour l’Europe, dont l’industrie de défense s’est trouvée fragilisée par une dépendance accrue aux capitaux et technologies étrangères. Aujourd’hui, le « stock des investissements étrangers entrant dans l’UE est l’un des plus importants au monde »2.

Sans s’éloigner de notre champ d’étude, il est difficile d’aborder la question des investissements directs étrangers (ci-après « IDE ») sans tenir compte des récentes évolutions doctrinales. Celles-ci défendent l’émergence d’un droit international des investissements et d’un droit européen des investissements, encore tous deux à un stade embryonnaire. Raphaël Maurel, dans son analyse consacrée aux « nouveaux regards sur le droit européen des investissements »3, soutient que les investissements externes à l’Union européenne (ci-après « UE ») trouvent leur ancrage dans le droit international des investissements. Ce dernier repose principalement sur les traités bilatéraux d’investissement (ci-après « TBI »), et s’appuie sur un système de règlement des différends par arbitrage. Ce système de règlement des différends, reste néanmoins l’objet de critiques, notamment pour sa tendance perçue à privilégier les investisseurs. À cet effet, l’échec des reformes visant à faire muter le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) en une Cour mondiale d’investissements, a révélé les limites du système multilatéral et a mis en lumière la nécessité d’une approche alternative, comme l’encadrement au niveau régional. Selon Raphaël Maurel : « Le régionalisme apparaît dans bien des domaines comme un palliatif à la lenteur multilatérale »4. La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») a joué un rôle déterminant dans le développement du droit européen des investissements à travers l’arrêt Achmea5. La CJUE à l’aune des articles 267 et 344 TFUE reconnaitra comme incompatible au droit de l’UE les clauses d'arbitrage contenues dans les TBI entre États membres de l'UE.

L’intégration des questions d’investissement dans leur globalité par le droit de l’UE s’inscrit dans les valeurs fondamentales portées par cette dernière, notamment dans le cadre de la construction du marché commun amorcée bien avant la signature du traité de Lisbonne le 13 décembre 2007. Ainsi, la réglementation des IDE au sein de l’UE reflète l’évolution actuelle du droit des investissements, qui tend à rééquilibrer la souveraineté des États et la protection des investisseurs. L’UE appréhende les IDE comme des investissements visant à créer, développer ou maintenir une filiale à l’étranger par le biais de fusions6 ou d’acquisitions7, dans le but d’exercer un contrôle et de maintenir des relations durables et directes avec l’entreprise cible8. Un investisseur étranger peut-être une personne physique ou une entreprise privée ou publique appartenant à un pays tiers à l’UE.

L’évolution de la compétence de l’UE en matière d’IDE s’inscrivait en parfaite adéquation avec la nécessité de réguler efficacement ces investissements dans l'industrie de défense afin de préserver les intérêts stratégiques et renforcer l'autonomie stratégique de l'Europe. Dans un article publié en 2016, Pierre Vimont souligne que, « l'analyse des intérêts stratégiques de l'Union européenne ne pose pas, en bonne logique, de difficulté »9. Pour comprendre les intérêts stratégiques de l'Union européenne en matière de défense, il est essentiel de considérer comment ces intérêts s'articulent avec les autres domaines stratégiques tels que l'économie, la diplomatie, et le changement climat, le terrorisme, etc. Or, la notion d’autonomie stratégique européenne dans le domaine de la défense a toujours suscité de nombreuses controverses, car étant perçue différemment par les États membres de l’UE. Ce concept a émergé progressivement, trouvant ses racines dans le Livre blanc sur la défense française de 1994. Au niveau européen, il est apparu pour la première fois en 2013 dans les communications de la Commission européenne (ci-après « CE ») et dans les conclusions du Conseil, se limitant au secteur de l’industrie de défense européenne10. Toutefois, le président français Emmanuel Macron, lors de son discours à la Sorbonne en 2017 lui conféra une dimension plus large couvrant les six domaines de la souveraineté européenne à savoir « la défense, la maîtrise des frontières, la politique extérieure et de partenariat avec la Méditerranée et l'Afrique, la transition écologique, le numérique et la puissance économique industrielle et monétaire »11. En 2016, la Stratégie globale de l'Union européenne (ci-après « SGUE ») a intégré ce concept, marquant une étape importante dans son développement malgré les fractures idéologiques avec les États atteints d'un tropisme otanien sur l'acception de cette notion. Par conséquent, la SGUE, par « frilosité politique, [n'a] pas davantage donné d'indications quantitatives de ce que recouvrait cette autonomie stratégique »12. Ainsi, le Conseil de l'UE, dans des conclusions de novembre 2016, a alors proposé une définition, décrivant l'autonomie stratégique comme la « capacité à agir de manière autonome lorsque cela est nécessaire et avec des partenaires chaque fois que cela est possible »13. Néanmoins, cette définition, relativement vague, n'a pas mis fin aux discussions. Aujourd'hui, bien que le terme soit couramment utilisé dans les documents officiels européens, sa définition précise et sa portée restent sujettes à débat. L'autonomie stratégique est davantage perçue comme une démarche politique en constante évolution que comme un objectif clairement défini.

La question des IDE est un aspect essentiel, mais non exclusif, de la problématique de l’autonomie stratégique en Europe. Les IDE jouent un double rôle dans la recherche de cette autonomie stratégique. D’une part, ils peuvent être pourvoyeurs de capitaux et de technologies. D’autre part, ils présentent des risques pour la souveraineté et l’autonomie stratégique de l’UE, notamment à travers le transfert potentiel de technologies sensibles, la perte de contrôle sur des capacités industrielles critiques et la possibilité que des investisseurs étrangers, en particulier issus de pays aux intérêts divergents, influencent les décisions stratégiques ou accèdent à des informations sensibles. Au regard de tout ce qui précède, il est judicieux de se demander comment l’UE peut-elle concilier son ouverture économique avec la préservation nécessaire de son autonomie stratégique dans le secteur de la défense face aux IDE.

Par le biais d’une démarche juridique, économique et politique, nous examinerons, d’une part, les difficultés rencontrées par l’UE dans sa tentative d’appropriation d’un domaine économique par le droit de l’UE, en vue de rechercher un juste équilibre entre ouverture économique et souveraineté européenne dans l'industrie de la défense (I). D’autre part, nous analyserons la nécessité de renforcer la protection de l’autonomie stratégique européenne dans l’industrie de la défense, sans compromettre sa compétitivité (II).

I. L'équilibre délicat entre ouverture économique et souveraineté européenne dans l'industrie de la défense

Cette dualité complexe entre l’ouverture aux IDE et la préservation impérieuse de la souveraineté européenne s’articule autour de deux axes : d’un côté, une industrie de défense dynamisée par les IDE, qui ont contribué à son développement et à sa compétitivité (A), et de l’autre, la règlementation des IDE comme réponse à cette forte présence de capitaux étrangers, menaçant l’autonomie stratégique européenne (B).

A. Une industrie de défense façonnée par les investissements étrangers : la valse des prises de participation et acquisitions en Europe

Les américains ont largement eu recours aux opérations de fusions et acquisitions pour mener un grand nombre de restructurations au sein de l'industrie de défense européenne. Cette vague d'acquisitions et de prises de participations étrangères dans des secteurs stratégiques témoigne d’une double dynamique : d'une part, l’aptitude des entreprisses européennes à se distinguer dans le secteur de la défense en offrant des opportunités d'investissement intéressantes14. D’autre part, elle révèle une vulnérabilité structurelle préoccupante où des capacités industrielles militaires critiques passent progressivement sous contrôle étranger. Cette pénétration de capitaux non-européens, et particulièrement américains, pose directement la question de l'autonomie décisionnelle et opérationnelle de l'Europe en matière de défense. L’analyse sectorielle qui suit retrace de façon descriptive les multiples investissements directs américains qui ont eu lieu au sein des secteurs plus anciens de l’industrie européenne de défense. Ces secteurs sont le secteur terrestre (1), le secteur de l’aéronautique et de l’espace (2), ainsi que les chantiers navals (3). Ces investissements ont créé des dépendances technologiques et stratégiques durables, tout en contribuant paradoxalement à la restructuration transnationale du secteur de la défense, telle qu’amorcée dans le cadre de la LoI (Letter of Intent) signée le 6 juillet 199815.

1. Le secteur terrestre

L'Espagne, dans son processus de privatisation des firmes de défense, a opté pour une préférence étrangère plutôt qu'européenne en se montrant réceptive à l'achat du groupe Santa Barbara par l’entreprise américaine, General Dynamics, en 2001 au détriment des groupes allemands Wegmam et Rheinmetall16. Par la suite, General Dynamics a, trois ans après (2004), pris le contrôle du groupe autrichien Steyr, spécialisé dans la fabrication des blindés à roues et à chenilles. Eu égard à toutes ses acquisitions, « General Dynamics a créé en octobre 2003 une division rassemblant les activités des trois entreprises acquises, baptisée European Land Combat Systems et basée à Vienne »17.

Selon une récente interview de François Michel18, l’une des entreprises leaders du secteur terrestre (avec un chiffre d’affaires de 550 M€ en 2022) à ce jour est l’entreprise française Arquus. Cette dernière existait autrefois sous le nom de Renault Trucks Defense (RTD). Elle est spécialisée dans la fabrication de véhicules terrestres militaires à roues. Elle appartient au groupe suédois AB Volvo et a fait l’objet d’une acquisition par le groupe chinois Geely à hauteur de 8,2%. Ce qui lui donne droit à 15,6% des droits de vote, faisant ainsi de lui un actionnaire majoritaire et influent du groupe. Très courtisée, Arquus a fait l’objet d’une première tentative d’acquisition par le groupe franco-allemand KNDS (Krauss-Maffei Wegmann + Nexter Defense Systems) et par le groupe belge CMI, qui finira par avorter en 2017, à la suite des offres jugées insuffisantes par Volvo. Finalement, le 15 janvier 2024, le groupe suédois Volvo est entré en négociation avec le belge John Cockerill (spécialisé dans l'énergie, l'armement, l'industrie, l'environnement et, l'hydrogène) pour lui céder la société Arquus19.

2. Le secteur de l’aéronautique et de l’espace

Grâce à l’ouverture et à la facilité d’accès à leur marché, les Britanniques ont vu affluer plusieurs investissements étrangers à la fin des années 1990, notamment en provenance des États-Unis. Cet accès au marché britannique a également facilité le financement des entreprises de défense des autres États membres de l’UE (qui nous intéressent dans la présente étude).

On assistera également à des investissements sous forme de coopération entre américains et européens. C’est le cas du consortium Thales Raytheon créé en 2001 par l’entreprise française Thales, l’entreprise américaine Raytheon et de Safran Aircraft Engines (la filiale du groupe français Safran spécialisée dans la conception, la production et la commercialisation des moteurs d’avions civils et militaires) qui détient une joint-venture à 50/50 avec l’américain General Electric20. En 2017, le groupe paneuropéen Airbus a finalisé la vente de ses activités d’électronique de défense basées en Allemagne au fonds d'investissement américain KKR pour 1,1 milliard d'euros21,bien qu’Airbus ait conservé une participation minoritaire de 25% dans cette entité, rebaptisée Hensoldt22.

3. Les chantiers navals

Eu égard à sa taille, le secteur naval a été courtisé par de nombreux fonds d’investissement étrangers dans les années 2000. C’est le cas de l’américain One Equity Partner (OEP), ayant acquis l’intégralité du capital du groupe militaire HDW23. Cette acquisition, réalisée non sans difficulté, a constitué un signal d’alerte majeur pour l’industrie de défense allemande. Elle a révélé les vulnérabilités du secteur face aux investisseurs étrangers, ce qui a conduit à sa restructuration et a accéléré l’instauration d’un cadre réglementaire plus strict en matière d’investissements directs étrangers (IDE) dans les industries stratégiques.

« Au lendemain de l’acquisition d’HDW par ThyssenKrupp, et malgré le rachat de Bank One, propriétaire d’OEP, par le fonds JP Morgan Chase, au dernier trimestre 2003 »24, le fonds d’investissement OEP demeurera toujours actionnaire des chantiers navals allemands Thyssen Krupp Marine Systems AG (TKMS) à hauteur de 25 %.

Les nombreuses opérations de fusion, d’acquisition et de prise de participation observées en Europe dans le secteur de la défense au début des années 2000 ont certes contribué aux restructurations transnationales des industries de défense en Europe. Cependant, des cadres réglementaires ont très vite émergé, eu égard aux risques que présentaient ces opérations pour l’industrie de défense. Cette mutation sous influence étrangère a finalement suscité une réelle prise de conscience européenne sur la nécessité d’évaluer soigneusement les risquent spécifiques associés aux investissements directs étrangers dans ces secteurs de l’industrie de défense européenne.

B. La préservation de l'autonomie stratégique européenne par la régulation des investissements étrangers dans l'industrie de la défense

La forte présence d’investissements étrangers dans des entreprises stratégiques va conduire les États membres à renforcer la protection des actifs stratégiques contre les acquisitions non désirées et les prises de contrôle hostiles au niveau national (1), ainsi que plus tard, à l’élaboration d’un cadre de filtrage des IDE dans l’UE (2).

1. Le pouvoir de réglementation des États membres

La plupart des pays producteurs d’armement ont renforcé leurs dispositifs de contrôle des IDE, chacun selon des mécanismes spécifiques. Pour assurer la préservation de leurs intérêts stratégiques, les États peuvent endosser deux casquettes. Une première casquette d’État régulateur, à travers le « contrôle des investissements étrangers »25 et les « réglementations sectorielles ». La France dispose d’un mécanisme de filtrage des IDE qui repose sur l’article L.151-3 du Code monétaire et financier. L’autorité chargée d’approuver les IDE en France est le ministère de l’Économie. Ainsi, tout investissement visant une entreprise du secteur de la défense doit être soumis à son approbation préalable. Cette compétence en matière de préapprobation trouve son fondement dans la loi Pacte de 201926.

En Espagne, ce renforcement a été instauré par deux décrets royaux successifs : le Décret Royal n°8/2020 du 17 mars 2020 et le Décret Royal n°11/2020 du 31 mars 2020. En Allemagne, le contrôle des IDE repose sur l’ordonnance relative au commerce extérieur et aux paiements (Außenwirtschaftsverordnung), publiée par le Ministère fédéral de l’Économie et de l’Énergie (BMWi) le 20 avril 2024. Le rachat par la Chine d’entreprises allemandes de robotique en 2016 n’a pas été sans conséquence, il en a résulté une modification du seuil de contrôle, abaissé de 25 % à 10 %27. De son côté, l’Italie a également renforcé son cadre réglementaire à travers l’adoption du décret-loi n° 23 du 8 avril 2020, communément appelé « Decreto Liquidità ». L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a contribué au renforcement des mécanismes nationaux de filtrage des IDE en Europe afin de contrôler les investissements en provenance vers un pays tiers non aligné avec les intérêts européens28. Fort de ce constat, lors de l’élaboration de la Boussole stratégique en 2022, la CE invita les États membres à recourir au filtrage des IDE afin de neutraliser les risques pour la sécurité et l’ordre public29.

Par ailleurs, l’État dispose d’une seconde casquette, celle d’État actionnaire, notamment en intervenant dans l’administration des entreprises de défense30 par le biais d’une action spécifique « inspirée du mécanisme des ''golden shares'' »31. Les prises de participation dans la gouvernance des entreprises de défense par l'État sont motivées par un besoin de protéger ses intérêts stratégiques et de renforcer les capacités de son industrie.

Jacques Perget, dans l’analyse qu’il consacre à « L’européanisation de l’industrie d’armement », met en avant l'absence d’un réel pouvoir politique de l’Union ainsi que le désengagement des États membres dans l’industrie de l’armement. Ce désengagement, selon lui, a mis en évidence les limites de la privatisation en raison de la fragmentation du marché européen de l’armement, qui ne permet pas aux entreprises du secteur d’accéder à des marchés suffisamment porteurs pour assurer leur développement et rester compétitives. Pour y remédier, il propose un réengagement de la puissance publique, tant au niveau étatique qu’au niveau de l’UE. Il ajoute que cet engagement pourrait prendre la forme d’une prise de participation des États au capital des sociétés (golden share)32. Cependant, cela suscite quelques interrogations, car les prises de participation dans des entreprises de défense par les États seraient de nature à influencer politiquement les orientations stratégiques plutôt que par des critères économiques objectifs. Cette pratique a ouvert les portes à une plus grande ingérence étatique dans l'économie, ce qui, contrairement au Royaume-Uni, ne s'est pas révélé très prometteur dans certains pays membres de l’UE à l’instar de la France. Bon nombre d'entreprises telles que « Dassault Aviation ou ATOS depuis le rachat de Bull, où l’État n’a pratiquement aucun poids au capital »33, restent tout autant des pionniers dans la construction de l'avenir de l'industrie de défense en Europe et s'imposent sur le marché international de l'armement. Indépendamment du statut des entreprises et de leurs secteurs de spécialisation, il se peut que ces contrôles deviennent sur les longs termes nocifs pour leur santé financière. Un cas pertinent hors du cadre de la défense, mais qu'il serait intéressant de relever, est le cas de SeaFrance, une entreprise de transport maritime liquidée en 2012. L'État français, en tant qu'actionnaire, a été limité dans son rôle de restructuration de l'entreprise en raison des contraintes du droit européen des aides d'État. Le test de « l'investisseur avisé » imposé à l'État, visant à évaluer si un investisseur privé aurait agi de la même manière, a restreint sa capacité à réinvestir pour réduire les pertes. Cette situation met en avant les limites de l'État dans son rôle d'actionnaire34.

In fine, les différences dans les règles nationales concernant les IDE posent plusieurs problèmes. D'abord, elles créent naturellement des incohérences réglementaires. Ensuite, elles peuvent entraîner des distorsions de concurrence, car des règles moins strictes dans certains pays peuvent attirer des investissements au détriment d'autres. Enfin, ces divergences fragilisent la protection des intérêts stratégiques communs, exposant l'UE à des risques d'acquisitions hostiles ou d'influences étrangères sur des technologies sensibles. Sous l’impulsion des pays comme la France et l’Allemagne, une volonté est apparue d’instaurer une compétence européenne en matière d’IDE pour assurer la cohérence du marché unique, protéger les intérêts communs et renforcer l’autonomie stratégique de l’Union.

2. L’affirmation d’une compétence européenne en matière d’IDE

La question des IDE est longtemps restée principalement du ressort des États membres. Le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007, a marqué une évolution significative en la matière. L'article 207 du TFUE (anciennement l'article 133 du TCE) a élargi le champ de la PCC pour y inclure explicitement les IDE, renforçant ainsi les compétences de l'UE dans ce domaine. Cette modification a conféré à la CE des pouvoirs accrus en matière d'investissements internationaux, notamment dans la négociation et la conclusion d'accords. L'article 3, § 1, sous e) TFUE réaffirme la compétence exclusive de l'UE en matière de PCC, englobant désormais les IDE.

Djamal-Eddine Maron, dans sa thèse de doctorat soulève l’existence d’une compétence partagée de l’UE en matière d’investissements étrangers (interne et externe). D’après lui, cette compétence se matérialise sur le plan interne par l'ensemble des actions mises en place par l'UE dans le cadre de la protection des règles du marché intérieur. Il ajoute que c'est dans la continuité de l'exercice de cette compétence interne que l'UE, par l'élaboration d'actes de droit dérivé, a libéralisé l'investissement étranger. La compétence externe s’apprécierait selon lui sur la base de deux articles. D’abord l’article 206 TFUE, qui dans le cadre de la construction d’une union douanière, promeut les accords de libre-échange, le développement du commerce mondial et la suppression progressive de toutes restrictions aux IDE. Ensuite l’article 207 TFUE, qui intègre la question des IDE dans le champ de la PCC35.

Néanmoins, malgré cette clarification, cette notion d’IDE, non expressément définis dans le traité, restent sujets à interprétation, laissant subsister des ambiguïtés quant à l’étendue exacte des compétences de l'UE dans ce domaine36. La Commission souligne que le traité de Lisbonne confère à l'Union une compétence exclusive en matière d'IED et que l'Union doit contribuer à l'abolition progressive des restrictions aux investissements étrangers directs, conformément à l'article 206 TFUE37. Elle estime que l’article 207 TFUE couvre deux dimensions essentielles des investissements étrangers : l'accès au marché et les garanties offertes aux investisseurs une fois établis. Elle insiste sur le fait que l'Union doit garantir un environnement ouvert et régulé pour les investisseurs, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'UE38. Le parlement européen dans sa vision plus extensive partageait un autre avis de la commission, selon lequel la politique d’investissement de l’Union comprenait à la fois les investissements étrangers directs et les investissements de portefeuille39. Quant au Conseil, il se positionne en faveur d’une interprétation restrictive ce qui concerne la répartition des compétences entre l’UE et les États membres. Il ajoute que les accords bilatéraux conclus par les États membres constituent, jusqu'à présent, la principale source de protection des investisseurs étrangers et doivent continuer à garantir la protection et la sécurité juridique des investisseurs jusqu'à ce qu'ils soient remplacés par des accords de l’Union offrant des garanties au moins équivalentes40.

À défaut d’accord entre les institutions, la CJUE dans son avis 2/1541 parviendra à une interprétation extensive de l’étendue de la compétence de l’Union en matière d’IDE. Réunie en assemblée plénière, la CJUE a rendu son avis relatif à l’Accord de libre-échange entre l’Union européenne et la République de Singapour, en application de l’article 218, paragraphe 11 TFUE, à la demande de la CE. La Cour de justice souligne que son avis ne porte pas sur la conformité de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et Singapour au regard du droit primaire de l’UE, mais sur la répartition des compétences entre l’Union et les États membres dans le cadre de cet accord42. Dans son avis 2/15, relatif à cet accord dit de « nouvelle génération », la Cour de justice a précisé le champ d’application de la PCC, y compris en ce qui concerne les investissements directs étrangers (IDE). Cette dernière, ce faisant, adopte une interprétation extensive du champ d’application matériel de la PCC.

La Cour de justice rappelle que l’UE dispose d’une compétence exclusive dans le domaine de la PCC conformément à l’article 3§1 TFUE, et tente de lever l’incertitude qui plane en définissant les investissements étrangers, tels qu’ils « servent à créer ou à maintenir des relations durables et directes entre le bailleur de fonds et l’entreprise à qui ces fonds sont destinés »43.

L’Avocate générale, Eleanor Sharpston, dans ses conclusions générales soutient que « lorsque des investissements étrangers directs ont pour objet d’établir une présence commerciale en vue de la fourniture d’un service, ils relèvent du commerce des services et, par conséquent, de la politique commerciale commune. En s’appuyant sur la nature des obligations découlant de l’AGCS ainsi que sur l’interprétation retenue par la Cour dans son avis 1/0844, elle souligne qu’il est manifeste que la politique commerciale commune englobe à la fois l’accès au marché et le traitement réservé aux investisseurs une fois leur présence commerciale établie. Ainsi, une certaine forme de protection des investissements étrangers directs après leur admission relève également de la politique commerciale commune, dans la mesure où celle-ci inclut le commerce des services »45.

La CJUE intègre dans son raisonnement certains éléments avancés par l’Avocate générale et précise que « l’article 207, paragraphe 1, TFUE se réfère de manière générale aux actes de l’Union en matière d’investissements étrangers directs, sans distinguer selon qu’il s’agit d’actes ayant pour objet l’admission ou la protection desdits investissements »46. Ainsi, la PCC englobe, au titre des IDE, les mesures facilitant ou améliorant leur entrée dans le pays d’accueil, ainsi que celles assurant leur protection, dès lors que la disponibilité de cette protection exerce un effet direct et immédiat sur la décision d’investissement et sur la jouissance des bénéfices qui en découlent47. En revanche, la Cour a exclu du champ d’application de la PCC les investissements autres que directs, communément appelés investissements de portefeuille, ainsi que le règlement des différends entre investisseurs et États48, ces derniers relevant plutôt de la compétence partagée entre l’Union et les États membres.

Concernant les dispositions de l’accord conclu avec Singapour régissant l’expropriation des investissements étrangers, la Cour de justice rejette l’argument du Conseil selon lequel cette matière échapperait à la compétence de l’Union en raison de la neutralité de celle-ci à l’égard des régimes de propriété des États membres, conformément à l’article 345 TFUE. La Cour de justice rappelle que la neutralité de l’Union au sens de l’article 345 TFUE n’a pas pour effet de soustraire ces régimes aux règles fondamentales du droit de l’Union49. Pour être plus précis, si un État membre conserve la liberté de maintenir sous contrôle public une entreprise de défense au motif de son importance stratégique, cette liberté ne saurait justifier l’application d’un régime d’expropriation discriminatoire à l’égard des investisseurs étrangers.

L’avis 2/15 est la décision la plus importante de la Cour depuis l’avis 1/94 de la CJCE, rendu le 15 novembre 1994 concernant la compétence de la Communauté européenne (aujourd'hui Union européenne) pour conclure l'Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (ci-après « OMC »). La clarification décisive des frontières juridictionnelles entre l’UE et ses États membres, notamment sur la question des IDE, a, comme l’a souligné Francesco Martucci, influencé la mise en place d’un instrument de la PCC afin de réguler l’exercice par l’Union de sa compétence en matière d’IDE, d’un côté, et, d’un autre, instrumentalisé la compétence de l’Union en vue de protéger les fonctions essentielles de celle-ci50.

C’est donc par le règlement (UE) n° 2019/452 du 19 mars 2019 qu’est mis en place le tout premier instrument de droit dérivé de l’UE, visant à établir un cadre pour le filtre des IDE. Dans sa thèse de doctorat, Guiliu Luo, soutient que l’adoption du règlement se justifie par la notion de sécurité nationale. Il poursuit en ajoutant que cette notion est intrinsèquement liée aux technologies dans différentes industries y compris celle de la défense51. L’examen des IDE dans l’UE repose généralement sur plusieurs critères. Le premier critère se fonde sur l’article 4 du règlement 2019/452 qui cite les éléments qui doivent être pris en compte pour l’examen des IDE parmi lesquels figurent les biens à double usage, les technologies critiques et l’accès à des informations sensibles. Le second critère consiste à évaluer si l’investissement ciblé porte atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public. Enfin, le troisième critère s’appuie sur l’article 8, §1, du règlement 2019/452, qui permet à l’UE d’émettre un avis lorsqu’un investissement pourrait compromettre un programme présentant un intérêt pour l’Union, tels que les Réseaux transeuropéens de transport (RTE-T), Horizon 2020, etc52.

Le règlement 2019/452 instaure un mécanisme de coopération obligeant les États membres à notifier la CE et les autres États membres de tout IDE faisant l’objet de filtrage. Cet échange d’informations vise à garantir que l’opération en question ne présente aucun risque pour la sécurité de l’Union, ce que les seuls dispositifs nationaux de filtrage ne peuvent assurer. Sabrina Robert dans son analyse sur la conformité de l’article 207 TFUE à la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), souligne que contrairement au cadre européen, « il est rare que les dispositifs nationaux de filtrage tiennent compte des intérêts des autres États membres et, de manière plus générale de la dimension européenne de sécurité »53. Cependant, ce mécanisme européen reste imparfait, car les États peuvent choisir de ne pas notifier les opérations en cours. Dans ce cas, bien que la CE et les autres États membres puissent émettre un avis jusqu’à quinze mois après l’opération, cela ne remet pas fondamentalement en cause un investissement déjà réalisé. Car, même si l’investissement en question présente un risque pour la sécurité de l’Union, il est difficilement envisageable que l’ État responsable exige des modifications de l’investissement par l’investisseur étrangers54.

Les États membres de l’Union ont chacun une conception différente du règlement 2019/452. Si certains États y voient une intention protectionniste de la part de l’UE, car, selon eux, les IDE représentent une aubaine pour l’UE et une possibilité d'internationalisation des firmes, d'autres y perçoivent un moyen de limiter les risques pesant sur la sécurité publique. La mise en place d’un règlement sur les IDE par l’Union ne constitue en aucun cas une volonté d’adopter une attitude protectionniste sur la question, car outre sa volonté de protéger les intérêts communs, l’UE s’évertue toujours à appréhender la notion des IDE à la lumière des articles 49 TFUE, 63 TFUE, et 65 TFUE.

Dans l’affaire opposant M. Frédéric Jahin au ministre de l'Économie et des Finances ainsi qu'au ministre des Affaires sociales et de la Santé (France), la CJUE a réaffirmé et précisé que sont interdites toutes restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres mais aussi entre les États membres et les États tiers, et qui pourraient être de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre (article 63 TFUE)55. La CJUE rappellera par la même occasion que si l’article 65 TFUE constitue une dérogation aux dispositions de l'article 63 TFUE en ce qu’il permet aux États membres d'appliquer des dispositions fiscales qui établissent une distinction quant à la résidence des contribuables et au lieu où leurs capitaux sont investis, l’application de telles mesures « ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63 »56 (article 65§3 TFUE).

Par ailleurs, dans le cadre du litige opposant la société hongroise Xella Magyarország au ministère hongrois de l’Innovation et des Technologies, cette société, spécialisée dans la fabrication d’éléments de construction en béton, s’est vu refuser l’acquisition de la société hongroise Janes és Társa. Cette dernière exploite une carrière de gravier, de sable et d’argile et est considérée comme stratégique au regard de la législation hongroise sur le filtrage des investissements étrangers. Le refus a été motivé par le fait que l’acquisition par une société appartenant à un groupe établi dans plusieurs États membres présenterait un risque à long terme pour la sécurité de l’approvisionnement en matières premières essentielles au secteur de la construction.

Saisie sur la compatibilité du mécanisme de filtrage des investissements étrangers hongrois avec le droit de l’Union, La CJUE a, cette fois, souligné l’incompétence du règlement (UE) 2019/452 à s’appliquer au cas d’espèce, dans la mesure où la législation hongroise en cause excède le champ d'application dudit règlement. En effet, cette législation ne se limite pas aux investissements réalisés par des entreprises d'un pays tiers, mais s'étend également aux investissements effectués par des entreprises enregistrées en Hongrie ou dans un autre État membre, dès lors qu'une entreprise d'un pays tiers exerce une « influence majoritaire » sur ces dernières.57. La Cour rappelle que la législation nationale concernée telle qu’appliquée dans la décision en cause constitue, manifestement, une restriction à la liberté d’établissement (article 49 TFUE), dans la mesure où elle permet aux autorités d’un État membre d’interdire à une société de l’Union, pour des motifs de sécurité et d’ordre public, d’acquérir une participation dans une société résidente58. De plus, elle considère que le gouvernement hongrois ne justifie pas suffisamment en quoi l’acquisition de la société cible serait de nature à entraîner « une menace réelle et suffisamment grave » au vu de la nature de l’activité de la société Janes és Társa59. La Cour juge contraire aux dispositions du TFUE en matière de liberté d'établissement un mécanisme de filtrage des investissements étrangers prévu par la législation d'un État membre (en l'occurrence, la Hongrie), qui permet d'interdire l'acquisition de la propriété d'une société résidente considérée comme stratégique par une autre société résidente faisant partie d'un groupe de sociétés établies dans plusieurs États membres, dès lors qu'une entreprise d'un pays tiers exerce une influence déterminante sur ce groupe. Cette interdiction reposant sur le motif que l'acquisition porterait atteinte ou risquerait de porter atteinte à l’intérêt de l’État consistant à garantir la sécurité de l’approvisionnement du secteur de la construction, en particulier au niveau local, en ce qui concerne des matières premières de base telles que le gravier, le sable et l’argile60.

L’une des véritables difficultés du contrôle des IDE dans l’industrie de défense en Europe réside dans l’incapacité de la CE à recourir à la contrainte en dernier recours, même lorsque ceux-ci portent atteinte aux intérêts de l’UE. Cette situation s’explique par la tension entre, d’une part, la souveraineté des États membres, qui entendent conserver un contrôle sur les IDE dans des secteurs sensibles comme la défense, et, d’autre part, les ambitions de l’UE en matière d’autonomie stratégique, qui nécessitent une coordination et une régulation européennes plus fortes. Certains États membres considèrent souvent les IDE comme une opportunité économique et technologique61. Cependant, cette perspective nationale peut entrer en conflit avec les objectifs stratégiques de l’UE, qui visent à protéger les intérêts communs et à préserver une base industrielle et technologique européenne indépendante.

Le fait que l’UE dans la régulation des IDE s’attache à maintenir une certaine articulation avec la souveraineté des États membres permet de tirer une conclusion : aucun État membre de l'UE ne semble manifester un réel intérêt à lui déléguer entièrement cette compétence. Cette double dimension en matière de filtrage des IDE au sein de l’UE soulève des questionnements sur la capacité de l’UE à préserver son autonomie stratégique dans un contexte de plus en plus compétitif. Dans un secteur sensible comme celui de la défense, ce défi pose la nécessité d’opter pour une approche renouvelée dans l’industrie de défense européenne.

II. La nécessité de renforcer la protection de l’autonomie stratégique sans compromettre la compétitivité

Le renforcement de l’autonomie stratégique dans l’industrie de défense ne doit pas se faire au détriment de sa compétitivité. Le développement des capacités industrielles et technologiques de défense (A) se présente comme un pilier essentiel pour parvenir à cette autonomie stratégique. Dans cette optique, la redéfinition d’un cadre réglementaire en matière d’IDE adapté aux spécificités du secteur de la défense (B) s'avère primordiale afin de trouver le juste équilibre entre impératifs sécuritaires et dynamisme économique au sein de l'industrie européenne de défense.

A. Le développement des capacités industrielles et technologiques de défense : clé d’une autonomie stratégique européenne

La réduction de la dépendance industrielle se présente aujourd’hui comme le socle d’une autonomie stratégique. L’UE a lancé deux instruments. Le premier, en 2017, sous le nom d’Action Préparatoire pour la Recherche en matière de Défense (ci-après « PADR »), a été confiée à la gestion de l’Agence européenne de défense (AED). Doté d’un budget de 90 millions d’euros sur la période 2017-2019, le PADR a eu le mérite de contribuer au financement des projets de recherche et technologie (R&T) dans le domaine de la défense62. Le second instrument nommé Programme Européen de Développement Industriel dans le domaine de la Défense (ci-après « EDIDP ») fut adopté en 201863. Doté d’une enveloppe financière de 500 millions d’euros pour la période 2019-2020, l’objectif du programme était de contribuer au renforcement de la compétitivité, de l'efficacité et de la capacité d'innovation de l'industrie de défense.64. Une fois arrivé à son échéance en 2020, l’EDIDP fut remplacé par le Fonds européen de la défense (ci-après « FED »). Le renforcement des capacités de défense en Europe est actuellement soutenu par le FED, lancé pour la période 2021-2027 avec un budget de 7,8 milliards d'euros65. Son montant a été rehaussé de 1,5 milliard d'euros dans le cadre de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel à l’issue du Conseil européen du 1er février 2024.

Le budget alloué aux activités de recherche et de développement de technologie de défense (R&D) reste modeste, surtout dans un contexte où les États en Europe souhaitent passer à une économie de guerre66. Dans son rapport remis le 18 avril 2024 aux vingt-sept dirigeants réunis pour un Conseil européen extraordinaire à Bruxelles, l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta émet des propositions visant à revitaliser l’industrie de la défense européenne afin de garantir son autonomie stratégique. Ce dernier affirme qu'en soutenant directement par le budget de l’UE, cela ouvrirait la voie à un financement ou cofinancement des projets de recherche, de développement et d’acquisitions communes, et les soutiendrait tout au long du cycle de vie.

À la suite de l’agression de l’Ukraine par la Russie, l’UE a rapidement déployé des mesures de soutien. L'UE a mis en place deux programmes majeurs pour renforcer sa base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Le premier, European Defence Industry Renforcement through Common Procurement Act (ci-après « EDIRPA »), a été adopté le 18 octobre 2023. Doté d'un budget de 300 millions d'euros, ce programme vise à renforcer le développement de l'industrie européenne de défense par le biais d'acquisitions conjointes. Son objectif est d’« encourager la coopération entre les États membres dans le domaine des marchés de défense, tout en renforçant la solidarité, en évitant les effets d'éviction, en optimisant l'efficacité des dépenses publiques et en réduisant la fragmentation excessive des acquisitions »67. Le second programme, l'Action de Soutien à la Production de Munitions (ci-après « ASAP »), a été lancé le 20 juillet 2023 avec un budget de 500 millions d'euros. Ce programme poursuit un double objectif : d'une part, augmenter la capacité de production de munitions de l'Union européenne, et d'autre part, fournir un soutien en munitions à l'Ukraine68.

Au côté de l’EDIRPA et de l’ASAP, on dénombre d’autres instruments polyvalents mobilisés en partie pour soutenir l’Ukraine dans son conflit, tel que la Facilité Européenne de Paix (ci-après « FEP »)69, qui a récemment vu son enveloppe relevée à plus de 17 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Deux semaines après le début du conflit, la FEP a vu ses objectifs modifiés en un temps record. Aujourd’hui, contrairement aux objectifs préétablis, il est désormais possible de soutenir la fourniture d’armes meurtrières70. Dans le contexte du conflit russo-ukrainien, la FEP offre également la possibilité aux États membres de renouveler les stocks de matériels fournis à l’Ukraine.

Les députés Jean-Charles Larsonneur et Jean-Louis Thiériot, dans leur rapport sur l’autonomie stratégique européenne publié en 2024, mettent en exergue la dépendance stratégique de l’UE à l’égard de pays tiers aux intérêts divergents, tels que la Chine. Ces derniers illustrent cette dépendance à travers le prisme de la guerre en Ukraine, en prenant exemple sur la réduction des livraisons de nitrocellulose (indispensable à la fabrication de poudres) aux pays européens. Cette instrumentalisation de la dépendance des industries de défense européennes, en plus de constituer une entrave au soutien occidental à l’Ukraine, met en lumière une vulnérabilité stratégique majeure de l’industrie de défense européenne71.

La CE semblait déjà vouloir y remédier dans sa nouvelle stratégie industrielle européenne de défense (EDIS), soutenue par le programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP) proposés le 5 mars 202472. Cette stratégie a d’emblée été présentée comme une continuité du dispositif ASAP et de l’instrument EDIRPA. Elle parvient à identifier l’épine dorsale du développement des capacités industrielles, mais ne se donne pas les moyens nécessaires pour l’ôter. L’ancien commissaire au marché intérieur, Thierry Breton avait annoncé un besoin d’investissement de l’ordre de 100 milliards dans la défense européenne. Cependant, la nouvelle stratégie ne prévoit qu’un très modeste budget de 1,5 milliard d’euros qui accompagneront l’EDIP et seront mobilisés sur une durée de trois ans pour inciter les États membres à acheter en commun. Toutefois, ces initiatives, bien que notables, restent en deçà des attentes et témoignent largement de la réticence des européens à opter pour une intégration plus poussée dans l’organisation de leur défense. Cette réticence peut s’expliquer en partie par la garantie sécuritaire dont jouissent déjà les États Européen au sein de l’OTAN, notamment via l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. Cet article établit une solidarité entre les membres en stipulant qu'une attaque armée contre l'un d'eux, survenant en Europe ou en Amérique du Nord, sera considérée comme une attaque contre tous, entraînant une assistance collective, y compris par la force armée si nécessaire. Toutefois, l’attachement de certains États à cette clause traduit également des divergences politiques entre les membres de l’Union européenne quant à l’équilibre à trouver entre l’autonomie stratégique européenne et la coopération transatlantique au sein de l’OTAN.

L'UE, dans sa démarche récente, entend développer une relation de complémentarité avec l'OTAN. Or, cette dernière a été le pilier de la sécurité européenne depuis plus de 70 ans. Toutefois, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche présage un avenir moins radieux pour l'OTAN. Lors d’une réunion électorale le samedi 10 février 2024 à Conway, en Caroline du Sud, il a affirmé qu'il n'envisage pas de faire obstruction à la Russie si celle-ci venait à s'attaquer à un État d'Europe de l'Est ou à un membre de l'OTAN, et encore moins si cet État membre se révélait être un mauvais payeur73.

Depuis le début du conflit russo-ukrainien, l'aide américaine à l'Ukraine reste la plus importante, avec plus de 42 milliards d'euros. Rappelons que depuis le début du conflit, les vulnérabilités de cette région se font de plus en plus évidentes. Il ne s'agit pas seulement de rompre cette relation de subordination à l'OTAN, mais aussi d'une véritable volonté européenne de prendre le leadership au sein de l'Alliance atlantique et de devenir les piliers de la mise en œuvre de la défense collective, telle que stipulée à l'article 5 du traité fondateur de l’OTAN. Toutefois, la question du renforcement du pilier européen de l’Alliance atlantique reste en partie entravée, car elle n’est pas accueillie d’un bon œil par les pays anglo-saxons non-membres de l’UE. Federico Santopinto, dans une note publiée en 2024, ne manque pas de le rappeler à maintes reprises. Pour y remédier, il argue que l’UE pourrait adopter deux approches. La première consisterait à maintenir l’ouverture des programmes industriels de défense du FED et de la Coopération Structurée Permanente (CSP) aux pays tiers, conformément aux critères d'éligibilité restrictifs actuellement en vigueur. La seconde approche consisterait à établir des procédures parallèles visant à développer une coopération stratégique paritaire avec les pays de l’OTAN non-membres de l’UE. Ces procédures seraient régies par des règles définies d’un commun accord entre l’UE et ces pays tiers74.

Il est évident que la préservation d’une autonomie stratégique vis-à-vis des IDE dans l’industrie de défense nécessite un redoublement d’efforts de la part des États européens sur le plan industriel, tant en ce qui concerne le développement de leurs capacités que la réduction de leur dépendance envers les pays tiers. Néanmoins, cette réduction de la dépendance ne devrait pas impliquer un renoncement total aux avantages offerts par les industries de ces pays. Il est donc indispensable que la mise en œuvre de ces mesures s’accompagne d’une redéfinition du cadre réglementaire des IDE adapté aux spécificités du secteur de la défense.

B. Vers la redéfinition d’un cadre réglementaire européen en matière d’IDE adapté aux spécificités du secteur de la défense

L'établissement d’un cadre réglementaire en matière d’IDE intégrant les spécificités du secteur de la défense offrirait une perspective plus uniforme et cohérente dans l’évaluation des IDE dans les secteurs stratégiques (1). En outre, le principe de réciprocité (2) constituerait également un pilier essentiel de ce processus, assurant un traitement équitable entre l’Union européenne et ses partenaires.

1. La nécessité d’une approche uniforme et cohérente pour évaluer les IDE

Contrairement aux USA et à la Chine, l’UE opte pour une approche plus souple en matière d’IDE. Ainsi, « le droit primaire permet aux investisseurs étrangers d’exercer leurs activités dans les mêmes conditions que les investisseurs nationaux, […] »75. L’UE attribue la charge à quiconque souhaite invoquer l’article 65 TFUE de « démontrer le caractère réel et suffisamment grave de la menace et de respecter les principes de proportionnalité et de sécurité juridique »76. Pourtant, une étude menée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (ci-après « OCDE ») en 2022 fait état des points de dissemblances entre les différents mécanismes nationaux de filtrage des IDE77. Compte tenu des divergences dans la perception des menaces pour la sécurité et l'ordre public, on constate un faible nombre de mécanismes étatiques régulant tous les secteurs d'activité78. Tandis que certains s'intéressent aux secteurs jugés stratégiques, d’autres vont même jusqu'à exclure du champ d'application du mécanisme national de filtrage certains pays tiers avec lesquels ils entretiennent des liens économiques (Espace économique européen, ci-après « EEE »79), politiques (OCDE) et de défense (OTAN). Le niveau de coopération entre les États membres laisse à désirer, car la plupart d'entre eux se réservent le droit de ne pas communiquer sur des projets faisant l'objet d'une procédure de filtrage au niveau national80.

L’UE gagnerait à imposer des contrôles préalables et à conditionner l’ouverture des procédures de contrôle à une concertation préalable entre les États membres. Cela permettrait d’évaluer en amont si la situation constitue ou non une atteinte aux intérêts de l’UE. Cependant, une fois de plus, la nécessité d’une européanisation des intérêts stratégiques se heurte à la souveraineté nationale des États membres. Cependant, la CE semble ne pas avoir dit son dernier mot. Dans une communication du 24 janvier 2024, elle propose une extension et une harmonisation des mécanismes de contrôle des IDE des États membres ainsi qu’une révision du règlement 2019/45281. Quoique louable, la proposition législative de la CE semble innover en fixant un périmètre d'application sectoriel minimal dans lequel tous les États membres seront tenus de filtrer les opérations82. De plus, le nouveau règlement proposé prévoit une extension de l’obligation de notification à la CE et aux États membres des IDE présentant des risques pour la sécurité de l’UE, ainsi que l’obligation pour tous les États membres de se doter d’un mécanisme de filtrage.

Une préoccupation subsiste quant à la manière dont cette dernière entend pouvoir veiller à l’adoption d'un mécanisme de filtrage et à l'harmonisation des règles nationales au sein des États membres, alors qu'il demeure établi que les États membres jouissent d’un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les procédures applicables et les décisions en matière d’IDE83. Toutefois, faute de définir un cadre uniforme de filtrage des IDE dont l'application par les États membres se fera au détriment des cadres nationaux de filtrage, l’UE pourrait recourir à un moyen alternatif pouvant à terme neutraliser les investisseurs aux intérêts divergents.

2. Le principe de réciprocité

Nul doute que les règles du marché intérieur offrent un cadre permettant aux entreprises européennes de s’épanouir au sein de l’UE. Toutefois, ces dernières rencontrent des difficultés à accéder aux marchés internationaux. La résolution de cette difficulté d’accès peut en partie s’implémenter par l’instauration d’un principe de réciprocité avec les principaux partenaires commerciaux de l’Union, en particulier ceux dont les entreprises bénéficient d’un accès privilégié au marché européen sans offrir des conditions équivalentes aux entreprises européennes. Il s’agirait tout simplement d’opter pour une variation de l’échelle à laquelle les industriels européens sont autorisés à investir et à concourir.

Les pays tiers qui ne sont pas signataires de l’accord multilatéral sur les marchés publics de l’OMC et qui ne bénéficient d’aucun accord bilatéral ou multilatéral avec l’UE sont généralement réticents à ouvrir leur marché à la concurrence internationale. Cette réticence entraine une perte de possibilités commerciales assez importante pour les opérateurs économiques de l’UE. À cet effet, a été adopté l’instrument relatif aux marchés publics internationaux (ci-après « IMPI ») en 2022, qui vise à réaliser la réciprocité en facilitant l’accès des opérateurs économiques de l’Union aux marchés publics ou aux concessions des pays tiers. Tout l’intérêt de cet instrument réside dans le fait qu’il permet à la CE, à l’issue d’une enquête ayant pu constater le recours aux pratiques discriminatoires de la part des pays tiers envers les entreprises européennes dans leurs marchés publics, d’appliquer des mesures visant à limiter l’accès des entreprises de ces pays aux marchés publics européens84. Néanmoins, l’une des insuffisances de l’IMPI réside dans le fait que ses mesures ne prennent pas en compte la directive 2009/81/CE relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services dans les domaines de la défense. Eu égard à la dynamique d’éviction constituée par cette directive, notamment à travers ses articles 12 et 13, les entreprises de défense européennes peinent encore à s’épanouir dans un marché européen de l’armement fragmenté85.

L'élargissement des mesures de l'IMPI aux marchés de défense permettrait de réduire les déséquilibres concurrentiels pour les entreprises européennes de défense, qui doivent une grande partie de leur chiffre d'affaires à leur accès aux marchés internationaux de l'armement. Toutefois, au-delà de cet élargissement, la mise en place d'un principe de réciprocité plus global dans le processus d'harmonisation du cadre réglementaire de filtrage des IDE s'avère nécessaire. Ce principe, qui concernerait l'ensemble des pays tiers, y compris les membres de l'OMC comme les États-Unis, éloignerait de l'espace commercial européen les investisseurs dont les intérêts seraient contraires aux intérêts essentiels de sécurité des États membres, tout en garantissant en retour un traitement équivalent aux investisseurs européens dans ces pays. Cette approche, loin d'être protectionniste, vise à établir des conditions d'investissement équitables dans un secteur stratégique où l'absence de réciprocité actuelle pénalise fortement les entreprises européennes cherchant à se développer à l'international. Cette absence de réciprocité présente un réel manque à gagner au regard de la forte présence des investissements étrangers sur le sol européen et mène à des conditions de concurrence déséquilibrées pour les sociétés de l’UE qui investissent à l’étrange. La garantie du principe de réciprocité reviendrait à supprimer les obstacles aux investisseurs européens dans ces pays ayant pour première destination d’investissement l’Europe. Le but serait de permettre aux entreprises européennes de défense, quelle que soit leur taille, d’accéder aux marchés mondiaux de tailles plus conséquentes86.

En conclusion, si les capitaux étrangers ont indéniablement contribué à dynamiser l’industrie européenne de défense, ils représentent également un défi majeur pour la souveraineté et l’autonomie stratégique européenne. La voie vers une autonomie stratégique véritable nécessite donc un soutien au développement industriel et technologique de l’industrie de défense afin de réduire la dépendance de l’UE à l’égard des pays tiers. Les IDE apparaissent comme un mal nécessaire pour l’UE, d’où la nécessité d’opter pour une redéfinition du cadre règlementaire des IDE qui transcende les intérêts nationaux au profit d’un intérêt commun européen. La redéfinition d’un cadre réglementaire des IDE, compatible aux spécificités de l’industrie de la défense, doit s’accompagner d’une approche cohérente et collective entre les États membres. Ce cadre, allié à des mécanismes de réciprocité, permettrait à l’UE de mieux protéger ses actifs stratégiques tout en consolidant sa position sur les marchés internationaux.

L'agression injustifiée de l'Ukraine par la Russie a entraîné une augmentation significative des budgets de défense en Europe entre 2022 et 2024. On assiste à un retour en flèche des investissements dans le secteur de l’armement, ce qui attirera sans doute des investisseurs étrangers. Les États membres de l’UE devraient accueillir ces investissements étrangers de manière sélective et encadrée, en veillant à maintenir un équilibre qui préserve leur contrôle sur les capacités industrielles stratégiques de défense. Il s'agit d'éviter que la dépendance aux capitaux étrangers ne compromette leur autonomie décisionnelle et opérationnelle dans le secteur de la défense.

Notes

  • 1. « SIPRI Yearbook 2024, Résumé en français », Les rapports du GRIP, p. 11.
  • 2. BIZET (Jean) et MENONVILLE (Franck), Rapport d’information sur la proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du Règlement, sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union européenne : Les investissements directs étrangers dans l’Union européenne : quels contrôles ?, Sénat, Paris, 3 avril 2023, p. 7.
  • 3. MAUREL (Raphaël), « Le droit européen des investissements, une révolution inachevée : essai de contextualisation », dans Raphaël (Maurel) (dir.), « Nouveaux regards sur le droit européen des investissements », Paris, LexisNexis, coll. du CREDIMI, 2023, pp. 451-465.
  • 4. Ibid, p. 5.
  • 5. CJUE, Gde Ch., 6 mars 2018, Slowakische Republik c/ Achmea BV, aff. C-284/16, ECLI:EU:C:2018:158.
  • 6. La fusion est une stratégie de développement par laquelle les entreprises de défense créent des concentrations, en fusionnant ou en combinant leurs actifs.
  • 7. L’acquisition consiste à acquérir des actifs ou à prendre part à la vie financière dans une entreprise.
  • 8. Voir article 2, paragraphe 1, du règlement (UE) 2019/452 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union, (2019).
  • 9. VIMONT (Pierre), « Les intérêts stratégiques de l’Union européenne », Fondation Robert Schuman, 26 septembre 2016. Consulté 21 décembre 2023. Url : https://www.robert-schuman.eu/questions-d-europe/0404-les-interets-strategiques-de-l-union-europeenne.
  • 10. SUZANA (Anghel), et al. « L’Union Sur le chemin de l’autonomie stratégique. L’Union européenne dans un environnement géopolitique en mutation », Service de recherche du Parlement européen, Septembre 2020, p. 4.
  • 11. VICARD (Vincent) et WIBAUX (Pauline), « De quoi l’autonomie stratégique ouverte est-elle le nom ? » L’économie mondiale 2023, Paris, La Découverte, 2022, pp. 88.
  • 12. TERLINDEN (Hélène), De la Stratégie Européenne de Sécurité à la Stratégie Globale de l’Union Européenne : le processus de l’élan stratégique européen, Mémoire de recherche en Etudes Européennes, Université catholique de Louvain, 2017, p. 27.
  • 13. Conseil de l’Union européenne, Implementation Plan on Security and Defence, 14392/16, Bruxelles, 14 novembre 2016, point 18.
  • 14. « Investir dans le secteur de la défense et de l'armement », The Interest, 19 février 2025. Url : https://www.cashbee.fr/the-interest/investir-dans-le-secteur-de-la-defense
  • 15. La LoI a été signée par les ministres de la défense de la France, du Royaume-Uni, l’Italie, la Suède, l’Espagne, l’Allemagne. Son but était de préparer un « cadre réglementaire dans lequel devraient évoluer les entreprises transnationales d’armement ». Voir le décret n°2001-1075 du 16 novembre 2001 portant publication de l'accord-cadre entre la République française, la République fédérale d'Allemagne, le Royaume d'Espagne, la République italienne, le Royaume de Suède et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif aux mesures visant à faciliter les restructurations et le fonctionnement de l'industrie européenne de défense.
  • 16. ALVES (José), « L’américain General Dynamics prend le contrôle de l’espagnol Santa Barbara », Les Échos, 2 avril 2001.
  • 17. DEFLESSELLES (Bernard) et MICHEL (Jean), « Rapport de la commission de la défense nationale et des forces armées sur la participation de capitaux étrangers aux industries européennes d’armement », Assemblée nationale, Paris, 23 mars 2005, p. 8.
  • 18. Administrateur délégué chez John Cockerill.
  • 19. Audition, ouverte à la presse, de M. François Michel, CEO de John Cockerill, au sein de la Commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale le mercredi 31 janvier 2024 de 9h à 10h30.
  • 20. DEVAUX (Jean-Pierre) et al. Op.cit., p. 33.
  • 21. COROT (Léna), « Airbus finalise la vente de Defence Electronics au fonds KKR », L’Usine Nouvelle, mars 2017.
  • 22. FASSOT (Frédéric), « Airbus conserve 25% de son électronique de défense qui devient hensoldt », VIPress.net, 1er mars 2017.
  • 23. MADELIN (Thibaut), « Le chantier naval allemand HDW change brutalement d’actionnaire », Les Échos, 12 mars 2002, Consulté le 4 février 2024. Url : https://www.lesechos.fr/2002/03/le-chantier-naval-allemand-hdw-change-brutalement-dactionnaire-687005.
  • 24. DEFLESSELLES (Bernard) et MICHEL (Jean), op. cit., p 12.
  • 25. Le contrôle des IDE dans les entreprises exerçant dans le secteur de la défense a été considérable au cours de l'année 2023 en France. Le rapport publié par la Direction générale du Trésor en 2024 indique que 21,5 % des investissements autorisés en 2023 relèvent principalement des secteurs de la défense et de la sécurité. En ce qui concerne les activités duales ou mixtes, celles-ci représentaient 14,8 % des investissements autorisés. Voir, Direction générale du Trésor, « Contrôle des Investissements Etrangers en France », Rapport annuel 2024, p 9.
  • 26. Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises
  • 27. LUO (Guiliu), « Les investissements étrangers : le cas de la Chine Étude des droits chinois, français et de l’Union européenne », Thèse de doctorat en Droit privé, Université Paris Panthéon-Assas, 2023, p. 238.
  • 28. DOUSSIN (Aline) et al. « La généralisation du filtrage des investissements directs étrangers en Europe : principaux enjeux et prochaines perspectives », Cahiers de droit de l’entreprise, n° 5, septembre-octobre 2024, p. 36.
  • 29. Conseil de l’UE, Une boussole stratégique en matière de sécurité et de défense – Pour une Union européenne qui protège ses citoyens, ses valeurs et ses intérêts, et qui contribue à la paix et à la sécurité internationales, 7371/22, Bruxelles, 21 mars 2022, p. 35.
  • 30. En France par exemple, l’investissement de l’État peut être direct, au travers de l’agence des participations de l’État (APE). L'État participe au capital de plusieurs entreprises leaders dans le domaine de la défense. C’est le cas de Naval Group (qui a le monopole des chantiers navals en France) à hauteur de 62 %, Airbus (spécialiste des aéronefs civils et militaires) et Safran (spécialisé dans l’aérospatiale) à hauteur de 11 %, et ainsi que Thales (spécialisé dans les hautes technologies de sécurité et de défense) à hauteur de 26 %. Voir, Burin des Roziers (Jacqueline), « Quel rôle pour l’État face aux enjeux de financement de la Base industrielle et technologique de défense (BITD) ? », RDN, Consulté le 27 décembre 2023. Url : https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article-cahier.php?carticle=604&cidcahier=1320
  • 31. Conseil d’État, Protection des intérêts stratégiques dans les entreprises, fiche pratique, Famille “législation et réglementation économiques”, septembre 2019, p. 2.
  • 32. PERGET (Jacques), « L'européanisation de l'industrie d'armement », Topique, 2009/2 (n° 107), pp. 225-235.
  • 33. Institut Montaigne, « L'Impossible État actionnaire ? », janvier 2017, p. 26.
  • 34. Ibid, p. 12.
  • 35. MARON (Djamal-Eddine), La détermination du droit européen des investissements étrangers : aspects matériels, Thèse de doctorat en Droit Public, soutenue à l’Université de Bordeaux, 2023, p. 28.
  • 36. BENCHENEB (Ali), « Le droit européen des investissements et le devenir du traitement juste et équitable », Revue Internationale de Droit Économique, 2016, précisément pp. 93.
  • 37. Commission européenne, Vers une politique européenne globale en matière d’investissements internationaux, Bruxelles, COM(2010)343 final du 7 juillet 2010, p. 2.
  • 38. Ibid, p. 4 à 6.
  • 39. Parlement européen, Résolution sur la future politique européenne en matière d'investissements internationaux, 6 avril 2011
  • 40. Conseil de l'Union européenne, Conclusions on a Comprehensive European International Investment Policy, 25 octobre 2010, pt 9.
  • 41. CJUE, avis 2/15, 16 mai 2017, Accord de libre-échange entre l'Union européenne et la République de Singapour, ECLI:EU:C:2017:376.
  • 42. CJUE, avis 2/15, 16 mai 2017, préc., pt 30.
  • 43. Ibid, pt 80.
  • 44. Avis 1/08, Accords modifiant les listes d’engagements spécifiques au titre de l’AGCS, 30 novembre 2009, ECLI:EU:C:2009:739
  • 45. Avocate générale E. Sharpston, conclusions présentées le 21 décembre 2016, avis 2/15, ECLI:EU:C:2016:992, pt 326
  • 46. CJUE, avis 2/15, 16 mai 2017, op. cit, pt 87
  • 47. NEFRAMI (Eleftheria), « Accords internationaux. – Compétence et conclusion », JurisClasseur Europe Traité, 23 février 2025, pt 10.
  • 48. Selon l’avis 2/15, sont considérés comme des investissements étrangers autres que directs tous les investissements réalisés « sous la forme d’acquisitions de titres de société dans l’intention de réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise », et ces investissements « constituent des mouvements de capitaux au sens de l’article 63 TFUE ». CJUE, avis 2/15, 16 mai 2017, op. cit, pt 227.
  • 49. CJUE, avis 2/15, 16 mai 2017, op. cit, pt 107.
  • 50. MARTUCCI (Francesco), « Le cadre de filtrage des investissements directs étrangers : la quête d’un équilibre entre marché et intérêts stratégiques dans le système constitutionnellement intégré », Europe, n°3, mars 2020.
  • 51. LUO (Guiliu), op. cit, p. 230.
  • 52. Ibid, p. 231.
  • 53. ROBERT (Sabrina), « Article 207 TFUE. La politique commerciale commune conforme à la politique de sécurité et de défense commune », in BERNARD (Elsa) et RODRIGUES (Stéphane) (dir.), « L'Union européenne de la défense : commentaire article par article », Bruylant, 12 décembre. 2024, p. 748.
  • 54. Ibid, p. 749.
  • 55. CJUE, 18 janvier 2018, Frédéric Jahin c/ Ministre de l'Économie et des Finances et Ministre des Affaires sociales et de la Santé, aff. C-45/17, ECLI:EU:C:2018:18 ; pt 20.
  • 56. Ibid, pt 33.
  • 57. CJUE, 13 juillet 2023, Xella Magyarország Építőanyagipari Kft. Contre Innovációs és Technológiai Miniszter, aff. C-106/22, ECLI:EU:C:2023:568, pt 33 à 34.
  • 58. Ibid, pt 59.
  • 59. Ibid, pt 71.
  • 60. Ibid, pt 74.
  • 61. « Entre 2012 et 2021, l’investissement annuel moyen en Hongrie n’était que de 89 millions d’euros. En 2022, il est passé à 1,51 milliard d’euros, et a atteint 2,99 milliards d’euros en 2023. Ce pays a capté 44 % de tous les IDE chinois vers l’Europe, soit plus que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni réunis ». Voir DIMICOLI (Yves), « Vers une nouvelle configuration des I.D.E. croisés ? » Économie & Politique, 5 janvier 2025. Url : https://www.economie-et-politique.org/2025/01/05/7-vers-une-nouvelle-configuration-des-i-d-e-croises/
  • 62. Commission européenne, Communication relative au financement de l’“action préparatoire en recherche de défense” et à l’utilisation des coûts unitaires pour l’année 2017, COM(2017) 2262 final du 11 avril 2017.
  • 63. Règlement (UE) 2018/1092 établissant le programme européen de développement industriel de défense visant à soutenir la compétitivité et la capacité d'innovation de l'industrie de défense de l'Union.
  • 64. Voir art. 3(a) du Règlement (UE) 2018/1092
  • 65. Règlement (UE) 2021/697 établissant le Fonds européen de la défense et abrogeant le règlement (UE) 2018/1092, (2021).
  • 66. L’économie de guerre est une situation dans laquelle un gouvernement se retrouve contraint de soutenir l’effort de guerre en réorganisant son complexe militaro-industriel afin d’optimiser ses capacités de production et son autonomie stratégique.
  • 67. Règlement (UE) 2023/2418 relatif à la mise en place d'un instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (EDIRPA).
  • 68. Règlement (UE) 2023/1525 relatif à l'Action de Soutien à la Production de Munitions (ASAP).
  • 69. Décision (PESC) 2021/509 établissant une facilité européenne pour la paix, et abrogeant la décision (PESC) 2015/528. Cet instrument est né de la fusion entre le mécanisme ATHENA (créé en 2004) et la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique (créée en décembre 2003), et assure la continuité depuis mars 2021. En plus de s’intégrer dans l’action extérieure de l’UE, le FEP renforce les capacités de l’Union à agir de manière autonome en matière de défense et finance ses actions opérationnelles dans le cadre de politique étrangère et de sécurité commune (PESC).
  • 70. RODRIGUES (Stéphane), « Financing European Defence: The End of Budgetary Taboos », European Papers, vol. 8, no. 3, 2023, 17 January 2024, specifically pp. 1162.
  • 71. LARSONNEUR (Jean-Charles) et THIÉRIOT (Jean-Louis), « Rapport d’information sur l’industrie de défense, pourvoyeuse d’autonomie stratégique en Europe ? », Assemblée nationale, Paris, mai 2024, p. 31
  • 72. Commission européenne, « Stratégie industrielle européenne de défense et programme européen pour l'industrie de la défense », Présentée le 5 mars 2024.
  • 73. SMOLAR (Piotr), « Donald Trump suscite l’effroi parmi les alliés en mettant en cause le principe de solidarité au sein de l’OTAN », Le Monde, 12 février 2024.
  • 74. SANTOPINTO (Federico), « L'UE, l'autonomie stratégique et l'industrie de défense face à l'OTAN : quelle quadrature du cercle ? », note IRIS, novembre 2024, p 15.
  • 75. VUILLERMOZ (Charline), « L’influence de l’Union européenne sur le droit des investissements », Mémoire de recherche Droit privé international et comparé, Université Jean Moulin Lyon 3, 2015, p. 30.
  • 76. BIZET (Jean) et MENONVILLE (Franck), op. cit. p. 15.
  • 77. Cour des comptes européenne, « Le cadre est en place, mais des limites importantes empêchent une gestion efficace des risques pour la sécurité et l’ordre public », Rapport spécial sur le filtrage des investissements directs dans l’UE, 2023, p. 25.
  • 78. Il existe un mécanisme national de filtrage des IDE non actualisé dans 7 pays ; 8 autres pays détiennent un mécanisme national de filtrage des IDE ayant fait l’objet d’une actualisation en 2022 ; 8 pays sont en processus consultatif ou législatif devant aboutir à l’adoption d’un nouveau mécanisme ; et enfin, 1 pays est en cours d’initiative en vue de l’adoption d’un mécanisme.
  • 79. L'Espace économique européen (EEE) regroupe 30 pays, incluant les 27 États membres de l’UE ainsi que trois pays de l'Association européenne de libre-échange (AELE) à savoir l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège.
  • 80. Voir article 6, paragraphe 1, du règlement UE 2019/452.
  • 81. Commission européenne et Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Une stratégie européenne en matière de sécurité économique, JOIN (2023) 20 final, 20 juin 2023. Ainsi, pour procéder de manière énumérative, les cinq initiatives proposées par la commission sont : une proposition législative de révision du règlement de l'UE sur le filtrage des investissements directs étrangers ; un livre blanc lançant un processus de recensement des risques que présentent les investissements sortants de l’UE vers les pays tiers ; deux autres livres blancs dont l’un sur le renforcement du contrôle des exportations de biens à usage civil et militaire, et le second traitant du soutien à la recherche et au développement dans le domaine des technologies à double usage potentiel ; et enfin, une proposition de recommandation du Conseil sur le renforcement de la sécurité dans le domaine de la recherche.
  • 82. Proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif au filtrage des investissements étrangers dans l’Union et abrogeant le règlement (UE) 2019/452, COM (2024) 23 final, Bruxelles, 24 janvier 2024.
  • 83. MARTIN (Éric-André), « L’Union européenne va-t-elle se laisser acheter ? Le filtrage des investissements étrangers en Europe », IFRI, mars 2019, p. 23.
  • 84. Règlement (UE) 2022/1031 concernant l’accès des opérateurs économiques, des biens et des services des pays tiers aux marchés publics et aux concessions de l’Union et établissant des procédures visant à faciliter les négociations relatives à l’accès des opérateurs économiques, des biens et des services originaires de l’Union aux marchés publics et aux concessions des pays tiers (Instrument relatif aux marchés publics internationaux — IMPI ) ».
  • 85. Voir article 12 et 13 de la Directive 2009/81/CE relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE, JOUE L 216 du 20 août 2009, p. 76–136.
  • 86. CARAYON (Bernard), « L'Europe à l'heure des choix : réciprocité vs protectionnisme », Géoéconomie, 2008/2 (n° 45), Précisément p. 125.